Raúl Fomet-Betancourt, La philosophie Interculturelle. Penser autrement le mond
Raúl Fomet-Betancourt, La philosophie Interculturelle. Penser autrement le monde, Traduit de l’espagnol par Albert Kasanda, Les éditions de l’atelier/Éditions Ouvriéres, París, 2011. Chapitre 10 Théses pour une alternative á la mondialisation1 La philosophie interculturelle n’est pas une nouvelle discipline philosophique ni une nouvelle formulation de ce que l’on appelle communément « philosophie de la culture », et encore moins une réactualisation de la philosophie comparée. Elle se présente plutót comme un programme de travail visant á provoquer un changement de paradigme dans l’exercice de la philosophie. Pour y parvenir, elle veut briser les barrieres créées par les structures monoculturelles des philosophies traditionnelles ou, pour le dire autrement, développer une attitude philosophique qui repose sur la reconnaissance de la pluralité des philosophies avec leurs matrices culturelles respectives et les formes d’argumentation qui en résultent. La philo sophie interculturelle jaillit done de la disposition d’un esprit conscient de ses limites culturelles, qui tolere les autres formes de pensée et va jusqu’á se solidariser avec elles car, effectivement, il sait que c’est avec leur aide en tant qu’univers propres qu’il peut s’ouvrir á funiversel. En un mot, la philosophie interculturelle se veut une philosophie qui se pratique á partir de l ’ assistance culturelle mutuelle2. La mondialisation du néolibéralisme, de quel droit ? En partant du point de vue de la philosophie interculturelle qui considere comme une richesse la diversité culturelle et le droit des peuples á disposer de leurs propres cultures et á les développer, la premiére question á se poser dans le contexte actuel de la mondialisation est de savoir de quel droit on impose cette globalisation. II est bien légitime, en efifet, de se poser cette question du droit á globaliser. Cette question est d’autant plus urgente que ce processus a aujourd’hui des efifets dramatiques, entre autres choses, la transformation de nos conditions de vie suivant une politique néo-libérale prétendant détenir en exclusivité la cié de l’avenir du monde. La globalisation découle essentiellement d’une expansión 194 LA PHILOSOPHIE INTERCULTURELLE incontrólée du néolibéralisme économique et politique, dont la finalité avérée est d’homogénéiser la planéte, de la niveler conformément aux exigences du marché capitaliste 3. De son cóté, l’analyse interculturelle montre bien que la globalisation implique une idéologie ou plutót une philosophie de l’histoire qui postule que l’humanité n’aurait comme seul avenir que celui con^u et programmé par le néolibéralisme. Dans la méme optique, l’histoire en tant que recherche constante d’alternatives pour faire justice aux difFérences culturelles et á la complexe diversité des univers existentiels ne serait plus d’actualité, car il n’y aurait plus d’alternatives en dehors de la réalité forgée par le projet civilisateur du néolibéralisme. En conséquence, toute volonté de résister ou de s’opposer á la dynamique « réaliste » de la globa lisation néolibérale apparait comme un combat obstiné d’arriére-garde, anachro- nique et caractéristique d’esprits romantiques endurcis, dépourvus de tout sens de l’histoire qui n’acceptent pas « la forcé des choses » et se condamnent á demeurer en dehors du processus réel de l’histoire. La mondialisation n’est pas universelle En attirant l’attention sur l’idéologie et la philosophie de l’histoire sous- jacentes au discours néolibéral sur la globalisation et en s’interrogeant sur le droit du systéme de globalisation actuel á se répandre partout, la philosophie interculturelle entend questionner fondamentalement la légitimité éthique et culturelle de cette globalisation et elle le fait, nous insistons, parce qu’elle se rend compte que la grande majorité de l’humanité n’est pas le sujet des processus de globalisation, mais un objet souffrant des effets de ce phénoméne. En un mot, ce n’est pas l’humanité qui se globalise, c’est elle qui est globalisée par l’expansion totalitaire d’un modéle de civilisation. En ce sens, la globalisation n’est pas synonyme de croissance de l’universalisation ou de l’universalité. Elle représente au contraire un processus réducteur qui, á coup de promesses fallacieuses de construiré « un seul monde », nivelle les difFérences et homogénéise la planéte, superficiellement du moins. Sans engager le débat sur le sens et la portée de la distinction entre « superficiel» et« profond », « externe » e t« interne », nous voudrions attirer l’attention sur le fait qu’en uniformisant la planéte, la globalisation néolibérale s’approprie la contex- tualité du monde, c’est-á-dire qu’elle s’octroie le pouvoir de conñgurer les contours des cultures. L’uniformisation des contextes dans une contextualité structurelle parfaitement identifiable en n’importe quel point de la planéte signifie, pour les cultures de l’humanité, une perte de matérialité ou, plus exacte- ment, une perte de « territoire » propre ou mettre á l’épreuve et en pratique leur capacité d’influer efficacement sur faménagement de l’espace et du temps, confor- THÉSES POUR UNE ALTERNATIVE Á LA MONDIALISATION 195 mément á leurs propres valeurs. La globalisation néolibérale entraíne ainsi une perte de souveraineté territoriale pour les cultures. Celles-ci sont des lors contraintes de vivre, ou de survivre, dans des territoires occupés, tant du point de vue de l’espace que du temps, par les patrons d’un modéle de civilisation qui les arrache á leur propre terreau. A ce stade, la dynamique réductrice de la globali sation s’accompagne d’un mouvement supplémentaire de marginalisation et d’ex- clusion. Ainsi, neutralisées dans leur capacité d’incidence matérielle et sociale, c’est-á-dire leur aptitude á organiser le social, les cultures restent exclues des instances réellement décideuses de F avenir économique, politique et social de Fhumanité. Elles perdent de leur poids et de leur importance comme forces d’organisation et de transformation de la réalité historique concréte. Si elles ne sont pas éliminées, il est certain qu’elles se trouvent reléguées au second plan et, souvent, condamnées á une survie stérile dans des « réserves culturelles ». On aura réussi á les déconnecter totalement du cours de l’histoire et á taire leur droit á faire entendre leur propre voix dans les processus concernant l’avenir de Fhumanité. Un monde interculturel, alternative au monde globalisé Par son option effective et radicale en faveur des différences culturelles, la philosophie interculturelle contribue á la réorganisation des relations entre les cultures et les peuples, voulue comme une alternative á la globalisation néo libérale. L’option choisie est ainsi une prise de position contre le processus d’homogénéisation et d’exclusion aujourd’hui en vigueur. Le fondement de cette alternative réside dans le choix de Finterculturalité comme fil conducteur pour le développement d’une praxis attentive au droit des étres humains d’avoir leur propre culture, qui non seulement génére et stimule la pluralité des visions du monde et le respect mutuel entre elles, mais s’avére étre aussi un instrument adéquat pour la réalisation effective d’une pluralité des mondes réels. L’intercul- turalité est done une alternative qui permet de reconfigurer l’ordre mondial parce qu’elle insiste sur la juste communication entre les cultures en tant que visions du monde et qu’elle souligne l’importance de laisser libres les espaces et les temps pour que ces « visions » puissent étre incarnées. II s’ensuit que Falternative proposée par Finterculturalité entraíne une nouvelle compréhension de l’universalité. L’universalité dont il s’agit implique la libération effective de tous les univers culturéis et, par le fait méme, elle ne s’impose pas en tant que pouvoir central ni ne se concrétise au prix fort de la réduction et du nivellement des différences. Elle se développe plutót á partir de la base comme un réseau de communication libre et solidaire. De ce point de vue, Falternative avancée par le projet interculturel peut se résumer par ces quelques mots : renou- veler Fidéal d’universalité comme praxis de solidarité entre les cultures. 196 LA PHILOSOPHIE INTERCULTURELLE L’interculturalité, chemin pour libérer le monde La philosophie interculturelle, préférant á la globalisation un modéle alternatif de relations interculturelles justes et libres, entraíne un projet de reconfiguration du monde qui suppose á son tour de déplacer le cours actuel de Fhistoire humaine du centre qui veut aujourd’hui l’enfermer, c’est-á-dire de libérer le monde et Fhistoire de Femprise du modéle de civilisation dominant actuellement. Si la globalisation uniformise et ne présente qu’un seul avenir possible pour l’huma- niré, Finterculturalité entend, elle, faire prévaloir la polyvalence de Fhistoire. Elle veut prouver que tant qu’il existe des cultures, Fhumanité peut s’orienter vers difFérents avenirs possibles et que toute universalisation historique — si petite ou grande soit-elle - de Fun de ces avenirs éventuels est une question á trancher á l’issue d’un dialogue entre les cultures. Cette libération du monde et de Fhistoire du centralisme actuellement voulu par la globalisation néolibérale implique de toute évidence la revendication du droit des cultures á déterminer leurs contextes, et en particulier économique, á partir d’elles-mémes. Sur ce point, le discours interculturel insiste pour ne pas dissocier la culture de la sphére économique. II est évident á nos yeux que Féconomie est bien une fonction particuliére de l’ordre culturel. C ’est pour cette raison que chaqué culture doit avoir le droit de pratiquer le systéme écono mique qui semble le plus approprié á sa visión. Les cultures, processus historiques de changement et de libération Afin d’éviter tout malentendu, nous tenons á faire remarquer que la philoso phie interculturelle ne veut en aucune fafon tomber dans le travers de Fontologie en parlant des cultures comme des essences. uploads/Societe et culture/ chap-10-livre-fornet-betancourt.pdf
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- Publié le Apv 29, 2022
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