Ethnie en Afrique Ethnies et espaces :pour une anthropologie topologique, Jean-

Ethnie en Afrique Ethnies et espaces :pour une anthropologie topologique, Jean-Loup AMSELLE Ce texte est tiré du livre Au cœur de l’ethnie. Ethnie, tribalisme et Etat en Afrique, dirigé par J-L. Amselle et E. Mbokolo et édité en 1985. J-L.Amselle est directeur d’études à l’Ecole des Hautes Etudes en Sciences Sociales et fait partie du Centre d’études africaines. Outre cet ouvrage, il est l’auteur de Vers un multiculturalisme français. Cet africaniste a apporté sa contribution sur la question de l’ethnie et des nations, mais a aussi fait beaucoup dans l’analyse des conflits en Afrique et dans la perception que l’on peut en avoir, perception trop souvent empreinte de préjugés (et largement relayée par les médias par ailleurs). J-L.Amselle constate d’abord que la question de l’ethnie est trop souvent évacuée par bon nombre de chercheurs. Il parle de « désintérêt » de la part de la communauté scientifique. Ce désintérêt viendrait du rejet de l’Histoire par les anthropologues, alors que toute science de l’Esprit doit être historique. Il nomme ainsi deux courants majeurs qui se défilent devant cette nécessité :l’un s’intéresse au sens et au symbole (le structuralisme par exemple), l’autre qui traite essentiellement de la fonction (comme le fonctionnalisme justement ou le marxisme). Pour Amselle, il faut avoir une approche historique de chaque société pour « saisir l’ensemble des déterminations qui pèsent sur un espace social donné et [de] mettre l’accent sur le réseau de forces à la fois « externes » et « internes » qui le structurent, en un mot d’analyser « l’efficace d’un système sur un lieu » ». Et les sociétés dites « sans histoire » n’existent pas :aucun groupe social n’a jamais été complètement isolé. Ce n’est pas parce qu’on ne connaît pas leur histoire qu’elles n’en ont pas. Cette approche historique doit mener, pour Amselle, à la déconstruction de l’objet ethnique pour faire progresser la discipline. Il existe une multitude de définition de l’ethnie. L’ethnie vient du grec ethnos qui signifie peuple, ou nation. En fait, les Grecs utilisaient ce terme pour désigner les autres peuples que le leur. Le terme ethnie a pris de l’importance pour classer à part certaines sociétés en leur déniant une qualité spécifique, en leur ôtant ce par quoi elles pouvaient participer d’une commune humanité. L’ethnie désigne, au départ, l’Autre, mais avec une connotation négative : c’est à dire le « barbare », le « sauvage ». Il y a une relation entre tribu et ethnie, en France du moins, où le terme de tribu a à peu près le même usage que celui d’ethnie. Mais chez les anthropologues anglo-saxons, tribu désigne un type d’organisation sociale propre : celui des sociétés segmentaires qui se distinguent des sociétés étatiques où le pouvoir est centralisé. Mais reprenons d’abord différentes perceptions de l’ethnie par quelques auteurs : _Fortes : selon lui, l’ethnie représente l’horizon le plus lointain que les groupes connaissent, au-delà duquel les rapports de coopération et d’opposition ne sont plus significatifs. _Nadel : pour lui, la tribu existe comme une unité idéologique et donne une identité qui est acceptée comme un dogme. Les individus revendiquent leur appartenance au groupe. Mais l’unité culturelle est aussi plus vaste que l’unité tribale : il y a des échanges et des influences entre les groupes. C’est en cela que la définition de Nadel est intéressante. _Mercier : l’ethnie est un groupe fermé, ayant une même origine, avec une culture et une langue communes. Mais l’ethnie est aussi une unité d’ordre politique. Mais Mercier pose aussi très justement le problème qui consiste à replacer le groupe ethnique dans un ensemble plus vaste, dans un paysage régional et il faut de plus l’envisager dans une perspective historique. _Nicolas : selon lui, l’ethnie est un ensemble social à peu près clos et durable (idée de pérennité), et qui est enraciné dans un passé de caractéristiques plus ou moins mythiques. Mais il rajoute que dans la réalité géographique, une ethnie peut correspondre à un ensemble vaste comprenant plusieurs tribus ou nations. En fait, les anthropologues s’accordent à dire (en général) que pour qu’il y ait ethnie, il faut : un territoire commun, une tradition de descendance commune, un langage propre, une culture équivalente et un même nom. En effet, c’est la définition qu’on retrouve à peu près dans les dictionnaires : « groupement humain caractérisé principalement par une même culture, une même langue ». Barth éclaircit un peu plus la notion d’ethnie. Il note quatre éléments importants : d’abord, il faut une autonomie de reproduction biologique, ensuite un partage de valeurs culturelles fondamentales qui donnent des formes culturelles à peu près unies. Il faut aussi un champ de communication et d’interaction, et enfin un mode d’appartenance qui distingue le groupe ethnique lui-même et qui est distingué par les autres. Cela constitue une catégorie distincte parmi d’autres catégories de même sorte. L’ethnie classe une personne dans les termes de son identité la plus fondamentale. Mais J-L.Amselle note que la manière de définir ce terme –ethnie- est entachée d’ethnocentrisme, et elle nous renvoie à notre conception d’Etat-Nation à l’européenne. Il faut donc déconstruire cet objet qu’est l’ethnie. La notion d’ethnie peut et doit être contestée. Pour cela, il faut faire une rupture avec l’ethnologie coloniale. Il faut s’interroger sur les espaces précoloniaux, sur ce qu’il y avait avant la colonisation, car les ethnies semblent en fait venir de l’action du colonisateur. Les espaces précoloniaux Les sociétés locales, en Afrique et avant la colonisation, n’étaient pas du tout repliées sur elles-mêmes :elles étaient intégrées dans des formes générales englobantes qui les déterminaient. Chaque localité était englobée dans un ensemble plus vaste. « Chaque Société locale doit être conçue comme l’effet d’un réseau de relation », nous dit Amselle. Il y a de l’interaction. Il faut donc écarter une partie de l’anthropologie qui conçoit les sociétés les plus primitives comme des résistances à l’Etat et au capitalisme, selon Amselle : il s’agit des formes d’évolutionnisme, du marxisme, des démarches typologiques (société à Etat/société sans Etat) et de ce que Amselle appelle « la nouvelle anthropologie » qui présente des sociétés contre l’Etat (P.Clastres). Pour envisager les espaces coloniaux, il faut définir une série d’espaces sociaux :d’abord les espaces d’échange ;puis les espaces étatiques, politiques et guerriers ;ensuite les espaces linguistiques ;et enfin les espaces culturelles et religieux. Les espaces d’échange Il existait de fortes relations entre les sociétés africaines, notamment de commerce. C’est pourquoi on peut parler d’espace international ou d’ « économie-monde » avant le colonialisme. Par exemple, il existait un commerce important entre le monde arabe et l’Afrique noire. Ce sont des relations d’échanges inégaux qui provoquent une hiérarchisation, ainsi que de nombreuses migrations. Il existait une spécialisation, une division du travail et un commerce à longue distance avec des produits précieux : le sel, l’or, le riz, ou encore le mil. On comptait de nombreux grands centres urbains (Tombouctou par exemple). Ces échanges s’effectuaient de trois manières : le transfert (c’est à dire par don et contre-don), le troc, et l’échange monétarisé (il existait effectivement des monnaies). Les espaces linguistiques Il est souvent avancé que pour qu’il y ait ethnie, il faut une langue commune (définition essentialiste). Or, en Afrique du moins, la réalité est plus complexe : en effet, il y a peu d’homogénéité linguistique des différentes ethnies, et au sein même des groupes. La langue parlée par une partie du groupe ethnique (un segment) va être plus proche de la langue de la société voisine géographiquement que d’un autre segment du groupe. La proximité géographique joue sur la langue plus que le fait ethnique. L’idée selon laquelle la langue détermine l’appartenance à l’ethnie pose problème. Ainsi, il existe des groupes qui revendiquent une certaine appartenance alors qu’ils parlent une langue plus proche d’une autre ethnie. Il faut ajouter que la diffusion des langues des « sociétés englobantes » est liée à leurs conquêtes et aux réseaux marchands. Elles sont parlées par un plus grand nombre de personnes. Toutefois, cette diffusion a été renforcée par les colonisateurs. Les espaces culturels et religieux Pour le processus de déconstruction de l’objet ethnique, il faut connaître la répartition dans l’espace de traits culturels, d’institutions comme la technique, l’architecture, l’art, les cultes religieux… Bref, il faut comprendre la société dans son ensemble, ceci afin de délimiter des aires culturelles et politiques, qui seraient différentes des cartes ethniques que l’on trouve habituellement. Cela implique de s’intéresser au développement des grandes religions universalistes dans ces régions, tel que l’Islam. Selon Amselle, il existe des « chaînes de sociétés » à l’intérieur desquelles les acteurs sociaux se meuvent. C’est ainsi que l’acteur social va faire un choix d’identification selon le contexte où il se trouve. Il ne faut donc pas envisager les frontières ethniques comme des limites géographiques, mais « comme des barrières sémantiques ou des systèmes de classement, c’est à dire en définitive comme des catégories sociales ». On retrouve l’importance de la culture et de la langue, tandis que l’ethnie est envisagée comme une catégorie sociale (presque comme une classe sociale). Par contre, uploads/Societe et culture/ amselle-jean-loup-ethnies-et-espaces-pour-une-anthropologie-topologique.pdf

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