Centre Jacques- Berque Le Maroc au présent | Baudouin Dupret, Zakaria Rhani, As

Centre Jacques- Berque Le Maroc au présent | Baudouin Dupret, Zakaria Rhani, Assia Boutaleb, et al. La culture marocaine contemporaine à l’épreuve des mutations Farid Zahi p. 407-439 1 2 3 Texte intégral Il est tout aussi difficile de retracer l’histoire et l’évolution de la culture marocaine moderne qu’il est nécessaire de tenir compte de l’entrelacement de ses éléments, de l’enchevêtrement des étapes de son évolution, des interactions et ruptures entre ses composantes, et par-là, de l’absence de parallélisme et d’équilibre dans la constitution comme dans l’évolution de ses composantes. Il convient également, pour une approche qui se veut exhaustive, d’accorder suffisamment d’attention aux éléments refoulés et réprimés de cette culture, ainsi qu’à ceux liés aux tabous politiques, idéologiques, religieux et historiques. On peut dire, d’emblée, que les années 90 auront constitué, d’une manière ou d’une autre, un tournant majeur et une époque de grandes mutations qualitatives dans les domaines politique et culturel marocains, autant que dans celui de l’économie ou encore celui des libertés publiques. Cette décennie a en effet connu – entre autres événements marquants, qui dessineront un nouvel horizon à la pratique culturelle, sociale et politique –, une transition depuis la presse officielle et politique vers le pluralisme médiatique, outre la mise en place de l’idée de l’alternance politique, le lancement de la libéralisation du champ de l’audiovisuel, ainsi que les tout premiers balbutiements des nouvelles technologies qui bouleverseront profondément le domaine des pratiques communicatives, interactives et culturelles de manière générale. En dépit des interférences que présuppose toute analyse culturelle, nous nous contenterons, dans cette approche, de certaines formes d’expression qui constituent, à notre sens, le fil de trame de la culture marocaine contemporaine, à savoir les arts plastiques, le cinéma, la littérature et le théâtre, ainsi que les structures y étant liées – structures d’édition et de publication, marché de l’art et instances de soutien, de distribution et de publicité –, qui constituent toutes, d’une manière ou 4 5 d’une autre, des lieux de médiation à cette culture et des espaces pour sa promotion. Cependant, ces mutations supposent aussi que l’on se donne la peine d’en suivre le développement au moins dans ce qui leur est commun, tel ce qui lie par exemple, du point de vue structurel, arts plastique, cinéma et littérature. En effet, la culture marocaine en général a atteint, durant les années 80, un stade que l’on peut qualifier de stade de visibilité sur tous les plans : une visibilité générale et globale, qui allait cesser d’être l’apanage de certains cas et de certains noms, comme cela avait été le cas par le passé, conséquemment à certaines données – ayant principalement trait à l’héritage colonial dans le domaine de l’écriture francophone, par exemple, et à la tendance nationaliste dans celui de la littérature et de l’art –, pour accompagner désormais la maturité des mutations qui ont marqué le champ culturel au Maroc, le faisant transiter de l’état de consommation et de l’état embryonnaire vers les horizons de la création et de l’interactivité. Du stade de la culture périphérique, évoluant à l’ombre de deux autres cultures – entendre la française et l’arabo-égyptienne –, la culture marocaine est, en effet, passée à celui de l’autonomie et du dynamisme, celui de l’édification, à un rythme soutenu, de sa propre personnalité et de son propre mode de rayonnement. Le prix Goncourt, remporté par Tahar Benjelloun en 1987, par exemple, est venu consacrer la place de la créativité marocaine dans la littérature française et confirmer par là même la dimension francophone de la culture marocaine. Le même prix sera, par ailleurs, attribué, quelques années plus tard (2010) au poète Abdellatif Laâbi. De même, poètes et romanciers marocains, tels Bensalem Himmich et Mohammed Achaari, commencent à glaner des prix au Machrek arabe. Pour n’être qu’une expression de la reconnaissance de la culture de l’autre et de ses symboles, les prix n’en constituent pas moins un des aspects de la dynamique qui anime cette culture, lui faisant dépasser sa propre 6 7 Le cinéma : une mutation qualitative sphère pour imposer son sceau et sa présence aux milieux linguistiques et non linguistiques avec lesquels elle est en rapport. Par ailleurs, si pour leur part la littérature et les arts plastiques ont su s’imposer dès les années 60 et 70, engendrant des noms et des productions de premier plan, le cinéma, la traduction et bien d’autres arts ne tarderont pas à s’engager dans cette évolution dynamique, contribuant à faire de la culture marocaine une culture à part entière, dotée de ses propres lois d’évolution intérieure, et ce, en dépit de la faiblesse dont souffrent ses infrastructures dans des domaines telles que la publication, les structures muséales et autres. Si le cinéma au Maroc a vu le jour à l’époque coloniale, époque durant laquelle il accumule de nombreux films au caractère orientaliste avec une pincée de colonialisme, ou encore à tendance humanitaire et romanesque, la naissance du cinéma marocain à proprement parler se fait de manière autodidacte, avec les tout premiers films « artisanaux » de Mohammed Osfour au début des années 50, puis avec un certain nombre de films musicaux et romantiques, ainsi que des films réalistes rudimentaires, avant que Wachma de Hamid Bennani (1972) ne vienne marquer le véritable essor du film marocain. Ce cinéma naissant évolue à un rythme lent, entravé par de sérieux problèmes et carences en moyens techniques, en scénarios comme en financement. Néanmoins, des films comme Assarab d’Ahmed Bouanani ou encore Chergui de Moumen Smihi, entre autres réalisations, constituent les prémices d’un cinéma évolué, ainsi que l’annonce d’un ardent désir de créativité. C’est ainsi que le Centre cinématographique marocain (CCM), dont la création remonte à l’époque coloniale (1944), instaure en 1984 un fonds de soutien et lance, à la même période, un festival du cinéma national, qui tous deux contribuent 8 9 10 profondément au développement de cette pratique visuelle. Avec le festival de Meknès (1991), le cinéma marocain se trouve, pour la première fois, dans une position ouverte sur l’avenir. Les films présentés à la compétition viennent en effet annoncer la naissance d’une nouvelle génération de cinéastes désireux d’investir des thématiques nouvelles, avec des outils cinématographiques et d’écriture à dimension populaire. Il y a ensuite le festival de Tanger en 1995, pour révéler de nouveaux talents marocains résidant à l’étranger et inviter ces jeunes cinéastes à intégrer le domaine de la création cinématographique marocaine, notamment après que le fonds de soutien ne soit doté d’un budget qui permette d’offrir aux cinéastes la possibilité de travailler dans des conditions meilleures et plus professionnelles. C’est ainsi qu’au milieu des années 90, avec la tenue des premières assises du cinéma à Casablanca (1996) et l’approfondissement du rôle de l’État et du CCM dans la promotion du secteur cinématographique, le domaine du cinéma se transforme en véritable enjeu culturel nouveau du secteur de l’audiovisuel, ce qui le libère progressivement de l’emprise du contrôle auquel il avait été soumis de longues décennies durant. Par ailleurs, cette ouverture permet de donner une impulsion nouvelle aux jeunes cinéastes et de consolider la réglementation du secteur cinématographique, et ce, en dépit du désordre qui règne sur le secteur, du profond gap entre réglementation et pratiques, du piratage et de la non-exploitation des ressources naturelles qui font pourtant du Sud marocain le point de ralliement des cinéastes internationaux. En revanche, le Maroc vit un paradoxe de taille, qui ne cesse de s’élargir, entre le désir de développer l’industrie cinématographique marocaine et les contraintes de réception. Il s’agit de la régression du nombre des salles, au point que ces dernières étaient menacées de disparition, notamment avec la présence de plus en plus prépondérante de la télévision et de la 11 12 vidéo chez les familles marocaines, ainsi que l’apparition des CD et leur rapide propagation au début du nouveau millénaire. L’initiative prise in extremis par le CCM, consistant à soutenir la rénovation de certaines salles par le biais d’exonérations fiscales, va cependant contribuer quelque peu à redresser cette tendance, en sauvant quelques-unes de ces salles dans les grandes villes. De ce point de vue, le domaine cinématographique peut être considéré comme étant le phénomène culturel qui suscite le plus d’intérêt au Maroc. Après avoir été le secteur le plus soumis à la censure de l’Etat et de ses appareils, il est en effet devenu le domaine de prédilection pour le soutien et le développement. Or, le cinéma a besoin de ce soutien et de ce développement à une époque où il est le roi des arts, où les gens fréquentent les salles de cinéma à la recherche d’une alternative imaginaire à la réalité et où les quartiers résidentiels abritent des salles toujours bondées, aller au cinéma étant alors un événement familial et personnel des plus intimes et des plus symboliques. C’est bien ce paradoxe que nous vivons depuis le lancement du fonds de soutien en 1984, puis, notamment, depuis le renforcement de ce fonds, suite à la tenue des assises de 1996 à Casablanca et à l’instauration d’une nouvelle charte entre les acteurs de ce uploads/Societe et culture/ le-maroc-au-present-la-culture-marocaine-contemporaine-a-l-x27-epreuve-des-mutations-centre-jacques-berque.pdf

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