7 n° 17/2006/1 Éducation et Sociétés Anthropologie de l’éducation : pour un tou

7 n° 17/2006/1 Éducation et Sociétés Anthropologie de l’éducation : pour un tour du monde Les divers courants en anthropologie de l’éducation KATHRYN ANDERSON-LEVITT University of Michigan-Dearborn Dean of College of Arts, Sciences, & Letters, CB 2002 Dearborn, MI 48128-1491 USA katieal@umd.umich.edu Présentation autobiographique de l’auteur Anthropologue formée par George Spindler à Stanford University dans une tradition assez empirique d’anthropologie cognitive, l’auteure a mené des recherches de terrain en France et plus récemment en Guinée. Rédactrice en chef de la revue Anthropology and Education Quarterly entre 1996 et 2000, elle est présidente du Council on Anthropology and Education de l’American Anthropological Association pour 2004-2006. ux États-Unis dès les années 1960 un courant des sciences de l’éducation est connu sous le nom d’anthropologie de l’éducation. Allié à la sociolin- guistique et à d’autres approches qualitatives, ce courant possède sa propre revue depuis 1970. À Berlin, Christoph Wulf et ses collègues lancèrent peu après une discussion autour du concept d’“anthropologie pédagogique” –die Anthropologie der Erziehung– traduit par “anthropologie de l’éducation” dans l’édition française A D OSSIER 8 Anthropologie de l’éducation : pour un tour du monde Éducation et Sociétés n° 17/2006/1 Kathryn Anderson-Levitt de 1999. En Grande-Bretagne comme en France, il n’y a pas de tradition portant ce nom. Néanmoins, il est quasi impossible de séparer l’anthropologie de sa méthode de recherche préférée, l’ethnographie et les sociologues britanniques ont mené des études ethnographiques depuis les années 1970. En 2005, une revue internationale, Ethnography and Education, sort en Grande-Bretagne. On remarque également un essor soit de l’anthropologie soit de l’ethnographie de l’éducation dans d’autres pays européens (Qversall & Wulf 2003, Gobbo 2004), en Amérique latine (Anderson & Montero-Sieburth 1998), en Israël et peut-être au Japon. Qu’entend-on alors par anthropologie de l’éducation et ethnographie de l’éducation ? Le sens de ces mots varie-t-il d’un pays à un autre ou d’une langue à une autre ? Si oui, comment et pourquoi ? Quelles sont les lignes de parenté de l’anthropologie de l’éducation d’un pays à un autre ? Comment les conjonctures institutionnelles et politiques dans un pays influencent-elles la nature des études menées (question posée grâce à Alexander) ? Est-ce que des facteurs internatio- naux comme la toute-puissance du marché mène à la convergence vers les mêmes thèmes : la justice sociale, les identités, l’égalité des chances (question posée grâce à Gobbo) ? L’ambition d’une esquisse de réponse Ce numéro n’a pas l’ambition de répondre à toutes ces questions. Il ne pro- pose qu’une esquisse des anthropologies de l’éducation pratiquées dans diverses régions du monde et présente trois études de cas. La première (Rockwell) provient d’un centre de recherche important du Mexique, le Departamento de Investiga- ciones Educativas (DIE). Fidèle à la tradition du DIE, cet article situe l’observa- tion de la classe dans un cadre historique et théorique complexe. Le deuxième cas (Ouyang) résulte du travail individuel d’un chercheur chinois qui emploie la méthode de l’histoire de vie pour éclairer la complexité d’une réforme universi- taire. Le troisième cas, présenté par une chercheuse canadienne (Gérin-Lajoie), examine une problématique classique de l’anthropologie de l’éducation de l’Amérique du Nord, l’expérience des populations minoritaires. Il concerne les élèves francophones de l’Ontario, qui réussissent beaucoup moins bien que les anglophones, même en tenant compte de la classe sociale et de la langue quoti- dienne principale. Vu le poids de la “research industry” aux États-Unis, le dossier est complété par une revue analytique des thèmes principaux des articles publiés depuis dix ans dans la revue américaine Anthropology and Education Quarterly. Un avant-propos biographique précède les deux premières études de cas pour préciser l’influence de la conjoncture politique et des influences intellectuelles sur les ques- tions posées et les méthodes choisies par chaque chercheur. Je propose ici un tour du monde, informé par des revues de la littérature et des œuvres collectives (Anderson & Montero-Sieburth 1998 ; Atkinson, Delamont 9 Anthropologie de l’éducation : pour un tour du monde Les divers courants en anthropologie de l’éducation n° 17/2006/1 Éducation et Sociétés & Hammersley 1988 ; Batallán 1998 ; Candela, Rockwell & Coll 2004 ; Derouet, Henriot-van Zanten & Sirota 1987 ; Fisher 1998 ; Forquin 1989 ; Forquin 1997 ; Gibson 1998 ; Gobbo 2004 ; Goodman 2001 ; Henriot-van Zanten & Anderson- Levitt 1992 ; Jacob 1988 ; Levinson & Cade 2002 ; Osborne 1996 ; Qvarsell & Wulf 2003 ; Souza Lima 1995 ; Tedesco 1987 ; Wulf 1999 ; Yon 2003). Des communications électroniques personnelles avec des collègues étrangers consti- tuent des sources de renseignements supplémentaires, de même que des explora- tions sur la toile et mon expérience de rédactrice en chef de la revue Anthropology and Education Quarterly. Un tel projet, trop ambitieux, risque de manquer sa cible ou de transmettre des renseignements erronés faute d’informations recoupées. Le pire serait pourtant de ne rien faire : il faut lancer la balle et entamer le débat. J’ose le faire pour nous encourager à remettre en cause, par la comparaison, des programmes de recher- ches et des modèles explicatifs souvent très insulaires. Nous avons tendance à débattre de questions assez précises –souvent centrées aux États-Unis sur les écarts raciaux et ethniques– sans nous rendre compte que nos “catégories analytiques… ne sont pas autonomes ; qu’elles trouvent leurs racines dans leurs pays d’origine” (Rockwell 2002, 3). L’intérêt immédiat d’un tel dossier est de rendre plus visibles le cadre et la conjoncture dans lesquels se sont développées les traditions nationales. Mieux comprendre les points de repère des chercheurs, c’est mieux comprendre leurs problématiques et l’importance de leurs contributions. Plus largement, c’est une invitation à la sociologie de la science à mettre en évidence les influences socia- les et culturelles qui jouent sur l’anthropologie de l’éducation et les disciplines affiliées telles que la sociologie de l’éducation. Les anthropologies et les anthropologies de l’éducation Dès qu’on l’examine, l’anthropologie, comme toute discipline, se révèle un entrelacs de plusieurs disciplines qui poursuivent des questions intriquées mais distinctes. D’abord, au fond, l’anthropologie, étude de l’homme, c’est-à-dire étude des êtres humains, pose la question : “Qu’est-ce que cela signifie d’être un humain ?”. Cette anthropologie n’oublie jamais qu’il s’agit d’un animal qui a évolué parmi d’autres animaux, mais qui s’en distingue par l’élaboration de sa culture. L’anthro- pologie dite “philosophique” continue sur cette question en cherchant des générali- tés à propos de la condition humaine. On verra que l’anthropologie de l’éducation en Allemagne (et peut-être en Italie) se fonde principalement sur l’anthropologie philosophique. En France aussi le mot anthropologie signifie l’aspiration “à la con- naissance de l’homme dans sa généralité” (Cuisinier & Segalen 1987). 10 Anthropologie de l’éducation : pour un tour du monde Éducation et Sociétés n° 17/2006/1 Kathryn Anderson-Levitt Un deuxième domaine de l’anthropologie, dite anthropologie culturelle ou ethnologie, insiste sur la question : “Qu’est-ce que la culture, comment se forme- t-elle ?”. Puisque la culture indexe tout ce que les êtres humains apprennent au cours de la vie, tout ce qui n’est pas inné, l’apprentissage ou la transmission de la culture ressort comme la deuxième préoccupation de l’anthropologie de l’éduca- tion en lien avec la psychologie. Troisièmement, la tâche de comprendre les êtres humains demande de comprendre les institutions sociales. Ici, “l’anthropologie sociale” ou “anthropo- logie socioculturelle” recouvre plus ou moins le même domaine que la sociologie. Les distinctions d’un passé un peu mythique n’existent plus ; il n’est plus vrai que les sociologues s’occupent de chez nous et les anthropologues s’occupent du reste du monde ni que les sociologues emploient des méthodes quantitatives et l’anthropologie l’ethnographie. Les anthropologues de l’éducation aussi bien que des sociologues de l’éducation étudient “l’École” avec une majuscule. Quelles sont les fonctions de la scolarité dans la société, que veut dire devenir une per- sonne instruite, éduquée, socialisée ? Comment fonctionne l’établissement sco- laire dans ses rapports avec son environnement et comme mini-société propre ? Comment fonctionne la classe en tant que mini-société et mini-culture ? Telles sont les questions posées. Évidemment, les trois catégories s’entremêlent. Notamment, les études foca- lisées sur les salles de classes profitent à la fois d’une attention de l’anthropologie de l’apprentissage et de l’anthropologie de l’école (Candela, Rockwell & Coll 2004). L’ethnographie de l’éducation L’ethnographie de l’éducation est une méthodologie –ou plutôt une philo- sophie de la recherche– qui ressort en partie de l’anthropologie de l’éducation mais aussi de la sociologie qualitative de l’éducation. L’ethnographie étudie la vie quotidienne des gens, dans leur(s) contexte(s), en mettant l’accent sur des études longitudinales, permettant de les suivre pendant une période plus ou moins longue de leur vie (Beach, Gobbo, Jeffrey, Smyth & Troman 2004). Pour la plupart des ethnographes, leur discipline vise à com- prendre et à respecter les points de vue des membres des communautés étudiées, à suivre la formule qu’Ouyang présente dans ce dossier. Les ethnographes cher- chent à décrire les comportements observés, mais aussi à décrire comment les acteurs donnent sens à leur vie quotidienne. Autrement dit, ils s’intéressent à la culture (Anderson-Levitt 2006, van Maanen 1988). Cet intérêt pour le point de vue des acteurs, c’est-à-dire leur culture, est le point uploads/Societe et culture/ anthropologie-de-l-x27-e-ducation.pdf

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