Comment donner un avenir aux festivals ? Par Bernard Faivre-d'Arcier J’ai connu

Comment donner un avenir aux festivals ? Par Bernard Faivre-d'Arcier J’ai connu les festivals sous plusieurs angles : comme spectateur, comme directeur, comme représentant de la tutelle et j’appartiens à une « génération festival » qui a pris naissance dans le Sud de la France dans une ferveur et un tumulte devenus légendaires. Depuis, la formule a fait flores au point que le mot en est devenu d’un usage banal, trop banal. Je souhaite cerner l’avenir des festivals sous quatre angles. - la notion –même de festival - l’utilité sociale et artistique des festivals - le lien entre un festival et ses publics - la relation entre festival et collectivité territoriale A – La notion même de festival Même si on donne parfois au mot de festival une origine ancienne, la notion même de festival est relativement récente. Elle va de pair avec la civilisation des loisirs, les grandes migrations estivales, l’expansion des médias. Je ne pense pas, pour Avignon par exemple, que Jean Vilar (ou plus exactement les Zervos qui furent à l’origine, avec René Char, de l’idée avignonnaise) ait jamais imaginé le succès et surtout l’extension géographique du phénomène festivalier. Dans l’esprit de Jean Vilar, le festival était un moyen de plus pour regrouper un public jeune et lui faire partager les valeurs esthétiques et morales qu’il entendait promouvoir mais ce n’était qu’un moyen parmi d’autres. L’essentiel pour Vilar était le travail mené au sein du TNP et ses tournées, qu’elles soient estivales ou non. Mais, il s’est avéré qu’au lendemain de la seconde guerre mondiale, et dans l’esprit rénovateur que les milieux culturels de la Résistance 1 entendaient faire partager, les festivals sont nés au même moment et dans plusieurs pays. Aix-en-Provence est né un an seulement après Avignon et Edimbourg a le même âge qu’Avignon. C’est pourquoi on peut parler d’un phénomène à la fois social et historique qui correspondait à l’esprit du temps,qui était et reste consubstantiel à la société de loisirs et de communication qui est la nôtre. Depuis, les festivals n’ont cessé de se multiplier au point qu’on ne sait plus les dénombrer. Aux dernières statistiques, on chiffrait le nombre de festivals en Europe de l’Ouest à 3 000. Mais on en annonce toujours plus comme s’il s’agissait de la multiplication de petits pains bénits pour le tourisme et l’économie locale. La Hongrie, par exemple, affiche délibérément l’objectif d’un bon millier de manifestations que les autorités locales baptisent allègrement « festivals ». Le festival est-il soluble dans le tourisme ? N’y a-t-il point trop de festivals ? Le public n’est-il pas épuisé par le concept de festival ? À l’évidence il y a une saturation de ce qui est devenu plus une formule qu’un état d’esprit. Certains statisticiens en viennent à classer les festivals selon les catégories les plus diverses : la taille, la date, la discipline etc.… L’Europe fait étalage d’un nombre insensé de manifestations de tous ordres. En France, on souhaiterait ne réserver le terme de festival qu’aux manifestations tournées vers la création et notamment la création internationale. Car le vrai rôle d’un festival est d’aider les artistes à oser,à entreprendre des projets, des actions qu’ils n’auraient peut-être pas l’occasion de présenter dans le cadre d’institutions permanentes. Cependant, on ne peut laisser le label magique aux seuls festivals de création, lesquels restent d’ailleurs fort peu nombreux. Il faut bien reconnaître que les festivals continuent à jouer un grand rôle dans la diffusion des œuvres elles-mêmes et que c’est là un point positif. On sait que la France essaie de retrouver un certain équilibre entre production et diffusion dans le domaine du spectacle vivant. Une très 2 forte augmentation de l’offre des spectacles, voire une surproduction, a produit un encombrement des circuits de diffusion, une saturation de la communication, voire une certaine fatigue du public. On le sait, de plus en plus de spectacles sont de moins en moins diffusés et les festivals servent de bouffée d’oxygène à bien des spectacles dont certains d’ailleurs ne sont plus conçus qu’à cet effet. On le sait aussi, en France ce déséquilibre économique est, en dernière analyse, la cause de tous les maux des intermittents du spectacle. Il n’y a pas trop de spectacles s’il y a du public pour les rencontrer. Et donc, il n’y a pas trop de festivals s’ils sont capables d’accroître le nombre de spectateurs, d’élargir comme on dit « le cercle des connaisseurs ». Dans d’autres pays d’Europe, on n’en est pas, cependant, à se plaindre de saturation. Tout l’Est de l’Europe a adopté depuis longtemps la formule de festival, mais elles ne sont pas si nombreuses que cela les occasions de faire circuler d’un pays à un autre des œuvres, notamment dans le sens est/est. Par exemple,des pays baltes vers la Bulgarie ou de la Roumanie vers la Pologne, mais nul doute que la tendance lourde sera là aussi,dans cette partie du continent européen, celle de la multiplication des festivals. La forme festivalière a-t-elle encore gardé un sens ? Ce qui caractérisait un festival, c’était alors son caractère d’exception. Festival rime avec carnaval autant qu’avec estival. Je pense que ce qui a fait le succès d’Avignon et sa longévité, c’est qu’il se présente comme un événement dramatique lui-même. Et cela, dans le respect même des grandes règles du théâtre classique : une unité de temps, une unité de lieu, une unité d’action. Il est l’expression d’une boulimie qui se consume en trois semaines à l’intérieur de remparts… Tel est le visage que l’opinion publique a d’un festival et c’est la raison pour laquelle les grandes capitales européennes, du fait de leur étendue mais aussi de la profusion d’activités qu’elles offrent à tout moment de l’année, ont du mal à faire ressortir l’identité de leur festival. Et pourtant, 3 il n’y a pas de grande ville qui n’ait pas son ou ses festivals. Certaines d’ailleurs, de Bruxelles à Zagreb, occupent délibérément la totalité du calendrier et répartissent des festivals chaque mois de l’année. On a souvent opposé, comme s’ils étaient disposés en chiens de faïence les festivals - lieux de débauche culturelles et de fête insouciantes - à l’action des structures « permanentes », principales dépositaires de l’éducation culturelle par la fidélité et la rigueur constantes de leur action culturelle. Cette distinction n’est plus heureusement aussi marquée, parce que,d’une part les festivals tiennent un rôle d’initiation et de formation du public et offrent, en fin de compte, une forte visibilité aux lieux permanents et, d’autre part les centres de diffusion et de production artistiques savent désormais, pour ranimer la flamme de leur public, insérer des moments festivaliers dans leur programmation annuelle. Mais, il n’en reste pas moins que les festivals continuent d’apparaître aux yeux d’une fraction de l’opinion culturelle comme des événements plus légers et plus frivoles, trop soucieux de leur apparence médiatique et finalement trop nombreux ,pour envisager un travail sérieux à terme… B – A quoi servent donc les festivals aujourd’hui ? A en débattre avec beaucoup de responsables politiques locaux, il y a au moins quatre bonnes raisons d’organiser dans une ville un festival. 1) La première est de donner une nouvelle chance à la démocratisation de la culture. Le festival paraît d’un accès plus facile aux citoyens spectateurs que les institutions culturelles devant lesquelles on passe tous les jours mais dans lesquelles on ne rentre pas (pour diverses raisons : manque d’informations, coût du billet, obstacle culturel, crainte de ne pas être de ce monde). Dans un festival, on se risque plus allègrement et plus fréquemment. Surtout dans un festival de plein air : on profite de l’été, des vacances, on s’y fait des amis, on s’y risque en groupe, on y drague ; les spectacles paraissent plus accessibles et parfois même on 4 peut engager, de plein pied, des conversations avec les interprètes de la scène. Tout élu local soucieux comme il se doit de voir le maximum de citoyens électeurs se nourrir d’activités culturelles, se réjouit donc de toute période festivalière réussie et se prend à comparer le coût d’un événement de quelques jours au budget annuel d’une institution culturelle en le divisant par le nombre d’ « usagers » touchés par la grâce culturelle. C’est certainement le succès du théâtre de rue, du cirque, sans lesquels désormais il n’y aurait pas de festival avenant. Un accès facile paraît à l’élu local une condition, sinon une garantie de démocratisation de la culture. 2) Deuxièmement, proche de ce sentiment, est celui de l’impression ou l’illusion de créer du lien social et de renforcer une identité locale. Le festival est un onguent qui peut panser quelques déchirures sociales et permettre ou susciter l’occasion de nouvelles relations de voisinage, voire d’un relatif brassage social, ne fût-ce qu’un instant. Il peut aussi donner forme au désir identitaire, celui d’une communauté, celui d’un quartier, celui d’un milieu professionnel et on sait que certains élus aimeraient que les artistes s’engagent davantage dans le combat social, qui passe par la réduction des inégalités éducatives et culturelles. 3) L’argument, sans doute plus uploads/Societe et culture/ bfacomment-donner-un-avenir-aux-festivals.pdf

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