LE REGARD ÉLOIGNÉ D’où vient l’expression du « regard éloigné » ? L’expression

LE REGARD ÉLOIGNÉ D’où vient l’expression du « regard éloigné » ? L’expression du « regard éloigné » n’est pas celle de Montesquieu. Elle est employée par l’ethnologue Claude Lévi-Strauss et est également le titre d’un de ses recueil d’articles publié en 1983. À quoi renvoie cette expression ? Elle désigne le fait de voir la culture occidentale par le prisme de l’observation de l’étranger. L’expression renvoie ainsi à un exercice de décentrement par rapport à nos propres mœurs. Ainsi, Claude Lévi-Strauss explique : « À force de pratiquer cette gymnastique qui est d’introduire une grande distance entre lui- même et le sujet, l’ethnologue en arrive à regarder ce qui est près de lui comme si c’était très loin. Il ne voit alors plus sa propre société en tant que membre, mais comme d’autres observateurs placés loin d’elle dans le temps ou dans l’espace la regarderaient ». La technique du regard éloigné est donc un exercice de pensée pratiqué par l’ethnologue. Or, c’est bien cet exercice que pratique déjà Montesquieu au XVIIIe siècle tout au long des Lettres persanes. Pourquoi utiliser le procédé du regard éloigné ? -- > Le regard éloigné, décentré, distancié ou encore étranger est tout d’abord un instrument ou un outil au service d’une démarche critique et argumentative : il s’agit en effet de dénoncer les travers d’une société d’une façon subtile (le but est d’éviter la censure) mais efficace (cette technique permet le décentrement du point de vue du lecteur par rapport à sa propre culture et une certaine prise de recul). On peut ainsi parler de véritable stratégie argumentative chez les auteurs qui emploient ce procédé d’écriture. -- > Le regard éloigné est ainsi chez Montesquieu porteur d’une fausse naïveté, d’une fausse candeur, d’un pseudo-étonnement qui sont en revanche au service d’une vraie dénonciation : celle des mœurs des occidentaux et de leur ethnocentrisme (rappel : l’ethnocentrisme est la tendance à répudier toutes les manifestations culturelles et les comportements éloignés de ceux auxquels nous nous identifions. Il s’agit par extension de faire de sa propre culture la norme de référence absolue. Or, pour les philosophes des Lumières, il s’agit de défendre l’idée du relativisme culturel, autrement dit l’idée que toutes les cultures se valent et qu’il est impossible d’en établir une hiérarchie. Cette défense est sous-tendue par l’exigence de tolérance qui est un des idéaux des intellectuels du XVIIIe siècle). -- > Avec cette fausse candeur, le sous-entendu, l’implicite et l’ironie sont maniés : il s’agit de construire, non une critique frontale, mais en filigrane. -- > Le regard étranger nous permet d’opérer un décentrement par rapport à notre propre culture et de procéder à une autocritique : grâce à lui, nous apparaît à nouveau ce qui est d’ordinaire caché par l’habitude et devient ainsi une norme de référence (n’oublions pas que ce qui est considéré comme normal peut l’être grâce à la répétition est à l’habitude. La normalité n’est donc pas autre chose que l’habituel). Le regard éloigné que l’étranger porte sur nos mœurs nous permet d’observer ces dernières avec un œil neuf, objectif et exempt de préjugés : l’habituel (ce qu’on ne voit plus) peut ainsi apparaître sous la forme de l’incongru, du choquant, de l’illégitime ou du risible. Nous pouvons donc affirmer que le procédé du regard éloigné est une technique ambivalente : elle déconstruit un point de vue pour en reconstruire immédiatement et conjointement un autre. BANQUE DE CITATIONS SUR LE REGARD ÉLOIGNÉ Ces citations peuvent être utilisées pour une dissertation sur le regard éloigné ou une introduction d’analyse linéaire sur les textes de Diderot, Montaigne ou Montesquieu. Il ne faut jamais les citer simplement dans le développement d’une dissertation : si vous les employez, vous devez les expliquer et les commenter. « De même que les comédiens, attentifs à couvrir le rouge qui leur monte au front se vêtent de leur rôle, de même au moment de monter sur la scène du monde, où je ne me suis tenu jusqu’ici qu’en spectateur, je m’avance masqué », René DESCARTES, Méditations Métaphysiques. « L’homme doit regarder de très loin, vers des cultures très différentes de la sienne et apprendre en même temps à regarder sa propre culture de loin, comme s’il appartenait lui-même à une culture différente », Claude LÉVI-STRAUSS, L’Anthropologie face aux problèmes du monde moderne. « Le grand défaut des Européens est de philosopher toujours sur les origines des choses d’après ce qui se passe autour d’eux », Jean-Jacques ROUSSEAU, Essai sur l’origine des langues. « Chacun appelle barbarie ce qui n’est pas de son usage », MONTAIGNE, Essais, « Des cannibales ». « Le barbare, c’est d’abord l’homme qui croit à la barbarie », Claude LÉVI-STRAUSS, Race et histoire. « Entrer chez les gens pour déconcerter leurs idées, leur faire la surprise d’être surpris de ce qu’ils font, de ce qu’ils pensent, et qu’ils n’ont jamais conçu différent, c’est, au moyen de l’ingénuité feinte ou réelle, donner à ressentir toute la relativité d’une civilisation, d’une confiance habituelle dans l’ordre établi », Paul VALÉRY, Variété II (ici, Paul Valéry commente la stratégie argumentative de Montesquieu dans les Lettres persanes). À vous de compléter cette fiche par vos propres citations que vous récolterez au fil de vos lectures et de vos recherches ! uploads/Societe et culture/ fiche-regard-e-loigne-citations.pdf

  • 46
  • 0
  • 0
Afficher les détails des licences
Licence et utilisation
Gratuit pour un usage personnel Attribution requise
Partager