LES GRANDES VILLES ET LA CULTURE : DES ENJEUX CROISÉS Jean-Pierre Saez Observat

LES GRANDES VILLES ET LA CULTURE : DES ENJEUX CROISÉS Jean-Pierre Saez Observatoire des politiques culturelles | « L'Observatoire » 2008/2 N° 34 | pages 16 à 20 ISSN 1165-2675 DOI 10.3917/lobs.034.0016 Article disponible en ligne à l'adresse : -------------------------------------------------------------------------------------------------------------------- https://www.cairn.info/revue-l-observatoire-2008-2-page-16.htm -------------------------------------------------------------------------------------------------------------------- Distribution électronique Cairn.info pour Observatoire des politiques culturelles. © Observatoire des politiques culturelles. Tous droits réservés pour tous pays. La reproduction ou représentation de cet article, notamment par photocopie, n'est autorisée que dans les limites des conditions générales d'utilisation du site ou, le cas échéant, des conditions générales de la licence souscrite par votre établissement. 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Parler d’une ville conduit à mettre en évidence toutes sortes de qualités et de signes qui la caractérisent : une architecture, un agencement urbain, une couleur particulière, les monu- ments, les œuvres d’art dans l’espace public : « l’édification de la cité comme monument est indispensable à la cité comme communauté2 » souligne à cet égard le philosophe Marcel Hénaff. Mais une ville c’est aussi toute une histoire, les personnages qui la symbol- isent, une façon de vivre ensemble, les moments où la cité se rassemble – lors d’un événement artistique, culturel ou sportif par exemple. Autant de manières d’affirmer une identité, une person- nalité, de dire « je suis cette ville ». Cependant, une ville est d’abord le lieu de l’échange. Elle est d’autant plus dynamique qu’elle génère des relations intenses, entrecroisées, au sein de sa population, mais aussi entre cette popu- lation et son environnement, qu’il soit immédiat ou lointain. De l’Antiquité à l’époque contemporaine, la ville répond à une logique de réseau. Avec l’essor du phénomène de métropolisation, la multiplication et l’accélération de la mobilité des biens et des personnes, le développement de l’information et de la communication, la ville d’aujourd’hui s’apparente à un entrelacement toujours plus complexe de réseaux. Ses habitants ont désormais, grâce à Internet et aux autres technologies de l’information et de la communication (TIC), la faculté de se commuter instantanément avec le monde, de commercer, de se lier avec des partenaires dont l’éloignement physique peut aller de pair avec la proximité symbolique. Local et mondial entretiennent ainsi des relations d’une intensité inédite. Lieu d’échange, la ville est aussi – par conséquent, pourrait-on dire – un lieu de passion, de sentiments (mêlés), de désir : sans doute, l’intérêt de toute ville est-il de donner envie d’être aimée, d’être fière d’elle et aussi que l’on y vienne, que l’on y revienne, voire plus si affinité ! Bien sûr, il y a mille manières et mille raisons d’aimer une ville, ou tel ou tel de ses quartiers. Pierre Sansot nous a magistralement enseigné que, pour saisir « la poétique d’une ville », il nous faut toujours aller au-delà des apparences, de la séduction immédiate. La « vérité d’une ville » ne se loge pas dans ses quartiers résidentiels3…, il convient d’aller au-delà de ses apparences. Les imaginaires que la ville nourrit trouvent leurs sources aussi bien dans sa grande histoire, que dans ses plus intimes recoins (les fameux « passages », par exemple, chers à Walter Benjamin) ou ses quartiers populaires, lieux de vie et de sociabilité par excel- lence (bien qu’ils puissent être aussi des lieux de souffrance). Au bout du compte, la ville est – plus qu’un espace – une entité qui a vocation, à travers l’ensemble des échanges qu’elle suscite, à générer du transfert culturel. Cette capacité de transfert, constitue même la marque de fabrique des grandes cités du monde, un témoin de leur aptitude à se régénérer, un élément moteur de leur identité, voire le révélateur de leur puissance. Une ville correspond ainsi à une dynamique culturelle et interculturelle. Elle est mémoire, formes, manière d’échanger, élan vers le monde, pôle d’attraction des multiples figures de l’Autre, qu’il soit marchand ou étudiant, touriste, artiste ou travailleur migrant. La ville est une résultante d’interventions empiriques et d’une programmation plus ou moins visionnaire, de processus anthropo-sociologiques et de mouve- ments économiques au rythme désor- donné. Cependant, l’histoire urbaine ne nous enseigne-t-elle pas que les villes « Il n’est pas dit que Kublai Khan croit à tout ce que Marco Polo lui raconte quand il lui décrit les villes qu’il a visitées dans le cours de ses ambassades ». C’est ainsi que commence le roman d’Italo Calvino Les villes invisibles. Que peut bien signifi er l’écrivain italien à travers cette énigmatique supposition ? En premier lieu qu’une ville c’est un récit imaginaire, une représentation à laquelle les visiteurs de la ville, qu’ils soient réels ou virtuels, sont suscep- tibles de coopérer, un mythe dont ils peuvent s’avérer de très effi caces colporteurs. Jean-Pierre Saez © Observatoire des politiques culturelles | Téléchargé le 12/09/2022 sur www.cairn.info (IP: 37.166.226.112) © Observatoire des politiques culturelles | Téléchargé le 12/09/2022 sur www.cairn.info (IP: 37.166.226.112) l’Observatoire - No 34, décembre 2008 - dossier | page 17 les plus lisibles ou les plus remarqua- bles sont toujours celles qui accordent, par l’initiative privée et publique, par la volonté du prince, du mécène ou de l’État, une place essentielle à l’art et à la culture de leurs contemporains ? Quels sont les facteurs majeurs qui conditionnent, dans les sociétés ouvertes particulièrement, le devenir de la ville contemporaine et son projet culturel ? - La globalisation, qui ouvre la ville au monde, l’entraîne dans une logique de différenciation, de distinction, de compétition internationale et l’incite à développer ses coopérations exté- rieures ; - la métropolisation, c’est-à-dire la concentration des populations et des richesses humaines4. Certes, la ville se caractérise à la fois par son unité et par la diversité de son espace urbain. Cependant, l’accélération des processus de métropolisation confronte les villes à des phénomènes ambivalents d’agglomération et de déstructuration. Dans les mégapoles, le lien social, la cohérence spatiale et symbolique de la ville tendent à se déliter. Quand bien même la ville est une unité – quoique les mégapoles tendent à perdre cette qualité – elle se caractérise aussi par la diversité de son espace urbain ; - l’exigence d’une gouvernance terri- torialisée, c’est-à-dire impliquant une multiplicité d’acteurs dans le processus de décision politique : les différents échelons politico-institutionnels dont la ville dépend, mais aussi la société civile ainsi que les forces économiques et sociales directement liées au territoire urbain et intéressées par la décision ; - le rôle des technologies de l’information et de la communication (TIC) dans l’ensemble des activités humaines et donc des pratiques culturelles, ce qui génère un développement de la mise en réseau des individus tout en induisant leur déterritorialisation relative. Cet essor des TIC conduit à mettre en lumière son revers, que les villes doivent notamment assumer : la fracture numérique qui s’instaure entre ceux qui ont accès à Internet et ceux qui en sont privés ; - la nécessité pour toute ville d’ambition internationale de jouer sa partition dans l’économie créative (ou économie de l’immatériel) et la société de la connais- sance qui conjuguent recherche, éduca- tion, TIC, esprit d’innovation, culture et travail en réseau ; - la demande de démocratie qui appelle les pouvoirs locaux – à côté des pouvoirs centraux ou nationaux et du fait de la proximité qu’ils entretiennent avec les populations vivant sur leurs territoires – à être attentifs aux revendications culturelles, aux droits culturels diverse- ment considérés jusqu’ici dans le monde mais de plus en plus essentiels dans la perspective de préserver la cohésion sociale et le vivre ensemble ; - le principe de développement durable à l’aune duquel, en définitive, toute poli- tique culturelle métropolitaine devrait chercher à s’articuler, non seulement parce qu’il contient l’impératif de protec- tion de l’environnement et de solidarité intergénérationnelle comme impératif culturel, mais aussi parce qu’il renvoie à l’exigence de diversité culturelle, d’éducation et de citoyenneté. Examinons plus précisément sur quelles problématiques les politiques culturelles métropolitaines mettent aujourd’hui l’accent. On retiendra, au préalable, d’une part qu’elles ne formulent pas leurs objectifs de la même façon ou autour des mêmes concepts – traditions politico-philosophiques obligent –, même si l’on peut constater de nombreux points communs dans leurs orienta- tions, d’autre part qu’elles mobilisent des registres de légitimation éclectiques sur lesquels elles jouent de manière variable5. On peut uploads/Societe et culture/ grandes-villles-et-culture.pdf

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