Quaderni La communication : élément structurant du culturel Lucien Sfez Citer c
Quaderni La communication : élément structurant du culturel Lucien Sfez Citer ce document / Cite this document : Sfez Lucien. La communication : élément structurant du culturel. In: Quaderni, n°22, Hiver 1994. Exclusion-Intégration : la communication interculturelle. pp. 141-146. doi : 10.3406/quad.1994.1067 http://www.persee.fr/doc/quad_0987-1381_1994_num_22_1_1067 Document généré le 29/09/2015 ® ossier La communication : élément structurant du culturel Lucien Sfez (i) Avant de parler de la communication comme nouvel élément structurant le domaine culturel, il me paraît nécessaire d'élucider la question qui se pose aux gestionnaires de ce domaine : elle a en effet l'air d'aller de soi, ce qui est la pire chose qui puisse arriver à une question. Or, déjà au niveau des simples définitions, "domaine culturel" ou, comme on le nomme "le culturel", et la notion de culture ne se recouvrent pas. Peut- être même se trouvent-elles être en opposition. Les distinguer et les caractériser semble la première opération à effectuer. DÉFINITIONS 1. La culture. C'est une notion globale. Elle renvoie à un certain type de connaissance que les individus partagent - ou sont censés partager - en un point du temps et de l'espace déterminés. Ce type de connaissance concerne aussi bien des notions acquises par l'éducation, transitant par l'apprentissage de la langue, que des usages communs. (Concernant par exemple les modes de lecture, de regard et d'écoute, les attitudes face aux productions QUADERNI N"22 - HIVER 1994 LA COMMUNICATION : ÉLÉMENT STRUCTURANT DU CULTUREL 141 © intellectuelles, artistiques, sportives, ainsi que des usages de conversation, de jugement). Ceci se marque dans l'utilisation du verbe "être" (on est dans une culture, on ne peut y échapper). C'est une connaissance implicite, un savoir non su, sur le mode de l'évidence première, et dans ce sens, l'idée d'une action spécifique et explicite en vue de sa communication est non pertinent. La culture est le lieu naturel où chacun se trouve qu'il le veuille ou non. 2. Le domaine culturel. C'est là une individuation de la notion de culture. On passe d'un "état de choses" qu'une description peut prendre en compte, à un "objet" qu'une prescription institue comme souhaitable. Nous quittons la forme de l'être (être dans une culture) à celle de l'avoir, (avoir ou obtenir de la culture un peu ou beaucoup, le "de" étant partitif). En ce cas, la question de la communication de cet "avoir" peut se poser. En ce cas, on peut dès lors envisager des actions en faveur de sa transmission et de son extension. au fondement de cette visée : la volonté de rendre possible pour tous l'acquisition de certaines connaissances, l'accès à la compréhension et à l'appropriation d'un certain nombre de productions - jadis réservées à une élite. Mais il en est un autre qui est moins connu, c'est celui qui pose "le culturel" comme le paradigme impérial de la culture en général. Or quels sont les objets dont se compose le culturel ? Avant tout des productions artistiques, domaine de l'esthétique. Peinture, sculpture, danse, musique, théâtre, cinéma, vidéo, télévision, architecture, photographie, écritures. En sont plus ou moins exclues les sciences en général, la technique quand elle ne s'applique pas à ce qui est considéré comme "art", l'économie, le droit, l'histoire, la médecine, etc. C'est donc un domaine découpé dans "l'état des choses" comme un îlot au milieu d'un océan - il paraît difficile de lui faire jouer le rôle d'une culture globale. Je ne discuterai pas le principe qui est À moins d'un coup de force par lequel 142 LA COMMUNICATION : ÉLÉMENT STRUCTURANT DU CULTUREL QUADERNI N-22 - HIVER 1994 © l'esthétisation de tous les aspects d'une culture est recherchée. L'esthétique deviendrait ainsi le lieu commun, naturel, où se retrouveraient pour se transmettre "naturellement" tous les modes d'activités humaines produits dans une période donnée. Le présupposé sous-jacent à la visée est donc le suivant : la production artistique dessinerait un espace complet de toutes les connaissances possibles, environnerait et envelopperait toute chose, si bien qu'il deviendrait un milieu de vie, et participerait de la connaissance implicite qui est la caractéristique de la culture en général. Malheureusement, cette visée se heurte à la difficulté d'accéder à cette "culture" spécialisée, pour laquelle une longue éducation est nécessaire. Voici donc culture implicite et domaine culturel explicitement institués en contradiction. Comment faire passer le second dans le premier, une "bonne communication" le permettrait-elle ? Tel est le problème, jusqu'ici insoluble. renverser les termes. Au lieu de penser la communication comme un passage obligé, dans l' après coup, venant mettre, à grands frais, les uvres en circulation, avec les contradictions que nous venons de signaler, nous pourrions penser la communication comme structurant le domaine dans son ensemble parce qu'il serait aussi structurant de la culture globale. Autrement dit, la communication et ses technologies seraient constitutifs des deux notions de culture apparemment opposées. Cela reviendrait à poser le domaine dit culturel comme partie d'un ensemble qu'il ne recouvre pas. Ce serait partir des usages communs en matière de communication. Entreprendre de comprendre "comment" elle travaille, avant de préjuger des fins et de les imposer. Ce serait rendre possible une critique de ces moyens et sans doute dans le même temps inventer d'autres fins. LES ÉLÉMENTS STRUCTURANTS DE LA COMMUNICATION Mais peut-être convient-il de changer les données du problème : voire d'en Quels sont les principes directeurs de la communication aujourd'hui ? Dire QUADERNI N°22 - HIVER 1994 LA COMMUNICATION : ÉLÉMENT STRUCTURANT DU CULTUREL 143 © que la technologie y a une part de plus en plus importante est une banalité. Dire que son introduction en transforme la structure est une chose très différente et qui n'est pas toujours comprise. En effet derrière les objets techniques se tiennent des concepts qui les travaillent. Je les ai appelés en d'autres lieux les "technologies de l'esprit". Ce sont les concepts de réseau, de paradoxe, de bouclage, de construction de la réalité (ou simulation). Or bien qu'en tant que concepts ils passent inaperçus dans la culture générale de notre époque ils sont extrêmement actifs dans les usages ; nous pouvons dire que la culture globale de notre époque est celle d'une culture de la communication, c'est dire que ces concepts engendrent des pratiques communes à notre culture actuelle. viennent se brancher les artistes du monde entier : source d'informations, possibilité de rencontres "virtuelles"). L'auteur devient un point virtuellement présent dans un espace lui-même virtuel. L'ubiquité est exigée. Le bouclage : Dépend du réseau : l'auteur étant identifié au réseau, il doit jouer tous les rôles à la fois, devenir son propre producteur, son propre conservateur, le musée comme bouclage : "vous êtes bien sur le réseau" fla commande venant des organismes culturels est avalée par l'organisme lui-même, circularité du système). Auto-consommation et auto-exhibition. La simulation : Le réseau : Description du réseau, multi-entrées, extensibilité, labilité. Obligation de se connecter, disparition de la notion d'auteur. L'auteur c'est le méta-réseau (le réseau de tous les réseaux : les organismes pilotes du culturel) ou encore la connexion électronique des artistes sur un ordinateur interactif ("le café électronique", par exemple, ou S'il n'y a plus d'auteurs, reste l'auto- dénomination : "ceci est de l'art", est le label qui suffit à indiquer, dans le champ des activités possibles, le "domaine" artistique. Sont congédiées alors les notions de valeur esthétique, de valeurs dites réelles, substantielles (attachées à un objet précis, ayant des qualités sensibles). L'art est son image, et son image est celle du système de communication dans son ensemble. 144 LA COMMUNICATION : ÉLÉMENT STRUCTURANT DU CULTUREL QUADERNI N°22 - HIVER 1994 © J'emprunte cette description à l'ouvrage d'Anne Cauquelin L'art contemporain car elle paraît s' appliquer à tout le domaine culturel. Le système qu'elle décrit en structure toutes les activités : liaison en réseau des organismes culturels, reprise et répétition du même par les différents "événements", sponsoring des revues d'art par les galeries et parfois par les artistes eux-mêmes, obligation pour un événement de parcourir la chaîne des médias et de circuler à l'étranger, productions croisées, affichage des signatures sous lesquelles viennent se ranger les nouveaux venus dans le réseau. Multiplication des unités de production du culturel, multiplication de colloques, conférences, tables rondes où on retrouve les mêmes intervenants. Campagnes publicitaires : "l'année de la photo", "la fureur de lire", "la semaine du libraire" (qui produit le livre ? La maison d'édition, les différents prix, le libraire lui-même ? L'obligation d'avoir simultanément une version anglaise des textes littéraires). Cela revient à dire que la technologie n'est pas un simple moyen au service d'une communication supplémentaire d'une uvre déjà produite mais est devenue le fondement même de sa duction, la communication produit les uvres, produit le culturel. Et en cela ces productions ne sont pas isolées dans la culture globale. Elles sont des objets parmi d'autres dans le contexte contemporain. On peut trouver "cynique" cette constatation. On peut aussi s'en servir pour tenter de reformuler le domaine. De toutes façons, il semble qu'un principe de réalité soit nécessaire pour toute réflexion concernant la culture et sa transmission. Je dis "principe", car la pratique, elle est déjà uploads/Societe et culture/ la-communication-element-structurant-du-culturel-lucien-sfez 1 .pdf
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- Publié le Aoû 11, 2021
- Catégorie Society and Cultur...
- Langue French
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