Le pain, un objet culturel, sujet aux inter modalités sensorielles J.F.Basserea

Le pain, un objet culturel, sujet aux inter modalités sensorielles J.F.Bassereau, Professeur associé, ENSAM Directeur scientifique E.P .O.C.H., N. Simon, In Process, Doctorante Paris 7 Résumé Avant toute consommation le plus souvent quotidienne, le pain s’obtient par une approche cognitive, perceptive séquencée temporellement, « sur des modalités sensorielles et rationnelles » aussi (Cf. Le pain une image multi sensorielle). Mais le pain s’il se voit, ne se touche pas immédiatement, il a un nom, et un emballage qui vient le servir dans une image marchande qui varie suivant les lieux de vente et les dispositifs de mise en scène. Le pain a conservé les traces de ses décorations signifiantes. Nous proposons de les situer dans une première approche historique et culturelle. L ’occasion de découvrir les parcours de cet objet très particulier, sacralisé, puis sacré, profane mais conservant les décorations du sacré, standardisé puis, aujourd’hui particularisé. En effet, avec le pain « industriel» plutôt « moins bon qu’avant », depuis plusieurs années, les moulins, industries boulangères ont considérablement enrichi leur offre. Nous montrons l’hyper choix qui co existe et les discours qui accompagnent cet objet culturel qu’est le pain. Sa possession est directement liée à l’action « aller chercher son pain », que nous étudions. Nous étudions les enchaînements d’actômes et d’inter modalités sensorielles et leur mobilisation consciente ou non (dans leurs variations selon les saisonnalités, les temporalités, les dispositifs de présentation et de lieux de vente). Une première mise en émergence des diversités d’emballage, de discours (sémantique, linguistique, sémiotique et sensoriel...) est proposée accompagnant le pain. Nous montrons l’intérêt d’accéder une vraie culture sur la famille d’appartenance d’un objet au moment de le concevoir, ne serait-ce que pour s’en détacher, jouer avec ses codes, prolonger ou rompre une tendance. Introduction Il est possible de lire le message d’un objet, d’étudier ses ancêtres (Généalogie d’objets, Cf. Bassereau 97), de le situer dans son environnement, si spécifique soit-il pour nous aider à sa re conception. Ici, nous ne traitons que de clés de lecture pour comprendre l’objet dans un premier temps, et mieux le concevoir dans un second temps. Le pain, comme tout objet, lorsqu’il est perçu met en jeu un système de références intermodales. Leurs natures varient. Dans le temps, des souvenirs personnels liés à une expérience vécue surfissent, jusqu’à une perception immédiatement stockée et comparée, mais intervient un rapport d’échelle, d’un niveau intra individuel à un aspect sociétal ; la palette est large. Nous avons choisi un objet très particulier, quotidien qui possède une histoire riche, des statuts divers suivant les époques et les contextes. Le pain associé à la symbolique du français ? En tout cas, aujourd’hui, le pain est mis en scène, lui-même (forme, enveloppe, décoration), dans sa dénomination puis dans son emballage (la nature de celui-ci, les inscriptions qui y figurent), durant le trajet (la tenue du pain, les gestes associés à la marche), pendant le repas. Nous proposons d’apporter quelques clés de lecture pour comprendre comment cet objet est devenu si proche, en osmose avec nos pratiques culturelles. Le pain possède cette autonomie perceptive accompagnée d’un réseau de halos de signification qui fait sens. LE PAIN A SON ORIGINE Le mot « pain » dans le temps Pain n.m. du latin « panis » (dérivé du sanscrit pâ, nourrir) qui décrit l’objet alimentaire. Mais, l’aliment fait de farine pétrie et cuite prend aussi le sens de la nourriture en général celle de chaque jour : le pain quotidien. Les mots qui entourent le pain sont tous spécifiques et anciens1. Mais si l’étymologie renseigne 1 Selon Ducange, le nom de « Boulanger », serait à l'origine, pendant le moyen-âge, d’un pain présenté sous forme de boule. Le nom de « talemelier » est une corruption de « talmisier » ou « tamisier », qui elle nous garde aussi de contre sens. En effet, les mots de l’alimentation de la vie courante sont de faux amis dont il faut se méfier, (surtout quand on veut se faire comprendre en des langues différentes). « En anglais on mange des « foods », en français des aliments2. Le mot « aliment » a disparu de l’anglais actuel. Le sens du mot « food » ne concerne que l’apport nutritionnel. « La note de plaisir et d’évocation symbolique a disparu [...] mais en France, on semble refuser obstinément de nier le sens du désir et celui du symbole »3. Nous restons loin d’un épicurisme gaulois4 ; le cinéma a su avec « le Festin de Babette » scénariser cette réalité. Mais le langage n’est jamais innocent, et traduit toujours une réalité représentée, voire conceptualisée. En effet, « le langage des aliments est trop fluctuant et trop mystérieux pour qu’on puisse faire plus que signaler sa force. Bethléem, [par exemple, signifie « maison du pain » et annonce la sacralisation de l’objet alimentaire à travers une pratique quasi anthropophage5]. A la conception de l’aliment victime, s’est ajoutée celle de l’aliment fruit du travail, récompense ou équivalent d’une peine. « Que celui qui ne travaille pas ne mange pas » disait Paul »6. « Le pain se lève » était le cri de ralliement des premières révolutions populaires, celle des Jacques. Dans la valorisation des aliments, le prestige des conditions de travail qui les ont produites intervient puissamment, si bien que manger du pain, ce n’est pas seulement utiliser ses propriétés, c’est communiquer aux conditions du travail qui l’ont produit. Dans le cas du pain, son action nommée a fini par caractériser celui qui l’a réalisé. Ainsi, « boulanger » est avant tout le verbe qui décrit l’action de pétrir le pain et le faire cuire. Cette action a donné son nom à celui qui la réalise. Ainsi, une autre connotation vient s’ajouter à cette désignation première, le boulanger (la boulangère) fait le pain et le vend. proviendrait du tamis qu'utilisaient les boulanger pour séparer la farine du son. Le mot « panetier », vient du verbe oublié, « paneter ». 2 Le mot « aliment » existait pourtant dans l’encyclopédie britannique de 1848. Il désignait très exactement, comme en français, une denrée qui nourrit, c’est-à-dire qui comporte des nutriments, qui est appétente, c’est-à-dire qui stimule le désir de nos sens et est coutumière... » « ... c’est-à-dire a pris un sens évocateur symbolique dans la société ». TREMOLIERES J. Unité de Nutrition de l’Hôpital Bichat, Paris (1980). 3 TREMOLIERES J. , SERVILLE Y., JACQUOT R. - Manuel élémentaire d’alimentation humaine, Unité de Nutrition de l’Hôpital Bichat, 7ème éd., Paris (1977). 4 Montaigne remarque que « Nature a maternellement observé que les actes qui nous sont le plus nécessaires nous soient enjoints non seulement par la raison mais aussi par volupté [...] Y a-t-il quelque volupté qui me chatouille, je ne la laisse pas friponner aux sens. L ’âme doit y venir, non pour s’y engager mais pour s’y agréer, non pour s’y perdre mais pour s’y trouver. La tempérance n’est pas la peste de la volupté mais son assaisonnement ». MONTAIGNES 5 « Ceci est mon corps (en montrant le pain), prenez et mangez-le… » 6 Cf. CLAUDIAN J. , - « », Sciences et vie, N° H. Série 130, 1980, P . 29 Tous les aliments ont un statut particulier dans notre culture française, mais c’est en fait, pour le pain et le vin que cette extension de la valeur des aliments a été le mieux exprimée, et que le langage l’a utilisé autant en images qu’en métaphores. Le compagnon, est celui avec qui on partage le pain, littéralement. Le langage populaire mobilise souvent la représentation du pain. Les expressions du pain Parmi plusieurs expressions populaire, emprunte de bon sens et utilisant le pain de manière imagée ou symbolique. D’autres sont rejetés au terme de cet article. A pain de quinzaine, faim de trois semaines, du temps où l’on faisait son pain soi-même (comme son beurre), si on mangeait trop vite son stock, il fallait attendre la fournée suivante souvent sur un rythme mensuel. Avoir du pain sur la planche, avoir du travail pour longtemps, puis aujourd’hui avoir beaucoup de travail à réaliser Avoir mangé son pain blanc le premier, avoir été heureux dans sa jeunesse et ne l'être plus Avoir son pain cuit, avoir sa vie assurée Au pain sec et à l’eau, survivre plus que vivre Bon comme le bon pain, charitable, bienveillant, doux c’est pain béni, il a bien mérité ce qui lui arrive Gagner son pain à la sueur de son front, gagner durement sa vie "ils n'ont pas de pain? qu'ils mangent de la brioche!" (1785) Réflexion attribuée à la Reine Marie Antoinette, s’étonnant de voir le peule criant famine devant les portes de son Château. Long comme un jour sans pain, triste, ennuyeux manger son pain blanc, avoir épuisé ce qui était le meilleur ne pas en perdre une miette, ne rien laisser, être attentif Oter le pain de la main à quelqu'un, lui ôter le moyen de subsister Pain tant qu'il dure, mais vin à mesure, le pain se mange sans retenu, le uploads/Societe et culture/ le-pain.pdf

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