1 La crise identitaire dans l’architecture en Algérie Pr. Said MAZOUZ e-mail :
1 La crise identitaire dans l’architecture en Algérie Pr. Said MAZOUZ e-mail : s_mazouz_dz@yahoo.fr Quand on commence à s’interroger sur la manière d’exprimer l’identité nationale au XIXe siècle, l’architecture se révèle un instrument efficace : art public par excellence (…), accueillir le visiteur étranger et lui offrir la quintessence du pays qui l’a produite. Influencée par le climat, construite avec les matériaux du sol où elle est érigée, l’architecture reflète en même temps le degré de culture de ses bâtisseurs. Ainsi, l’image d’une nation se construit en même temps que son architecture. Carmen POPESCU Introduction La prise de conscience sans cesse grandissante des intellectuels de la médiocrité de la production architecturale algérienne incite à une réflexion à même d’amener politiques, gestionnaires et praticiens, architectes et urbanistes, à opérer une véritable révolution dans les mentalités et les pratiques si nous aspirons construire la ville de demain, celle dans laquelle s’épanouiraient les générations futuresi. La crise est bien réelle et la ville algérienne est malade de son architecture. La production architecturale, victime du mercantilisme, du clientélisme et de la gabegie, a du mal à affirmer sa singularité, sa contextualisation et son identité. Les quelques projets de qualité réalisés ces dernières années sont l’arbre qui cache la forêt et demeurent peu nombreux pour infléchir la tendance généralisée qui oscille entre un ancrage identitaire de façade et un universalisme sans âme. Il faut souligner que malgré la redynamisation du secteur du B.T.P par les pouvoirs publics, l’existence d’une forte commande publique et privée, la construction de centaines de milliers de logements, de dizaines d’équipements publics, d’infrastructures scolaires et universitaires, la qualité des ouvrages reste un sujet abordé de manière superficielle par des officiels ou des journalistes non spécialisés. 1. De l’identité et de son rapport au bâti L’identité est définie comme étant « le caractère permanent de quelqu'un, d'un groupe, qui fait son individualité, sa singularité »1 . A la lumière de cette définition, il est aisé de constater avec Fredj Stambouli (que) le monde musulman actuel vit une crise sémiotique profonde et qui est aisément lisible sur l’environnement bâti et architectural des sociétés musulmanes contemporaines. Cette crise est perçue comme étant « la conséquence d'une longue et brutale rupture de ces sociétés avec leur mémoire collective et leur système normatif ». Rapoport qui a été parmi les théoriciens architectes précurseurs dans ce domaine donne les définitions suivantes : (the) “unchanging nature of something under varying aspects 1 Le Larousse en ligne. 2 or conditions.” La deuxième définition met l’accent sur le caractère “d’être une chose et non une autre” “condition of being one thing and not another.” La notion de noyau culturel (cultural core) développée par Rapoport signifie que chaque culture comporte en son sein un noyau dur comprenant les dimensions les plus immuables, les plus inamovibles de son identité culturelle. Il fait la différence entre ces valeurs et des valeurs considérées comme périphériques (peripheral values) qui peuvent changer au gré des circonstances de la vie. A contrario, le noyau culturel continue comme un facteur déterminant dans la création de l’identité individuelle et un mécanisme par lequel les membres d’une communauté communiquent leur identité collective. Des lors, les questionnements autour de la question d’identité s’articulent autour de la légitimité et si elle doit être perçue comme étant la réponse à un besoin ou à une réaction face à une menace ? Et sur quel arsenal de valeurs doit-elle s’appuyer? En Algérie et malgré les discours politiques récurrents faisant état d’une définition d’une culture ‘algérienne’, fondée sur ses trois piliers fondamentaux (l’islamité, l’arabité et l’amazighité), le paysage culturel dans notre pays rend compte d’une réalité différente. A l’instar des pays appartenant à la sphère culturelle et géographique arabe, l’identité algérienne continue d’hésiter sur un arrimage particulier ; doit elle s’appuyer sur sa dimension locale ? Sur la dimension « arabe » et l’appartenance doit-elle être linguistique ou ethnique ? Ou, plutôt islamique de par la religion et l’histoire commune ou doit elle investir les récents concepts régionaux « méditerranée, « Afrique du nord », « Maghreb » « moyen orient », reflets d’un nouvel ordre géopolitique. (Erribat, 2008) Dans la sphère géographique « arabe », l’identité est tantôt arabe (arabiste) tantôt islamique, souvent arabo- islamique, avec la perception que les deux concepts sont liés et que l’un va rarement sans l’autre. Avec l’avènement de la globalisation et l’émergence d’un nouvel ordre international symbolisé par le « village planétaire », les identités régionales enregistrent un regain d’actualité ; l’objectif étant de ne pas se mouvoir et se laisser dévorer par le nouvel ordre. Le patrimoine matériel et immatériel constitue l’un des refuges en vue de la préservation de l’identité culturelle. La notion de patrimoine, qui constitue la référence identitaire, n’est pas dénuée de charge idéologique et reste fortement arrimée aux politiques locales de chaque pays. La production artistique en général et architecturale et urbaine en particulier, demeure l’un des boucliers de préservation de l’identité culturelle. La posture la plus répandue étant de puiser dans le patrimoine pour produire des espaces et des formes dont la symbolique renvoie à des repères culturels connus et partagés. La question qui se pose est alors : Quel est le rapport de la production architecturale contemporaine en Algérie avec le tryptique (patrimoine, identité et globalisation) ? En sus des problématiques d’appartenance à des sphères géopolitiques et civilisationnelles, se pose dans le « monde arabe » la question des identités régionales qui ressurgissent à la faveur des échecs répétés des discours unionistes et panarabistes. L’identité se conjugue désormais dans l’appartenance à l’état et se confine à ses limites géographiques et physiques. Ce postulat soulève nombre de questionnements dont : la nature de identité locale ; 3 est-ce une identité qui découle d’une culture bien déterminée ; est-ce une identité d’un peuple ; ou un parcours historique particulier qui a forgé ladite identité, avec des conditions politiques et particulières conjuguées à un destin commun. Et doit-t-on se contenter de cette acception ou rechercher des frontières plus larges ? 2. Notion de patrimoine Le patrimoine comme concept occupe une place de choix dans le discours culturel et architectural, particulièrement s’agissant de la dualité identité – modernité. Avec l’avènement de ma mondialisation, la question du « retour » au patrimoine qui prend, d’après Djabiri (1990) cité par Erribat (2008) deux postures : 1. Une posture d’appui (irtikaz) qui prône une prise de conscience de l’importance du patrimoine et de la nécessité de sa redécouverte et de sa relecture pour qu’il puisse prendre sa place légitime dans le présent ; c’est une « lecture patrimoniale du patrimoine », selon les termes utilisés par l’auteur. 2. Une posture de « patrimoine protecteur » (ihtimaa), conçu comme bouclier contre les invasions culturelles extérieures à l’époque de la mondialisation. Cette dernière représente une lecture patrimoniale du présent (moderne). 3. Ces deux postures sont jugées par l’auteur comme dangereuses car elles consacrent la dominance du passé sur le présent. Quant à la lecture porteuse de novations et ouverte sur le présent et l’avenir est celle qui consacre la lecture « moderne » du patrimoine. Et c’est cette dernière qui semble privilégiée par les partisans d’une synthèse entre la tradition et la modernité. 2.1 Le patrimoine : un shift paradigmatique Le concept de patrimoine a subi un shift paradigmatique allant du matériel à objets (monuments et bâtiments objets), à l’immatérialité et aux valeurs intellectuelles. Nous retiendrons particulièrement l’évolution du patrimoine rigide, intolérant, hérité à un patrimoine source de renouvellement et de médiation entre les cultures, réduisant les frontières entre ‘dominant’ et ‘émergent’, et entre majeur et mineur et tendant vers plus d’humanisme, comme l’illustre la figure 1. Ce postulat nous ramène à la question de la lecture et de l’interprétation du patrimoine qui doivent être nourries par de nouveaux éclairages basés sur des outils et des méthodes nouvelles. 2.2. Le patrimoine et identité : de quoi parle-t-on ? Dag MYKLEBUST définit l’identité comme étant ‘…manifestement le résultat d'un processus qui nous guide dans les choix que nous avons à faire dans la vie quotidienne. Il semble aussi qu'il y ait désormais un consensus général autour de l'idée que nous possédons tous une série d'identités différentes que nous appliquons selon les situations. Le même auteur relie le concept d’identité à deux autres qui sont : l’altérité et l’universalité. (Myklebust, 2005). Dans le même ordre d’idées, les recommandations du séminaire intitulé : « Le patrimoine culturel et sa pédagogie: un facteur de tolérance, de civisme et d'intégration sociale », tenu par le Conseil de l’Europe en aout 1995 à Bruxelles, met l’accent dans ses recommandations finales sur la nécessité d’une analyse critique des tendances actuelles et le développement d’un nouveau cadre théorique et ses applications dans le domaine du patrimoine bâti. Il s’agit notamment d’élargir le concept de patrimoine à l’architecture dite « mineure », aux structures anthropiques à grande échelle et aux paysages culturels, de développer des connaissances sur la morphogenèse des milieux bâtis et de remettre en question les fondements idéologiques des théories de la restauration, notamment de la notion uploads/Societe et culture/ la-crise-identitaire-dans-larchitecture-en-algerie-def.pdf
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- Publié le Dec 13, 2022
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