Gilbert Gagné, direction scientifique. Destiny Tchéhouali, rédaction Centre d’é
Gilbert Gagné, direction scientifique. Destiny Tchéhouali, rédaction Centre d’études sur l’intégration et la mondialisation Les plateformes numériques de commercialisation de biens et services culturels : « ubérisation » ou démocratisation de la culture ? Volume 10, numéro 5, juin 2015 Résumé analytique Le numéro de ce mois propose une réflexion sur le rôle et l’influence des plateformes d’intermédiation numérique dans la circulation des biens et services culturels. D’abord, nous traitons du phénomène d’ « ubérisation » de la culture que nous associons à un bouleversement des chaînes de valeur des activités culturelles dû à l’arrivée de nouveaux intermédiaires sur le marché des biens et services culturels et nous questionnons le positionnement et la légitimité des intermédiaires et des circuits dits « traditionnels » de la production, de la diffusion et de la distribution d’œuvres culturelles. Ensuite, nous étudions la possibilité d’une réforme ciblée de la directive européenne sur le commerce électronique, en procédant à une réactualisation des débats qui se concentrent sur la responsabilité des intermédiaires techniques. Un autre sujet abordé dans ce numéro est la croissance rapide du marché de l’art en ligne et l’analyse des nouveaux comportements des acheteurs actifs d’objets d’art sur les plateformes numériques. Nous proposons par la suite une synthèse de l’étude de la Chambre de commerce du Montréal métropolitain sur l’impact de l’économie sur la créativité de la culture montréalaise, en nous intéressant principalement à la transition numérique du secteur culturel. Enfin, le bulletin s’achève sur un exemple de mesure incitative pour la coproduction de médias numériques interactifs dans le cadre d’une coopération entre la Belgique et le Canada. Bonne lecture. Nous en profitons pour vous informer que dans les numéros qui suivent nous nous pencherons sur le dixième anniversaire de la Convention 2005 de l’UNESCO, en tenant compte des nombreux événements qui se sont tenus (au Canada et en Europe) au cours des mois de mai et de juin et s’inscrivant dans le cadre des célébrations de cet anniversaire. La parole sera notamment donnée à plusieurs acteurs et témoins-clés de l’adoption et de la mise en œuvre de la Convention. Table des matières Les plateformes numériques de commercialisation de biens et services culturels : "ubérisation" ou démocratisation de la culture ? .................................................. 2 La réforme de la directive européenne sur le commerce électronique : La responsabilité des intermédiaires techniques en question ............................................. 5 L'achat d'objets d'arts en ligne : un secteur en plein essor ..................... 7 La part du numérique dans l'économie de la culture à Montréal : entre dynamisme et adaptation .............................................. 9 Mesure incitative pour les médias numériques interactifs : Une coopération exemplaire entre la Belgique et le Canada ........... 11 Culture, commerce et numérique | Volume 10, numéro 5, juin 2015 2 Le commerce numérique des biens et services culturels : « ubérisation » ou démocratisation de la culture ? En décembre 2014, Maurice Levy, PDG de Publicis (troisième plus grand groupe publicitaire dans le monde), expliquait lors d’une entrevue au Financial Times la nouvelle inquiétude des patrons des grandes compagnies de « se faire ubériser ». Depuis ce moment, l’expression a souvent été reprise aussi bien dans la presse que dans le milieu des affaires pour illustrer comment la phénoménale accélération du numérique remet en cause les activités historiques de certaines corporations professionnelles, en brisant les règles établies et en bouleversant par la même occasion les modèles économiques traditionnels de nombreux secteurs d’activité. Rappelons que le terme « ubériser » tire son origine du nom de la startup californienne Uber, connue pour son application mobile « UberX » qui permet une mise en relation avec des chauffeurs de véhicules de tourisme sans licence de taxi. L’application UberX permet ainsi à tout un chacun d'offrir ses services de taxi ou d'obtenir des services de taxi de la part de citoyens sans passer par les taxis de la ville. Elle suscite de nombreuses polémiques, particulièrement en Europe et en France, compte tenu des contestations des chauffeurs de taxi. Avec l’arrivée de nouveaux entrants (plateformes numériques d’intermédiation) sur le marché de la consommation culturelle et tenant compte de la croissance des échanges et du commerce en ligne de biens et services culturels via ces nouvelles plateformes numériques transnationales (Amazon, iTunes, Netflix, Youtube,…), on peut se demander si on assiste pas à un phénomène d’« ubérisation » de l’offre culturelle mondialisée à l’heure du numérique, remettant en cause les moyens dits traditionnels d’accès à la culture ainsi que l’ensemble des activités d’intermédiaires dans les arts et les industries créatives, notamment à l’échelle locale, territoriale ? Anthony Mahé, sociologue à l’Observatoire Société et Consommation (ObSoCo), rapportait dans un article du Huffington Post que « les produits culturels sont un des fers de lance du e-commerce avec une part de marché d'environ 21% du commerce en ligne, sachant que le secteur e- marchand représente 5 à 6% du marché total du commerce de détail. Cinquante-et-un pour cent des internautes ont acheté au moins un produit culturel en ligne, et les produits culturels ont représenté plus de la moitié des e-achats de Noël en fin 2014». S’il est réconfortant de noter des progrès en matière de démocratisation et d’accès/consommation de l’offre culturelle en lien avec la croissance du partage et de la consommation de biens et services culturels en ligne, un tel constat inquiète cependant certains observateurs qui rappellent les risques d’uniformisation culturelle liés au monopole de certains géants du e-commerce tels que Amazon et aux stratégies de croissance de start-up et d’entreprises culturelles émergentes au sein de l’économie numérique. Si l’on considère Internet comme étant le plus grand magasin du monde, il est certain que les acteurs proposant des plateformes et services de commerce en ligne de produits culturels possèdent l'avantage d'une plus grande accessibilité géographique à la culture et à sa diffusion, d’autant plus que tout le monde n'a pas accès à un libraire, un bibliothécaire ou à un disquaire à proximité de son domicile ou dans son quartier. Vu sous cet angle, ce serait une position extrême de considérer des acteurs tels que Amazon comme les ennemis ou les parasites de la culture alors qu’ils jouent plutôt un rôle Culture, commerce et numérique | Volume 10, numéro 5, juin 2015 3 de relais ou de diffusion de la culture là où les politiques publiques ont failli à la mise en place d’institutions et de lieux culturels, d’équipements et d’infrastructures publiques de médiation culturelle. Mais outre son rôle controversé de diffusion/distribution, ce qui préoccupe encore plus les acteurs du milieu de l’édition, ce sont les risques éventuels d’uniformisation de son catalogue d’accès illimité à une offre illégale de livres numériques et sa politique de prix des livres numériques inéquitable du point de vue de la rémunération en baisse des éditeurs et auteurs et du point de vue de la réglementation nationale du secteur du livre. En France, par exemple, Amazon structure son offre d’abonnement « Kindle Unlimited » autour d’une stratégie de titres autoédités et orientés vers la demande et les besoins des consommateurs, remettant en question les structures du marché du livre, construites historiquement autour de l’offre et en fonction des besoins des éditeurs. Par ailleurs, étant donné que le numérique offre la possibilité de toucher simultanément un nombre illimité de personnes à travers une stratégie d’économie d’échelle, les effets combinés de la vitesse de distribution des œuvres et de la taille critique de consommateurs potentiels expliquent certainement les tensions autour de l’inégale répartition des risques et des bénéfices du capitalisme dit « culturel » ainsi que le déséquilibre de la chaîne des valeurs entre les auteurs/éditeurs et les nouveaux intermédiaires (Jeanpierre et Roueff, 2014). Dans ce contexte, on ne peut contester le fait que le rôle des opérateurs de l’intermédiation culturelle dans l’univers de la création tend à être de plus en plus marginalisé à l’ère du numérique, car on se concentre plus sur les artistes, leur talent et la capacité de leur œuvre à rencontrer un public, en oubliant tout le travail des intermédiaires qui, en amont, rendent possible l’existence de l’œuvre et qui, en aval, contribuent à sa valorisation, à sa reconnaissance, voire à sa réappropriation tant sur le plan social que sur le plan culturel et artistique. Dans un contexte de dématérialisation et de numérisation croissante des œuvres culturelles, les fonctions classiques d’intermédiation dans le secteur des arts, de l’audiovisuel ou de l’édition, pour ne citer que ces filières des industries culturelles, se trouvent ainsi déstabilisées par un double processus de « désintermédiation-réintermédiation » induit par l’arrivée de nouveaux intermédiaires. Le phénomène d’ « ubérisation » qui se produit alors n’est pas celui d’une désintermédiation totale du marché, puisque les nouveaux entrants ne viennent pas définitivement exclure les intermédiaires traditionnels, mais le plus souvent comme dans le cas des taxis Uber, les nouveaux intermédiaires s’imposent rapidement grâce à leur capacité à proposer un service innovant et à forte valeur ajoutée et à opérer globalement et donc atteindre une taille critique, créant ainsi un monopole plus global et contre lequel il est difficile de lutter. Ces nouvelles plateformes d’e-commerce, de uploads/Societe et culture/ oif-volume10-numero5juin-2015ceim-vf.pdf
Documents similaires
-
14
-
0
-
0
Licence et utilisation
Gratuit pour un usage personnel Attribution requise- Détails
- Publié le Sep 18, 2022
- Catégorie Society and Cultur...
- Langue French
- Taille du fichier 0.6206MB