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Philopsis La culture Marc Babonnaud.doc © Marc Babonnaud - Philopsis 2006 1 La culture Les limites de la culture Marc Babonnaud Philopsis : Revue numérique http://www.philopsis.fr Les articles publiés sur Philopsis sont protégés par le droit d'auteur. Toute reproduction intégrale ou partielle doit faire l'objet d'une demande d'autorisation auprès des éditeurs et des auteurs. Vous pouvez citer librement cet article en en mentionnant l’auteur et la provenance. A la fois tristesse devant le constat qu’une culture peut avoir atteint ses limites (décadence, affaiblissement, perte de sa puissance...) et crainte devant le caractère illimité d’une culture (dans un système politique qui se veut total, dans une puissance technique qui rend tout possible et donc qui ne laisse rien deviner ni prévoir..). Ambivalence par rapport à la culture dont on craint toujours de voir apparaître les limites qui en signifieraient le terme prochain, et dont le caractère illimité inquiète parce qu’il rend l’avenir incertain, imprévisible, parce qu’il risque d’échapper au contrôle humain. Ambivalence qui tient à la condition humaine : dans sa nécessaire finitude temporelle, l’homme est limité ; mais de par cette même nature, il appréhende ce qui dépasse cette finitude, ce qui se présente comme illimité. Car l’illimité peut toujours prendre le sens de ce qui est indéterminé, chaotique, bref peut toujours s’apparenter au néant. C’est la même crainte du néant qui nous fait craindre la limite et qui nous la fait espérer. Culture présente cette ambivalence : elle crée des oeuvres, cherche à pérenniser ce que les hommes ont fait, elle peut s’accompagner d’une volonté de progrès ; cherche à orienter les actions humaines par une finalité ; veut durer et construire. En même temps culture crée des normes, fixe des limites, vit des interdits qu’elle crée et par lesquels elle cherche à se maintenir. Culture n’est pas le monde de l’indéfini des possibles mais celui de la détermination : une culture exclut, empêche, résiste. Il existe une critique de la culture occidentale qui consiste à en dénoncer les prétentions à l’absoluité ; à montrer que les valeurs qu’elle affirme, les systèmes de rationalité et d’organisation politique qu’on y trouve Philopsis La culture Marc Babonnaud.doc © Marc Babonnaud - Philopsis 2006 2 (la vérité, la démocratie, la liberté…) ne peuvent, dans la forme qu’elles prennent à l’intérieur de cette culture, prétendre à l’absolu. Même si on reconnaît en la liberté une valeur, on ne peut affirmer qu’elle trouverait son expression la plus aboutie dans l’Etat démocratique par exemple, justement parce qu’il existe toujours imparfaitement par rapport à ce qu’il prétend être. Toute réalisation effective, parce qu’elle est particulière, est limitée. La liberté existe dans la décision individuelle qui n’est pas encore la reconnaissance par l’Etat de la liberté comme ce en quoi elle s’accomplit. Ou encore la culture des Anciens bute sur celles des Modernes. Les modernes du 17ème sont encore déterminés par les anciens auxquels ils s’opposent ; ils existent dans cette opposition et non par eux-mêmes. Cela veut-il dire que toute culture est limitée au sens où ses prétentions ne sont que des illusions ? Au sens où elle est toujours inaboutie ? La liberté qu’on y rencontre ne serait que partielle (l’individualisme), la rationalité une forme seulement de la rationalité (scientifique positiviste par exemple). A ce titre elle n’affirmerait ses valeurs que sur le mode de l’arbitraire : la force serait son droit ; c’est son moment de domination dans l’histoire mondiale qui lui donnerait le pouvoir de s’affirmer comme culture dominante. C’est donc illégitimement comme culture universelle qu’elle dominerait, car il ne s’agit que d’une culture particulière et à ce titre contingente. A cette limite fait écho une autre limite : historique cette fois, dont témoigne l’inexorable déclin de toute culture (cf. Spengler, Le déclin de l’occident) : si toute culture est vouée à disparaître, à dominer momentanément puis à sombrer, alors l’impression générale peut bien être de conclure à la limite de toute culture pour dresser le tableau général d’un théâtre de cultures contingentes où aucune n’émerge pour laisser une emprunte définitive et indélébile. Vouée à disparaître aucune n’est pleine et entière, aucune ne l’est plus qu’une autre ; toutes sont limitées c’est-à-dire finies et contingentes. Cependant à penser la culture limitée en ce sens, on la ferme paradoxalement sur elle-même alors qu’on prétendait l’ouvrir aux autres. Marquer sa limite comme relativité conduit à penser qu’elles ne peuvent que se heurter les unes aux autres, que toutes les confrontations, tous les rapports de force sont illégitimes du fait de leur limite respective. Aucune n’a plus de droit qu’une autre et toute domination est une usurpation par laquelle une culture menace l’existence et la richesse des autres. Il existe une prétention à l’universalité dans toutes grande culture et comme le dit Hegel, elle devient grande par cette volonté d’entrer dans l’histoire universelle.1 Comme culture elle ne se détermine pas comme particulière ni relative mais comme universelle et absolue. Car c’est comme relative qu’elle se fermerait aux autres et mourrait. Dire que chacune a un droit égal revient à annuler toute action, toute vie de la culture par laquelle elle critique, cherche à conquérir des domaines qui lui étaient étrangers, impose des styles en art, des formes de gouvernement en politique, des mœurs et des organisations sociales. En 1 Nous renvoyons aux p. 59 & sq des Leçons sur la philosophie de l’histoire de Hegel (Vrin, trad. Gibelin, 1987.) Philopsis La culture Marc Babonnaud.doc © Marc Babonnaud - Philopsis 2006 3 se pensant comme relative elle s’interdit toute intrusion dans ce qui lui est étranger et meurt d’un respect qui la paralyse. Entendue en ce sens la limite isole la culture. C’est en se pensant comme limitées qu’elles risquent de se perdre les unes les autres. Car, paradoxalement, dans sa prétention à l’universel la culture rencontre l’altérité. Dans cette prétention elle se heurte aux autres cultures qui vont s’opposer à elle.2 Ce n’est pas elle qui se pense comme limitée, au contraire elle aspire à la réalisation totale, à voir ses idées gouverner le monde. A ce titre, la culture vit une double réalité : elle veut dépasser les limites que les autres cultures lui imposent et par là elle rencontre ces mêmes limite dont elle a besoin pour exister. Comme illimitée elle n’existe plus : entendons par là sans la rencontre avec une altérité extérieure ou bien sans rencontrer une limite interne, elle n’a plus de vie car celle-ci vient du rapport au négatif. (Cf. Leçons sur la philosophie de l’histoire p. 63-64.) En étant satisfaite, en se pensant comme réalisée une culture est en paix et perd l’esprit qui l’animait et lui donnait le ressort de fabriquer son propre présent. Elle s’absente à elle-même, fonctionne seulement, s’en remet à l’inertie de ses institutions, de ses mœurs qui ont vocation à durer. Ici ce sont les bornes internes qu’elle se présente comme devant dépasser qui lui donnent force et vie. En pensant un devoir être, une culture pose une borne qu’il va lui falloir dépasser, mais c’est parce qu’il y une borne qu’il lui faut la dépasser. Elle n’est donc pas une restriction mais au contraire la condition d’un développement de soi. Sans limite elle ne peut aspirer à aucun accomplissement. La limite est également le principe de son être : limite est une définition de soi par rapport à l’autre : je suis à partir de ce que j’exclus comme autre. Le mouvement de négation est premier ; il est ce par rapport à quoi je me constitue : si le polythéisme ou le paganisme sont la barbarie, je suis en tant que je les refuse. Une culture se pose à travers ce qu’elle rejette de l’autre : il n’y a pas de définition de soi par soi, mais dans un premier temps de soi comme n’étant pas l’autre. Par ce déni, l’autre n’est pourtant pas réduit à l’inexistence puisque c’est par lui que je suis. Le rejet d’un style en art est en même temps la condition de sa survivance : il continue d’exister en ce qui le rejette ; c’est comme oubli qu’il est détruit. Une culture n’existe pas seule, elle a besoin de l’autre pour se définir et s’imposer. C’est parce qu’elles sont limitées que les cultures existent, qu’elles existent comme plurielles, mais pas comme relatives ni contingentes. « La limite est le non-être de l’autre » : elle est figure du déni à l’autre ; la définition de cet autre comme n’ayant pas droit à être. Limite empêche, interdit à l’autre de venir en soi. Mais comme la limite est celle de quelque chose, ce qui est nié est par là-même affirmé. Dans sa lutte contre les autres modèles dominants, une 2 Pour des analyses de la limite, de la différence entre la limite et la borne, nous renvoyons à La science de la logique de Hegel, Tome I, chap. 2 B (Paris, Aubier, trad. Labarrière, Jraczyk, p. 96 & sq.) Cf. également le § 109, des Principes de la philosophie du droit. Philopsis La culture Marc Babonnaud.doc © Marc uploads/Societe et culture/ pdf-culture-limites-babonnaud.pdf

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