Revue de l'Occident musulman et de la Méditerranée Berbères, entre aujourd'hui
Revue de l'Occident musulman et de la Méditerranée Berbères, entre aujourd'hui et demain. Introduction. Salem Chaker Citer ce document / Cite this document : Chaker Salem. Berbères, entre aujourd'hui et demain. Introduction.. In: Revue de l'Occident musulman et de la Méditerranée, n°44, 1987. Berbères, une identité en construction. pp. 10-12; https://www.persee.fr/doc/remmm_0035-1474_1987_num_44_1_2151 Fichier pdf généré le 21/04/2018 Berbères une identité en construction Salem Chaker «BERBERES : ENTRE AUJOURD'HUI ET DEMAIN» Imaziyen : ger wass-a d uzekka Longtemps ignoré ou renvoyé à l'ethnographie — voire au « folklore » — le paramètre berbère est devenu ces dernières années une donnée incontournable dans les champs culturel et politique maghrébins. L'évolution est flagrante en Algérie où la berbérité est une question d'actualité «chaude» depuis 1980; mais elle est aussi perceptible au Maroc et dans la zone touarègue (Niger/Mali), comme en témoignent la formation rapide d'une génération de jeunes berbérisants locaux, le développement des activités associatives et culturelles, mais aussi les débats intellectuels et politiques sur l'identité culturelle du Maghreb et la place de la dimension berbère. L'objectif de ce numéro de la ROMM est de fournir des éléments d'information — encore largement méconnus — et d'analyse pour la compréhension d'un processus : la (re-)construction de l'identité berbère, la production d'une image sociale de soi dans la période contemporaine. Émergence qui renvoie à un ensemble de données socio-culturelles, politiques et idéologiques à l'œuvre depuis le début du siècle. Si les Berbères et les identités berbères existent antérieurement à la colonisation — on les cerne aussi bien dans la culture traditionnelle (même lorsqu'elle puise ses thèmes dans la tradition arabo-musulmane) que dans les regards et les discours arabes —, les mutations de la période coloniale et post-coloniale ont prodigieusement accéléré la prise de conscience identitaire, qui a pris des configurations tout-à-fait nouvelles. L'orientation du volume est résolument comparée : la conscience berbère présente dans les pays et régions concernés des particularités qu'il importe d'identi- ROMM 44, 1987-2 Berbères : entre aujourd'hui et demain /11 fier et d'expliquer pour avancer dans la compréhension des conditions et des formes de cette émergence. Le monde touareg n'est pas la Kabylie, ni le Maroc. Les conditionnements immédiats, notamment politiques, y sont bien différents. D'où des formes et des lieux d'affirmation propres à chaque région. Pourtant, les fondements socio-historiques à long terme définissent une indéniable unité dont on retrouve partout les traces. Unité en partie négative certes : extériorité à l'État central, à la ville, à l'écriture, refoulement et négation par l'arabo- islamisme dominant... Mais aussi unité positive et légitimante : affirmation de la langue, de la continuité historique berbère du Maghreb, référence à une tradition culturelle et politique spécifique.. .Et là, le discours du chef touareg rejoint celui de l'instituteur kabyle. Quant au diagnostic pour l'avenir, il ne peut être avancé qu'avec prudence, la plupart des facteurs anciens de résistance ayant irrémédiablement disparu. La langue berbère — donc la berbérité — joue certainement dans les quelques décennies à venir son ultime chance historique : être ou ne pas être, telle est la question qui se pose désormais aux Berbêrophones dont la langue et la culture ne sont plus protégées, ni par la géographie ni par les formes d'organisation sociale traditionnelles. Exode rural massif avec urbanisation dans la ville à dominante arabe, disparition des cellules et modes de production anciens, scolarisation massive en langue arabe, action quotidienne de la radio et la télévision, attaquent avec une violence inconnue jusque-là le socle culturel berbère. Même les femmes, traditionnellement gardiennes du patrimoine, sont maintenant directement soumises à ce travail d'érosion. Pourtant, les éléments qui fondent un certain optimisme sont réels, même s'il est difficile d'en apprécier les chances et le devenir. Les choses sont nettes en Kabylie : dès la fin de la seconde guerre mondiale une synthèse entre tradition socioculturelle berbère, savoirs et referents occidentaux et culture politique de type moderne s'y dessine. Il serait bien sûr dangereux d'extrapoler mécaniquement au reste du domaine berbère. Mais l'on y relève les prémisses de phénomènes similaires, avec des cheminements et dans des contextes très différents. Même sur les franges souvent oubliées de la berbérophonie, comme la Libye, on perçoit des signes nets de cette évolution. Si l'on met bout à bout l'ensemble des pièces du puzzle, on constate que le terrain berbère «bouge» partout, qu'un travail de création et de reconstruction est en marche : au plan de la production culturelle, notamment littéraire — y compris de langue française —, dans le champ scientifique, sur le terrain du politique, un espace transnational berbère est en voie de constitution. Les «voix berbères» qui étaient, jusqu'à une époque toute récente, isolées, marginales, qui pouvaient même apparaître comme un résidu de la vie intellectuelle et culturelle de l'ère coloniale, se multiplient et se renforcent dans les domaines les plus divers. Partout, malgré l'environnement hostile, malgré la non reconnaissance institutionnelle et la dévalorisation séculaire, des berbêrophones se réfèrent à leur langue et à leur culture, les revendiquent comme des valeurs légitimes et d'avenir. Et, preuve de sa vitalité, la culture berbère s'adapte aux réalités du jour, dans ses formes et dans ses contenus. En somme, la culture berbère résiste à la réduction folklo- risante : elle est encore la culture d'un peuple, non une culture populaire. Bien sûr la consolidation et la survie ne sont pas assurées; l'histoire, depuis des siècles, travaille contre les Berbères. Et le poète kabyle lui-même disait encore récemment : 12 / S. Choker wissen itij ma a dd yali wissen ma ad yili uzekka wissen ma ad Mint wallen [Benmohammed : Wissen]. Mais déjà les pronostics de l'immédiate après-indépendance paraissent prématurés et plutôt imprudents : «Un processus inéluctable fait régresser chaque jour la réalité berbère [...] L'indépendance nationale acquise, une résistance berbère ne saurait livrer que d'inutiles combats d'arrière-garde contre l'achèvement de l'intégration par l'arabisation». [Isnard : Le Maghreb, 1966, Paris, PUF, 46]. Deux millénaires de marginalisation et de recul et pourtant ils existent ! Et pourtant ils inquiètent encore. Chaque fois qu'ils s'expriment, chaque fois qu'ils revendiquent leur place dans le Maghreb actuel et à venir. Car bien sûr, toujours et partout, en toutes matières, le Berbère rencontre, se heurte à l'État, constitué hors de lui, souvent contre lui. Une culture, une langue, un peuple à la croisée des chemins, c'est ainsi que l'on pourrait caractériser la situation présente de la berbérité. uploads/Societe et culture/ remmm-0035-1474-1987-num-44-1-2151.pdf
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- Publié le Fev 15, 2021
- Catégorie Society and Cultur...
- Langue French
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