Simondon et l’idée de raison interculturelle Le « cogito » pluriel, l’espérance
Simondon et l’idée de raison interculturelle Le « cogito » pluriel, l’espérance « l’empirisme peut être situé sur la ligne inaugurée par les Ioniens, tandis que le rationalisme classique hérite évidemment de l’éléatisme » Renaud Barbaras « Le premier philosophe à avoir écrit, chez les Anciens, Anaximandre de Millet, écrit comme écrira précisément le vrai philosophe tant que des impératifs extérieurs ne l’auront pas privé de l’impartialité et de la simplicité…La pensée et son style sont des bornes majeures sur le chemin de cette sagesse suprême […] il se demande comment cette pluralité est malgré tout possible puisqu’il n’y a qu’une éternelle unité [l’Indéfini] […] le vrai problème se trouve posé : comment transposer dans le monde effectif la doctrine de l’être impérissable et sans devenir, sans avoir recours à la théorie de l’apparence et de l’illusion des sens ? Nietzsche « Quand [Anaximandre] dit : le principe des êtres, c’est l’apeiron, l’indéterminé, nous avons là une rup- ture totale avec le représentable – et peut-être même avec le pensable, car ce qu’il fait voir est effecti- vement un abîme. Si ce qui est vraiment est indéterminé, et indéterminable, sont ainsi dépassées les déterminations de ce que j’appelle la logique ensembliste-identitaire, qui est précisément une logique de la déterminité. Mais ce qui est également détruit, c’est, si je puis dire, l’ancrage de l’imaginaire et de la pensée aussi bien dans la figurabilité que dans le “faire sens” pour quelqu’un » 1 Castoriadis « [Le corps] est le plus proche milieu pour l’âme qui devient l’être même, comme si le corps entourait l’âme (carneam vestem, dit Saint Augustin)…La conscience est spiritualisée en ce sens que l’expression y devient pensée claire et consentie, réfléchie, voulue selon un principe spirituel ; l’expression est en- tièrement enlevée au corps (…) La spiritualisation de la conscience opère en direction inverse de la matérialisation du corps » Simondon 2 1 2 « Je est un autre » Rimbaud « Vivre, c’est être autre. Et sentir n’est pas possible si l’on sent aujourd’hui comme l’on a senti hier » Pessoa 3 « Deux n’est pas le double mais le contraire de un, de sa solitude. Deux est alliance, fil double qui n’est pas cassé » Eri De Luca 4 Préface Comment préserver son identité culturelle sans rejeter celles des autres dans le cadre d’une pensée pluridisciplinaire de la mutation (l’autre faisant partie de soi et le moi n’étant plus premier dans sa culture) ? Le concept d’individuation ouvre à une ré- flexion sur la mondialisation des cultures dans une perspective d’expérience inter- culturelle en mettant en œuvre une réciprocité dans les processus d’identification et en donnant le primat des interactions sur l’identité. Cette élaboration permet alors de placer les notions de liberté et de dignité au niveau des expériences interculturelles et donc d’enrichir le sujet. Si les cultures relèvent d’un même processus universel de réalisation de l’humanité, les différences culturelles demeurent dans les interactions avec la culture dominante, ce qui permet de reconnaître les minorités et leur culture spécifique sans s’écarter d’une conception interactionniste de l’identité. N. Dittmar nous propose alors « d’établir un équilibre entre les postulats du multiculturalisme et ceux de l’intégration ». Sa posture se présente comme une volonté de réhabiliter le culturalisme en l’amenant à concevoir l’intégration par des valeurs universelles. Ce travail de réflexion vient renforcer la problématique de l’interculturel par son an- crage philosophique en s’appuyant sur plusieurs travaux déjà parus dans la collec- tion « Espaces interculturels » de l’Association internationale pour la Recherche In- terculturelle (ARIC). L’apport de ce livre aux recherches sur l’interculturel se situe dans la dimension philosophique puisque l’auteur retravaille les fondements de la re- présentation culturelle en s’appuyant sur Husserl, mais aussi Deleuze et Simondon. Avec le processus d’individuation et de transduction que ce dernier élabore, l’inter- culturalité, assumant ainsi la question de l’altérité, permettrait alors de définir les fondements d’une « raison interculturelle » (Prigogine & Stengers,). L’auteur essaie également de retravailler la notion d’une anthropo-logique et les limites du multicul- turalisme. 5 Cette orientation, élargie à d’autres pays européens, semble intéressante dans la perspective de la construction européenne où l’interculturel pourrait être pensé et utilisé à un niveau à la fois transnational, ethnique et individuel, évitant ainsi les apories du nationalisme, du folklorisme et du relativisme. Olivier Meunier Professeur des universités Laboratoire RECIFES Université d’Artois 6 Linéaments propédeutiques pour une raison interculturelle : « l'interculturel comme forme du jugement pratique ». Plan de la recherche - I – Genèse de l’esprit et phénoménologie de la connaissance ; II – genèse de l’esprit et théorie de l’homme, anthropologie plura- liste ; III – genèse de l’esprit et théorie du spirituel Dans un article récent, Janie Pélabay ("Jürgen Habermas et Charles Taylor : jugement interculturel et critique de la tradition") analysait la genèse du jugement interculturel en le confrontant à deux tradi- tions de pensée distinctes, l'une portée par Ch. Taylor, et l'autre par J. Habermas. Ce texte fait apparaître le lien constitutif qui unit les deux penseurs, à travers l'idée d'une "raison située", en laquelle serait rendue pos- sible, ou a priori, le contenu de l'expérience interculturelle, en tant que "fusion des horizons". W. Goodenouph, le célèbre anthropologue américain, avait déjà évoqué, dans un article intitulé "Multiculturalism as a normal hu- man experience", cette idée d'un pluralisme inhérent à la personne humaine, qui tend à être justifié dans une approche empiriste de la genèse de l'expérience, et des règles de l'entendement. Sans prétendre ici approfondir cette voie qui nous semble fé- conde pour les recherches interculturelles, qu'il nous soit permis de mentionner la tentative d'une synthèse opérée dans la ré- flexion par J. Dewey, entre les apports du réalisme pragmatique et ceux de la pensée continentale, qui ouvre une réflexion à notre sens inédite dans le champ de l'interculturel pour penser la question du pluralisme dans son rapport aux fondements de la nature humaine. Certes, il ne s'agit pas de la sorte de justifier la philosophie d'inspiration anglo- saxonne de l'interculturel comme philosophie multiculturelle, bien qu'elle comporte selon nous des avan- tages (voir à ce sujet mon article ("L'éducation interculturelle en France et en République tchèque), mais plus simplement de souligner les conditions de possibilité de l'émergence d'un multiculturalisme critique en Europe, pouvant féconder la pensée du pluriel et de l'unitaire. 7 Que l'être puisse se dire en plusieurs sens, comme nous l'a enseigné Aristote, c'est un acquis du Logos. Mais la division en termes indivi- duants tels que ceux de genre et d'espèce, de qualités essentielles ou de prédicats accidentels ne concerne que la théorie de la signification no- minale, elle désigne une individuation numérique, ou d'obédience ana- lytique. L'Etre se divise selon la logique, mais que cela nous apprend-il sur la multiplicité qualitative et ontologique de l'individu, des personnes, des acteurs ? C'est ici que l'idée simondonienne de l'individuation revêt une valeur critique inédite dans le champ de la réflexion philosophique contemporaine, ouvrant à une nouvelle forme d'anthropologie qualifiée de génétique, c'est à dire permettant de penser les conditions de la plu- ralité en tant qu'expression d'une unité jamais défaite et toujours pré- sente ou convocable. L'unité est la structure qui accompagne les modi- fications et les opérations de l'Etre s'individuant, comme ce "je pense" préindividuel qui pourrait accompagner toutes nos représentations, conceptuelles autant qu'intuitives, s'il est permis de nous référer à cet esprit de la modernité défini par Kant. Au fond, il s'agit bien pour Si- mondon, dans ce geste de la réforme de l'entendement, de "pluraliser la logique avec un fondement valide de pluralité", car si l'être se dit en deux sens, "l'un fondamental, en tant qu'il", et l'autre "toujours superpo- sé au premier dans la théorie logique...en tant qu'il est individué", une théorie de l'être "antérieure à toute logique devrait être instituée", ou- vrant à une classification des ontogénèses de l'Etre modal et, par là même, à une nouvelle forme de relativisme "situationnel", théorisé no- tamment dans le champ de l'anthropologie psychologique par C. Camil- leri et C. Clanet. Que nous dépendions, dans notre mode d'agir et d'échanger, d'une clas- sification a priori ou morphologique des individus et de la connaissance de l'être, nourrie et façonnée en grande partie par cette "intelligence fa- bricatrice" que Bergson n'a eu de cesse de dénoncer, est justifié en droit, comme référant à la sphère du raisonnable au sens propre de ce terme, mais il manque à ce paradigme une phénoménologie de la ge- nèse effective des structures, dans l'être individué, qui emprunte et re- vêt des conditions énergétiques que la pensée doit pouvoir assumer dans le champ de l'épistémologie traditionnelle, dans les termes de cette herméneutique du sujet ou du soi à laquelle en appelait M. Foucault dans ses cours au Collège de France. C'est à cet équilibre que la philosophie de l'individuation aspire pour la théorie de la connaissance, dans la recherche d'une Bonne Forme qui soit synonyme de stabilité, de récurrence et de perma- 8 nence, enfin d'homogénéité de l'être et de l'individu pensé à la lu- mière de la uploads/Societe et culture/ simondon-cogito-pluriel-texte-final.pdf
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- Publié le Dec 04, 2021
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