1b SOCIOLOGIAS http://dx.doi.org/10.1590/15174522-020004714 Sociologias, Porto
1b SOCIOLOGIAS http://dx.doi.org/10.1590/15174522-020004714 Sociologias, Porto Alegre, ano 20, no 47, jan/abr 2018, p.370b-391b SoCiologie de l’espaCe : modeles d’interpretation Guy Tapie* Resumé La sociologie a considéré que l’espace et son architecture sont une création originale, empreints de caractéristiques sociétales et historiques. Dans une diversité problématique, elle a mis à l’épreuve du territoire et de l’espace de vie la conceptualisation de pratiques sociales, de processus de socialisation, de mécanismes décisionnels, signes du fonctionnement des sociétés. L’analyse du lien entre social et spatial a nourri des débats théoriques sur l’explication des usages. Pour les uns l’essentiel est dans la façon dont les individus, les groupes, les institutions, la société, investissent l’espace à partir des règles du jeu social ; d’autres privilégient l’importance des dimensions physiques, architecturales et urbanistiques, choix qui a mis l’accent sur les formes matérielles pour expliquer les pratiques. Une telle liaison n’était guère problématique pour de nombreux auteurs pour comprendre les sociétés et les mouvements qui les traversent. A partir des années 1970, en France, le lien formes – sociétés a été approfondi à partir de croisements disciplinaires entre anthropologie, sociologie, architecture et urbanisme. Les modes d’appropriation des espaces de vie ont posé avec force la question des rapports entre conception architecturale et usagers mobilisant la recherche architecturale et urbaine sur le rôle des concepteurs et experts qui projettent et matérialisent les aspirations des sociétés, des groupes et des habitants (Pinson, 1992 ; Conan, 1991). Pour développer les principes et les apports de cette sociologie de l’espace, nous présentons ses fondements théoriques à partir d’un choix personnel et limité d’auteurs ; puis, un regard sur trois expériences résidentielles majeures en France montre sa pertinence. Mots clés : Sociologie de l’espace. Habitat urbain. Habitat en France. Espace – société. * Université de Bordeaux, França. Sociologias, Porto Alegre, ano 20, no 47, jan/abr 2018, p. 370b-391b Sociology of space: models of interpretation Abstract The space and its architecture has been considered within sociology as an original creation, marked by social and historical characteristics. In view of the diversity of the problematic, sociology has seen through the lenses of the territory and the lived space the conceptualization of social practices, socialization processes, and decision mechanisms as signs of the functioning of societies. The analysis of the link between the social and the spatial has fuelled theoretical debates on the explanation of uses. For some, the essential is the way in which individuals, groups, institutions, and society express, in the space, the rules of social play; others highlight the importance of the physical, architectural and urban dimensions, giving emphasis to material forms for explaining practices. Since the 1970s, in France, the link between forms and societies has been strengthened by disciplinary articulations between Anthropology, Sociology, Architecture and Urbanism, thus fostering research on the role of those who plan and materialize the aspirations of societies, groups and population. In order to develop the principles and contributions of this Sociology of Space, we present its theoretical foundations, based on personal and limited choice of authors. Then a look into three of the most important French residential experiences shows its relevance. Keywords: Sociology of space. Urban habitat. Habitat in France. Space – society. cLlanique Sociologias, Porto Alegre, ano 20, no 47, jan/abr 2018, p. 370b-391b De l’espace à la société : environnement matériel et formes sociales La dimension culturelle de l’espace es anthropologues ont fait de l’espace autant une donnée qu’un élément signifiant. L'occupation d'un territoire ne relève pas strictement des conditions naturelles mais des structures sociales et culturelles d'une société ; liens de parenté (division ), appartenance à un groupe d'âge ou à un genre, expression du sacré et des croyances, marquent les lieux et l’organisation de l’espace physique de vie. Claude Levi-Straus (1980, réédition) décrit ainsi le plan circulaire d'un village brésilien, conçu sur l'opposition entre centre et périphérie (hommes, femmes) selon une partition Sud/nord (clans et familles). Système de repères spatiaux qui enracine la mémoire collective du groupe, qui la transmet de génération en génération. Une organisation qui est un support d'identification par la distribution des activités, par les constructions, par les objets. Pour preuve, Claude Levi-Straus explique que les missionnaires salésiens en modifiant le plan des villages ont cassé les anciens repères : [...] désorientés par rapport aux points cardinaux, privés du plan qui organise leurs savoirs, les indigènes ont rapidement perdu le sens des traditions comme si leur système social et religieux était trop compliqué pour se passer du schéma rendu patent par le plan du village et dont les gestes quotidiens rafraîchissent perpétuellement les contours (Lévi- Strauss, 1980, p. 255). Sur le même registre, Marcel Mauss (1983, réédition) décrit et explique les variations saisonnières remarquables de l’habitat des esquimaux : l'habitat d'hiver est composé d'une grande maison commune alors que celui d'été est essentiellement individuel fait de tentes relativement rudimentaires. Le premier est le lieu d’une vie collective in- Sociologias, Porto Alegre, ano 20, no 47, jan/abr 2018, p. 370b-391b tense, le second d’un mode de vie basée sur la famille nucléaire. Ces différences ne sont pas simplement dû aux conditions climatiques (le froid), ni même à la concentration du gibier en fonction des saisons : l'été étend d'une manière presque illimitée le champ ouvert à la chasse et à la pêche, l'hiver, au contraire, le restreint de la manière la plus étroite. Et c'est cette alternance qui exprime le rythme de concentration et de dispersion par lequel passe cette organisation morphologique, La population se condense ou se dissémine comme le gibier (Mauss, 1983, p.50). Les formes de vie sociale et religieuses incarnent cette morphologie : à ces deux formes de groupement, correspondent deux systèmes juridiques, deux morales, deux sortes d'économie domestique et de vie religieuse. A une communauté réelle d'idées et d'intérêts dans l'agglomération dense de l'hiver, à une forte unité mentale religieuse et morale, s'opposent un isolement, une poussière sociale, une extrême pauvreté morale et religieuse dans l'éparpillement de l'été (Mauss, 1983. p. 73). Au milieu des années 1970, Edward Hall compare les cultures spatiales de plusieurs civilisations à partir d’une théorisation des pratiques de l’espace qu’il synthétise par le concept de « proxémie ». Il détermine la distance intime (15 à 45 cm), personnelle (entre 45 et 135 cm), sociale (entre 1,20 m et 1,70 m), publique (supérieure à 3,70 m) : mesures établies dans le cadre d’un groupe de citoyens américains. Il décrit ensuite les structures proxémiques entre culture occidentale, japonaise et arabe, à propos de l’usage de l’espace domestique et public. Il insiste sur les incompréhensions qui naissent de socialisations différentielles à la pratique des espaces : les occidentaux étouffent dans l’espace public arabe en raison d’une très grande proximité physique alors qu’ils se sentent mal à l’aise dans la maison arabe faute d’un espace cloisonné ; le japonais conçoit son espace vital à partir du centre et non pas des limites et sa perception repose sur la mobilisation concomitante de tous les sens alors que la perception occidentale privilégie Sociologias, Porto Alegre, ano 20, no 47, jan/abr 2018, p. 370b-391b la vue. Toujours sur le registre d’une anatomie de la question spatiale, Pierre Bourdieu (1980) déconstruit la maison Kabyle comme projection matérielle de clivages sociaux (relations de genre ou de classes) et expression d’une cosmogonie. Norbert Elias (1974) caractérise un style de vie (« l’étiquette ») et l’organisation d’espaces habités dans la société de cour, une trame physique et comportementale du pouvoir royal. Georges Simmel (1988) interprète la nature symbolique des frontières territoriales (le pont, la porte) dans le partage des territoires. Maurice Halbwachs (1972) insiste sur la relation entre mémoire collective et espace matériel à propos de l’espace ouvrier en particulier. Michel Foucault marque l’im- portance des dispositifs spatiaux dont le panoptique, symbole de l’enfer- mement, dans les processus de domination. Pour tous ses auteurs, le territoire, l’espace, le lieu, les constructions et leur organisation révèlent le social, les pouvoirs et portent des identités, des normes, des processus d’apprentissage de comportements et d’attitudes. La ville et la sociologie La constitution des villes modernes a été un processus essentiel pour une prise de conscience de l’importance de l’espace et du territoire. Dans la lignée des travaux de Max Weber (Weber, 1982) ou des utopistes de la fin du XIX ième siècle, la ville a été l’objet de nombreuses attentions pour caractériser le renouvellement des structures sociales et des pouvoirs qu’elle reflétait. L’opposition communauté / rural / tradition et société / ville / modernité a fondé a sociologie urbaine, dont l’Ecole de Chicago (1915-1935) du début du vingtième siècle. Ces auteurs pressentent une civilisation urbaine au travers de deux phénomènes : la concentration d’individus en un même lieu ; l’installation de migrants au sein de mégapoles, pris entre le désir de préserver leurs modes de vie natifs et l’assimilation à un monde nouveau. L’un des fondements de la prise de Sociologias, Porto Alegre, ano 20, no 47, jan/abr 2018, p. 370b-391b possession des lieux est la compétition spatiale à l’image des processus observés pour les espèces animales ou végétales. La ville est ainsi une mosaïque uploads/Societe et culture/ sociologa-del-espacio2018sociologias-open-access.pdf
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- Publié le Oct 29, 2021
- Catégorie Society and Cultur...
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