Identité et altérité : du soi-niant au soignant. François HOUSSET QUI SUIS-JE ?

Identité et altérité : du soi-niant au soignant. François HOUSSET QUI SUIS-JE ? Si par identité on entend le caractère de ce qui est identique (idem : la même chose), seuls les gens similaires ont une identité. Si en plus “l’identité” de chacun fait sa particularité, quelque-chose cloche : on n’est jamais soi-même qu’en ce qu’on ressemble aux autres ! La personne, au sens étymologique du terme (du latin persona, d’origine étrusque, “masque de théâtre”, puis “personnage”, et, dès le latin classique, “personne” - pronom négatif !), doit se masquer en prenant les traits des autres pour exister. Un individu, c’est le chat chez les chats, le chien chez les chiens. Mais une personne n’est pas un simple individu en tant qu’elle est irremplaçable : elle est, dans l’espèce, supérieure à l’espèce (en donnant à l’espèce sa couleur chacune, dès qu’elle envisage sa singularité, peut dire : “il manquera quelque chose à l’espèce quand je mourrai”). La personne, pour exister, doit donc être à la fois singulière et appartenir à un genre : elle est une “entité identique”. On ne la reconnaît qu’en la classant dans un “type” identifiable. La particularité d’une personne ne se constate pas, sinon par référence à une description générale, un “style” dans lequel elle se trouve classée, et où elle ne trouve sa distinction que par quelque élément discriminant (un nez un peu plus long, un grain de beauté par-ci par-là, quelque trait de caractère, une cravate originale...) qui est la marque de son identité propre : à part cela, la personne elle-même se confond avec les membres du groupe qu’elle intègre et qui la définit. Sans similitude, l’individu serait inclassable, impossible à identifier. La capacité à s’intégrer est donc cruciale, et fait toute la difficulté à arriver à une vision singulière de soi-même. C’est pourquoi les relations avec l’entourage sont déterminantes : elles constituent une composante essentielle de l’identité. Même une distinction notable n’empêche pas que l’individu n’existe qu’en tant qu’il se donne “un genre” qu’il a pris à d’autres. L’identité même se trouve déterminée : un individu est d’abord et avant tout conçu comme membre d’une catégorie (rangé parmi les chefs, sous-chefs, larbins, chômeurs, retraités, fonctionnaires, étudiants, SDF, salauds, bienfaiteurs, Français, Bretons, communistes, écologistes, dangers publics, piliers de la société...) et on ne peut pas vraiment dire qu’un homme reste “identique à lui-même” quand il n’a plus les mêmes fonctions et qu’on ne lui attribue plus les mêmes “qualités” (qualités empruntées bien sûr) : en changeant d’identité, on change soi-même. “je” est un autre : on n’est jamais qu’en ce qu’on est comme d’autres. “Je” n’existe qu’en tant que caméléon. On voit l’enjeu moral : comment attacher de la valeur à sa propre autonomie, à sa dignité, et ne pas se référer uniquement à l’opinion existante ni accepter d’instruction des autres, si l’on n’est soi-même qu’en tant qu’on est comme les autres ? Les jugements moraux peuvent varier d’une personne à une autre, mais pour être comme les autres des individus font taire leurs principes, afin de partager les valeurs de ceux auxquels ils s’identifient : ce en quoi l’on croit se résume dès lors aux valeurs des “nôtres”. Alors apparaît toute la vanité de celui qui s’écrie “je suis quelqu’un !” L’un... d’eux ! Il y a une séparation qui permet d’être soi, puisque c’est dans sa singularité qu’un être reconnaît son existence propre et prend conscience de lui-même comme d’une chose ne pouvant être confondue avec aucune autre. Mais il reste toujours en chacun une conformité indéniable : on est parmi ses semblables. Chaque conscience est double : chacune effectue un travail de séparation, en trouvant sa singularité dans la différenciation -mais cette différenciation succède à l’identification, qui détermine l’existence même de tout un chacun. On voudrait pouvoir crier : “JE SUIS”... mais quoi ? retraité, étudiant, comptable, chef d’entreprise ? ce “je” n’est qu’un statut, ou qu’une fonction; toute existence positionne dans une classe, un genre : je suis un type. Si l’identité est l’ensemble des éléments permettant d’établir, sans confusion possible, qu’un individu est bien celui qu’il dit être ou qu’on présume qu’il est, c’est encore et toujours parce que l’individu est rangé, classé, dans une case où l’on verra quelles similitudes il peut avoir avec d’autres : il est en ce qu’il est typiquement comme eux, et c’est par là qu’on le reconnaît. Il s’assimile à sa carte d’identité : UN Français, l’un de ceux qui ont tel âge, telle taille... et parfois tel simple signe particulier. D’où l’importance des marques, des modes, intégrées dans les individus qui s’y reconnaissent. Il ne s’agit même plus de mimétisme quand l’identification détermine la personnalité même : au-delà du jeu consistant à suivre un modèle pour s’y assimiler, il n’y a personne. Derrière le costume, l’uniforme : rien. Se trouver : s’assimiler Se donner un genre, c’est se donner une existence. Trouver son style, c’est se trouver... similaire. Et l’ego, quoiqu’humilié à force de devoir se conformer aux autres, est d’autant plus fort qu’il est obligé de se redéfinir encore et encore dans quantité de conditions différentes, en jouant de nouveaux rôles. Ainsi se trouve déterminé un incessant dialogue avec soi-même, et enfin une identification à soi comme acteur jouant des rôles : “world is a theater” (Shakespeare). L’identité est une entité construite dans d’aventureux passages de similitudes en similitudes. Qui est-on au départ, sinon un être défini par son environnement ? L’enfant assume le nom de son père, suit des règles dont chacun est une illustration, pour enfin devenir un “type” estampillé aux normes, certifié conforme. Je suis... ce qui me marque, ce dont je garde l’empreinte. Dans la famille ou la nation dans laquelle on est né, par nécessité on se trouve “toujours déjà là”. Il y a un “déjà donné”, auquel il ne peut s’agir que de se référer. Le nouveau venu dans une collectivité ne peut modifier l’histoire passée de la famille ou de la nation dans lesquels il est né : il n’a que la possibilité d’en assumer le passé, et c’est cette charge qu’il porte qui le fait être parmi les “siens”. Cette histoire déjà donnée contribue à former l’identité de cette famille ou de cette nation, qui va être reprise parmi les principales composantes de l’identité de chaque nouveau membre -ce qui explique qu’un enfant puisse être considéré comme mort par sa famille s’il se marie en-dehors de sa religion de naissance, ou que des individus deviennent étrangers (dans tous les sens du terme) quand ils adoptent une nouvelle nationalité. Il est bon d’avoir des repères, et la plupart sont déjà donnés... par les autres, auxquels il s’agit de s’identifier. Faute de savoir quoi faire en étant singulier, on joue donc la conformité. De là vient l’attachement à une morale (se prétendant universelle pour tous les hommes qui se trouvent identiques), morale que tous “les nôtres” doivent reconnaître parce qu’elle donne une règle de vie présentée comme nécessaire. Il faut en effet supposer une certaine unité dans un monde commun. Mais en fait les individus n’ont souvent que peu ou pas de contrôle sur les comportements des groupes auxquels ils appartiennent ou sur les rôles qu’ils sont amenés à jouer (ils s’en trouvent fréquemment réduits à se regarder faire, cantonnés au rôle de simples spectateurs de leurs propres actions). Alors l’individu disparaît tout simplement : il ne lui reste apparemment rien d’authentiquement propre. Prétendre réduire l’individu à l’universel, c’est le mener au silence et au vide. > NIETZSCHE contre l’amour du prochain : “je vous enseigne le lointain” Si les principes de la vertu sont donnés dans l’individu, les conditions de la réalisation de cet individu se trouvent dans la collectivité par laquelle les individus composent comme une seule âme et un seul corps. Faute d’oublier que je est un autre et pas un même, on ne cherche plus que l’identité des uns aux autres -voilà le déni de l’altérité qui conduit au fascisme. L’indivi-dualisme Penser à son intérêt particulier, est-ce le privilégier en dépit de l’intérêt général ? Mon identité, forgée dans la société, ne me ramène-t-elle pas nécessairement aux autres (identiques malgré leur altérité), en m’obligeant à penser à moi en fonction des intérêts des autres ? Le duel entre l’individu et la société est bien problématique : si ce qui nuit à la société me nuit, mon intérêt, qui passe avant le sien, ne doit pas pour autant lui porter préjudice. L’individu existe-t-il ? Chacun fait des expériences particulières. Chacun a sa vie, chacun est unique, exceptionnel même, et chacun est respectable en ce qu’il est hors pair. Par mon vécu, je fais l’expérience de mon individualité, et dès lors je pense à moi comme personne, parce que personne n’est à ma place. De là à me privilégier en dépit des autres, il n’y a qu’un pas : ce qui compte le plus pour moi, c’est bien moi-même. Si je pense ainsi, je me défie déjà des autres, je suis individualiste, au sens où je voudrais ne privilégier qu’un individu : uploads/Societe et culture/francois-housset.pdf

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