SOCIOLOGIE DE LA DOULEUR ET DES BLESSURES SPORTIVES CORPORELLES Kevin Young et
SOCIOLOGIE DE LA DOULEUR ET DES BLESSURES SPORTIVES CORPORELLES Kevin Young et Stéphane Héas Dilecta | Corps 2007/1 - n° 2 pages 13 à 17 ISSN 1954-1228 Article disponible en ligne à l'adresse: -------------------------------------------------------------------------------------------------------------------- http://www.cairn.info/revue-corps-dilecta-2007-1-page-13.htm -------------------------------------------------------------------------------------------------------------------- Pour citer cet article : -------------------------------------------------------------------------------------------------------------------- Young Kevin et Héas Stéphane, « Sociologie de la douleur et des blessures sportives corporelles », Corps, 2007/1 n° 2, p. 13-17. -------------------------------------------------------------------------------------------------------------------- Distribution électronique Cairn.info pour Dilecta. © Dilecta. Tous droits réservés pour tous pays. 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Document téléchargé depuis www.cairn.info - - - 190.178.206.221 - 13/01/2015 03h03. © Dilecta Document téléchargé depuis www.cairn.info - - - 190.178.206.221 - 13/01/2015 03h03. © Dilecta 13 LIRE (LIRE) Nº 2 – Mars 2007 – Corps sportifs Sociologie de la douleur et des blessures sportives corporelles Kevin Young University of Calgary, Canada Traduit par Stéphane Héas D epuis le début des années 80 avec le développement des études sur le corps dans différentes disciplines des sciences humaines et sociales, les sociolo- gues du sport ont commencé à analyser plus attentivement les blessures sportives. La littérature à leur propos est désormais variée. Par exemple, Nixon (1996) aborde les douleurs et les blessures sportives corporelles dans le cadre d’une « culture du risque » et des socialités sportives caractéristiques (sportsnets). Sabo (1986, 1994) examine les soubassements genrés des blessures sportives et notamment les codes développés par les athlètes face à la douleur. Hughes et Coakley (1991) ont dessiné une théorie de la déviance pour expliquer la violence et les blessures sportives comme conséquences d’une hyperconformité à « l’éthique sportive » qui infuse la plupart des sports moder- nes et les prises de risque induites au mépris du bien-être. Les athlètes qui évitent les douleurs et les blessures sont rarement considérés comme de « vrais athlètes » dans les sports collectifs (Donnelly, Young, 1988 ; Curry, 1993). Walk (1997) et Safai (2001) ont exploré largement le rôle de l’industrie médicale. Theberge (1997), Pike (2000) et Charlesworth (2004) ont été parmi les premières sociologues femmes à analyser ces expériences douloureuses. Nous avons, seul ou à plusieurs, abordé (a) les dimensions sociales, culturelles et économiques du risque, (b) la variété des stratégies masculines et féminines face à la blessure, lorsqu’il s’agit de jouer avec, ou bien de recommencer à jouer, au risque de blessures supplémentaires (Young et al, 1994), mais aussi (c) les questions de consentement et de responsabilité dans les cas de litige. Dans le présent article, nous réalisons une synthèse des travaux sociologiques concernant les douleurs et les blessures sportives en indiquant les difficultés d’analyse. Les causes sociales des blessures Quelles sont les causes des blessures ? Physiologiquement, de nombreux facteurs sont déterminants et démontrés, comme les exigences techniques de base, les diffé- rentes contraintes osseuses, tendineuses ou musculaires. Des sous-disciplines parmi les sciences du sport comme la médecine ou la physiologie de l’exercice ont produit de Document téléchargé depuis www.cairn.info - - - 190.178.206.221 - 13/01/2015 03h03. © Dilecta Document téléchargé depuis www.cairn.info - - - 190.178.206.221 - 13/01/2015 03h03. © Dilecta 14 Lire volumineuses recherches épidémiologiques soulignant les blessures chroniques ou aiguës, par exemple parmi des populations de jeunes athlètes (Hyndman, 1996), d’athlètes âgés (Menard, 1996) ou porteurs de handicaps (Booth, 1996). Bien que significatifs, ces résultats intéressent moins les sociologues que l’importance des contextes culturel et structurel de ces blessures. À ce titre, les blessures sportives peuvent être appréhendées comme le résul- tat de la manière dont les sports sont joués, gérés et administrés. Par exemple, plusieurs sociologues comme Frey (1991), Hughes et Coakley (1991) suggèrent que le sport est un contexte normalisant et glorifiant le risque, la douleur et la blessure. Ces relations sportives (sportsnets) contraignent les athlètes à jouer blessés. En effet, cette « éthique sportive » les encourage à faire des sacrifices sans limite pour réussir, confortant une véritable culture du risque (Nixon, 1996). Les athlètes acceptent la probabilité de blessures mineures mais aussi majeures. Cette conformité optimale (over-conformity) aux normes de l’éthique sportive incite les athlètes à jouer malgré la douleur, à concourir rapidement après une blessure et à vilipender ceux qui ne le feraient pas. La socialisation sportive est la clé de compréhension articulée aux notions d’identité et de rôles sexués. La plupart des études aux États-Unis et en Grande-Bretagne lient cette acceptation du risque avec la masculinité sportive exacerbée (Sabo, 1986 ; Messner, 1990). Le sport devient ainsi l’expression et la reproduction des formes masculines dominantes où la violence, la douleur et la blessure sont légitimes et font sens. Les athlètes veulent corres- pondre à ce standard sportif de virilité de peur d’être ostracisés, si ce n’est exclus (Young et al., 1994). Que nous indique ce système masculin de valeurs chez les sportives ? Depuis peu, les expériences de la douleur et de la blessure sont relatées parmi celles-ci (Rail, 1992 ; Charlesworth, 2004) : les athlètes femmes acceptent également cette culture du risque mais à un degré moindre. significations de la douleur et des blessures chez les athlètes Apprendre à vivre avec la douleur ou les blessures est une condition sine qua non de nombreux sports. Impossible de faire du sport sans avoir ce type d’expériences corporelles. Tout sportif peut faire état d’une blessure et la variété des données recueillies est impor- tante : chez les rameurs, les cyclistes, les lutteurs, les bodybuilders, les coureurs, les plongeurs, les rugbymen, les participants aux rodéos ou bien les joueurs de football (Frey et al., 1997) et dans bien d’autres sports encore. Dans une étude analysant le rôle du physique dans la construction de la masculinité chez des étudiants canadiens, la palette des stratégies utilisées pour rendre signifiante une douleur est précisée (Young et al., 1994), relevant de ce que C. Wright Mills (1959) aurait appelé une « rhétorique des motifs de participation » (vocabularies of motive), Sykes et Matza des « techniques de neutralisation » (1989). Il s’agit de continuer à jouer en ignorant la douleur (hidden pain), d’adopter une attitude minimisant certaines douleurs par rapport à d’autres (disrespected pain), de saisir ce qui est mieux accepté par les coéquipiers ou l’entraîneur afin d’éviter les « cérémonies de dégradation » (unwelcomed pain) (Garfinkel, 1967), d’adopter une manière de penser et d’exprimer la douleur avec détachement et sentiment d’invul- nérabilité (depersonalized pain). Surtout, ces travaux ont montré la rationalisation de ces stratégies par les sportifs et les sportives comme moyens de jauger les caractères et les rôles de chacun. Document téléchargé depuis www.cairn.info - - - 190.178.206.221 - 13/01/2015 03h03. © Dilecta Document téléchargé depuis www.cairn.info - - - 190.178.206.221 - 13/01/2015 03h03. © Dilecta 15 Nº 2 – Mars 2007 – Corps sportifs coût des blessures corporelles Il va sans dire que le coût des blessures sportives dépasse le seul aspect financier. La blessure concerne le blessé, bien sûr, mais aussi sa famille, son école et plus largement sa communauté. Si les sociologues n’ont pas pointé d’une manière spécifique l’impact écono- mique des blessures, ils ont souligné leurs coûts humains importants : dégradation de la confiance en soi, voire suicide (Young et al., 1994 ; Charlesworth, 2004). La blessure médiatisée Bien que les amateurs de sport connaissent par expérience corporelle immédiate les douleurs et les blessures, ces dernières sont plus largement présentes encore à travers les images transmises par les mass médias. L’importance de la compétition comme de la victoire à tout prix et l’omniprésence des sports d’élite célèbrent un monde de violences et de handicaps corporels. Les images télévisuelles soulignent les corps tordus de douleur dans des ralentis à la loupe, tandis que les commentateurs approuvent les actions sportives dangereuses et les rationalisent. Pendant ce temps, les photographes de magazines fixent les incidents et les accidents comme des instantanés humoristiques qui ne reflètent pas la dure réalité sportive. D’une manière combinée, l’ensemble des médias marginalise la douleur et transmute les blessures sportives en autant d’engagements routiniers et sans dommage. Ce processus de rationalisation/euphémisation transforme les blessés en héros exposant leur corps aux dangers, en « payant le prix » (Nixon, 1993). Les médias jouent donc un rôle actif dans cette banalisation des violences sportives. Les blessures et la loi Même si les procédures juridiques concernant les violences sportives sont importantes, elles demeurent faiblement analysées par les sociologues. Il est difficile de généraliser car les litiges et leur dénouement sont spécifiques aux cultures, mais dans la plupart des cas, il est clair que les tribunaux préfèrent esquiver ces questions qui apparaissent inhérentes à de nombreux sports, exigeant des prises de risque et l’utilisation de la force, induisant uploads/Sports/ sociologie-de-la-douleur-et-des-blessures-sportives-corporelles-pdf.pdf
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- Publié le Jui 19, 2021
- Catégorie Sports
- Langue French
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