Les guides de tourisme, un patrimoine et un objet d’étude Évelyne Cohen, Profes

Les guides de tourisme, un patrimoine et un objet d’étude Évelyne Cohen, Professeure Histoire et Anthropologie culturelles XXe siècle, École nationale supérieure des Sciences de l'information et des Bibliothèques (ENSSIB-Université de Lyon), Directrice du Centre Gabriel Naudé,, Membre du conseil scientifique du Pôle des sciences de la ville (université Paris 7) evelyne.cohen@wanadoo.fr Bernard Toulier, Conservateur général du patrimoine, Département du pilotage de la recherche et de la politique scientifique Direction générale des Patrimoines, ministère de la Culture et de la Communication bernard.toulier@culture.gouv.fr Comme nous en avions fait la démonstration lors du colloque Les guides imprimés : villes, paysages, voyages en 1998, à l’Université Denis Diderot (Paris 7), pendant longtemps, les guides de tourisme n’ont pas été considérés comme des sources à part entière par les chercheurs qui les utilisaient volontiers comme stock d’informations sans pour autant leur reconnaître un statut de sources légitimes dans leurs corpus. De ce point de vue, il est utile de se référer aux analyses de Roland Barthes dans Mythologies 1 (1957) qui estimait que le Guide Bleu réduisait « la géographie à la description d’un monde monumental et inhabité2 ». Dans cette optique, les Guides Bleus ne renvoyaient qu’à une forme de tourisme bourgeois et à des pratiques de la culture de masse. L’article de Daniel Nordman sur les Guides-Joanne (1986) dans Les lieux de mémoire, dirigés par Pierre Nora, marque un tournant dans l’historiographie : Daniel Nordman3 prend les guides au sérieux, les considère comme des sources, retrace leur genèse, et étudie le plan des ouvrages en rapport avec les visions du territoire national. Dans les années 1990, l’histoire culturelle prend pour objet d’étude les objets culturels, leurs modes de représentations du monde. Les historiens et les géographes mobilisent volontiers les guides d’une part pour mettre en évidence les représentations de l’espace urbain (Claire Hancock, Pierre-Yves Saunier), d’autre part pour faire l’histoire du tourisme comme pratique culturelle et de loisirs en France et en Europe du XVIIIe siècle à nos jours. Plusieurs articles de L’avènement des loisirs, publication collective dirigée par Alain Corbin (1995), mettent à profit les guides de tourisme pour dresser l’inventaire des pratiques de loisirs et de tourisme4. Parallèlement les travaux d’historiens sur le tourisme comme pratique culturelle de masse se sont multipliés (Catherine Bertho Lavenir, Évelyne Cohen, Julia Csergo, Frédéric Moret, André Rauch, Bernard Toulier, Joanne Vajda). Ils ont développé des approches spécifiques. Il faut accorder une place particulière aux recherches de Marc Boyer5 qui a consacré sa thèse d’état d’histoire au tourisme L’invention du tourisme : origine et développement du tourisme dans le Sud-Est de la France du XVIème siècle au Second Empire (1997). Des thèses d’histoire et de géographie culturelle ont porté directement sur les guides de tourisme (Marc Francon sur l’histoire des Guides Michelin, Pierre-Yves Saunier, Claire Hancock en géographie culturelle). Certains historiens ont non seulement étudié les guides mais ont pu eux-mêmes en rédiger sur des régions qu’ils connaissaient bien (Gérard Monnier, Bernard Toulier…). Depuis lors plusieurs journées d’études ont été consacrées aux guides. La dernière en date, le 17 juin 2010, était organisée à l’Enssib par le Pôle Sciences de la Ville de l’Université Paris 7 Denis Diderot et le centre Gabriel Naudé de l’École Nationale Supérieure des Sciences de l’Information et des bibliothèques (Enssib) en collaboration avec la Direction Générale des Patrimoines du Ministère de la Culture6. Les études scientifiques sur le tourisme se sont développées. On peut citer les travaux de l’équipe des géographes Philippe Duhamel et Rémy Knafou Mobilités, itinéraires, tourismes Les guides de tourisme, un patrimoine et un objet d’étude 1 (MIT-Université Paris Diderot) qui a organisé en janvier 2005 un colloque sur Les mondes urbains du tourisme. Toutes ces études supposaient que soient accessibles les collections de guides. Longtemps les maisons d’édition (Hachette, Michelin, Baedeker) n’ont pas développé de véritables services d’archives. Elles permettaient seulement d’accéder à des collections de guides que les chercheurs peinaient à rassembler en bibliothèques. Les collections y ont longtemps été dispersées et mal identifiées. Les guides étaient souvent mal indexés. Ou encore ils n’étaient pas conservés sur la durée. On peut cependant citer à la Bibliothèque nationale la série Lk7 et à la BnF les sites consacrés aux voyages en Orient, en Afrique, etc. La Bibliothèque du Trocadéro7 (bibliothèque du Tourisme et des voyages) a hérité des fonds du Touring Club et de nombreux guides. La maison Hachette a déposé un important fonds à l’Institut Mémoires de l’édition contemporaine (IMEC) en 1993. Dans ces conditions le travail et les publications d’érudits collectionneurs de guides comme Goulven Guilcher se sont avérés fondamentaux pour la constitution de collections et pour l’analyse de cette littérature à l’échelle européenne. Le monde des collectionneurs fait lui-même l’objet d’études8. Hélène Morlier, collectionneuse et chercheuse, a, quant à elle, publié un itinéraire bibliographique de la collection des9Guides-Joanne, ancêtres des Guides Bleus100. Des recherches variées se sont développées à partir du corpus des guides depuis les années 1990-2000. Voir annexe 1. Les guides de voyage et de tourisme. Bibliographie indicative Les guides ont permis d’explorer historiquement les modes de représentations de l’espace (cartes, images, textes), l’histoire des voyages (Sylvain Venayre), les modes de construction des savoirs sur l’espace (Stéphane Vandamme, Marie-Vic Ozouf-Marignier, Nicolas Verdier). Ils ont été des instruments de la connaissance du patrimoine matériel (Bernard Toulier, architecture balnéaire) comme immatériel (Julia Csergo, sur la gastronomie). Voir annexe 2. Les collections nationales des guides du patrimoine L’originalité du présent numéro de la revue In situ est d’explorer le cœur du texte des guides avec des regards disciplinaires variés depuis le XVIe siècle (Chantal Liaroutzos). La structure même des textes est interrogée, à la fois à travers leur langage, leurs dits et leurs non-dits (Ariane Devanthéry). Plusieurs disciplines de la langue se sont mobilisées depuis le langage psychanalytique (Paul-Laurent Assoun) jusqu’aux réseaux de mots explorés grâce à la lexicométrie (William Martinez). Le vocabulaire est questionné dans la perspective du projet de réalisation d’un « Vocabulaire interdisciplinaire de l’urbain11 » : à quoi renvoient les mots « itinéraire, route, boulevard, avenue, guides, boulevard, avenue » etc ? Ce travail permet de mettre à jour des présupposés, des catégories d’analyses qui ne relèvent pas du premier niveau de la lecture et de l’usage. Il est rendu possible grâce à l’érudition de savants comme Goulven Guilcher ou de scientifiques qui pratiquent de longue date l’interdisciplinarité comme Marcel Roncayolo à qui il convient de rendre hommage. Notes 1 - BARTHES, Roland. Le Guide bleu, Mythologies, Paris : Points Seuil, 1957, p. 121-125. Les guides de tourisme, un patrimoine et un objet d’étude 2 2 - BARTHES, Roland. Id., p. 124. 3 - NORDMAN, Daniel. « Les guides-Joanne. Ancêtres des Guides Bleus », in Pierre Nora (dir.), Les Lieux de mémoire, II. La Nation, 1. Paris : Gallimard, 1986, p. 529-567. 4 - En particulier les articles de Julia CSERGO « Extension et mutation du loisir citadin, Paris XIXe siècle-début XXe siècle » (p. 119-169) et d’André RAUCH « Les vacances et la nature revisitée 1830-1839 » (p. 81-119), in Alain CORBIN (dir.). L’avènement des loisirs 1850-1960. Paris : Aubier, 1995. 5 - Fondateur du département tourisme de l'université de Lyon II et du centre d'études de tourisme de l'université d'Aix. Chargé du tourisme au cabinet de R. Buron, ministre des Transports, des Travaux publics et du Tourisme. http://www.puf.com/wiki/Auteur:Marc_Boyer [consulté le 02/04/2011]. 6 - DESRICHARD, Yves. Les guides de voyage. BBF, 2010, n°6, p. 77-78 [en ligne] http://bbf.enssib.fr/ [Consulté le 20/12/2010]. 7 - 6, rue du Commandant Schloesing, 75016 Paris. 8 - Signalons entre autres l’Association des collectionneurs de guides et cartes Michelin http://www.acgcm.com/accueil.html [consulté le 04/04/2011]. 9 - Tel est un des projets du Pôle pluriformations des Sciences de la ville dirigé par Paul-Laurent Assoun et Pascal Dibie à l’Université Paris 7. Celui-ci a été conduit en particulier autour de Joanne Vajda. Une telle entreprise est différente de celle dirigée par Christian Topalov, Laurent Coudroy de Lille, Jean-Charles Depaule et Brigitte Marin : L’aventure des mots de la ville. Paris : Bouquins, Robert Laffont, 2010. 10 - Morlier, Hélène. Les Guides-Joanne, Genèse des Guides-Bleus. Paris : Les Sentiers débattus, 2007. 11 - Une exposition La librairie Hachette et ses guides de voyage, 1853-1936 a été organisée par Hélène Morlier à la bibliothèque du Tourisme et des Voyages (Trocadéro), Paris 16ème, du 20 novembre au 29 décembre 2007 sur les Guides-Joanne, ancêtres des Guides Bleus. Les guides de tourisme, un patrimoine et un objet d’étude 3 uploads/Voyage/ conclusionguides-0.pdf

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  • Publié le Dec 28, 2021
  • Catégorie Travel / Voayage
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