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See discussions, stats, and author profiles for this publication at: https://www.researchgate.net/publication/305291580 Du voyage au savoir, L'initiation chamanique dans les Andes Chapter · December 2014 CITATION 1 READS 1,405 1 author: Some of the authors of this publication are also working on these related projects: Histoires et usages des plantes psychotropes dans les Andes centrales et le piémont amazonien View project Sébastien Baud Université de Neuchâtel 25 PUBLICATIONS 30 CITATIONS SEE PROFILE All content following this page was uploaded by Sébastien Baud on 14 July 2016. The user has requested enhancement of the downloaded file. Quand l’Homme voyage. Les passeurs d’empreintes Sous la direction de Dominique Soulancé et Jean Louis Duhourcau, L’Harmattan, 2014, 461 p. 249 DU VOYAGE AU SAVOIR L’IITIATIO CHAMAIQUE DAS LES ADES PÉRUVIEES Sébastien Baud Dans les études sur les chamanismes, il est admis à propos des Andes centrales (Favre, 1967 ; Véricourt, 2000 ; Baud, 2011 ; Ricard Lanata, 2011) que le devenir chaman passe par l’expérience de la transe (parfois réduite à sa seule dimension inconsciente) ou tout au moins, par sa construction narrative comme expression quintessentielle d’une fonction. Quelle qu’elle soit, son épreuve est interprétée comme le signe d’une élection par le monde-autre, à savoir Diostayta (Dieu le Père) ou apu et pachamama, esprits des montagnes et de la terre selon les discours. Plus précisément, la transe est comprise localement comme le déplacement d’une force animatrice personnelle, appelée animu, un voyage « en esprit » vers un ou plusieurs lieux emblématiques de la religiosité andine. Là, les individus en transe acquièrent entre autres dons, celui de faire parler les montagnes. Le fait d’associer ainsi élection et voyage « en esprit » laisse entendre que ce dernier est fondamental dans l’apprentissage qui mène à la fonction chamanique, par contraste avec celui d’autres catégories de praticiens. Il définit de même le voyage « en chair et en os » (premier ou second dans le temps de l’instruction) comme complémentaire, en lui assignant le but de parfaire – « irriguer ce qui a été semé » selon certains chamans – ou préparer (lorsqu’elle est à venir) l’expérience extatique. Dans le récit qu’ils font de ce devenir, les chamans rencontrés disent avoir appris auprès d’un praticien, qu’ils décrivent comme héritier d’une longue lignée de chamans se perdant dans une histoire subjectivée (Baud, 2010). Ces derniers de préférence vivent ailleurs, dans la forêt tropicale ou les vallées andines éloignées, à la limite des glaciers, ces manteaux des apu, c’est-à-dire hors de toutes voies de communication praticables. Le savoir, notamment celui qui présuppose la capacité d’entrer en transe, est toujours chez l’autre, à plus forte raison chez celui qui ne subit pas à l’instar de soi Quand l’Homme voyage. Les passeurs d’empreintes Sous la direction de Dominique Soulancé et Jean Louis Duhourcau, L’Harmattan, 2014, 461 p. 250 les vicissitudes du monde moderne. Dans cette logique, un voyage « en chair et en os » en d’autres régions du Pérou, plus rarement d’Amérique du Sud, peut être réalisé longtemps après l’expérience initiale et initiatique. Le plus souvent, celui-ci est entrepris par le chaman expérimenté afin d’accroître son aura auprès des siens et d’autres par la possibilité qu’il donne de répondre à toutes sortes d’infortunes. Autrement dit, ce voyage a pour dessein l’acquisition de nouveaux savoirs. Dans une société toujours en mouvement, c’est un avantage (sur ses confrères) non négligeable. Question de pouvoir donc, mais aussi d’imaginaire, puisqu’il implique pour s’y rendre une séparation d’avec son environnement familier. En ce sens, le voyage « en chair et en os » » est synonyme de déstabilisation et d’un abîme, cette part de soi non négociable qui autorise toutes sortes de débordements, parfois dévastateurs, souvent salutaires (Caratini, 2012). Mon propos s’appuie sur un travail de terrain réalisé dans la région de Cuzco, au Pérou, commencé en 1999 et plus précisément sur deux rituels. Le premier, appelé mesa, est un rituel de transe possessive, au cours duquel le chaman « s’envole » pour se poser sur une table (la mesa) et s’entretenir, sous une identité autre que celle de la personne sociale, avec les participants. Le second est un « nettoyage énergétique » ou limpieza, réalisé à l’aide du feu. Abordés successivement, ils forment la trame de cet article dans lequel je discute de voyages « en esprit » et corporel à des fins initiatiques et pratiques, des relations qu’ils entretiennent l’un avec l’autre et avec un ensemble de représentations spatiales et temporelles. Je montre ainsi que si la déstabilisation à l’instant mentionnée est nécessaire afin de mener à la répétition de la transe pour le bénéfice de la communauté (au sens de l’ensemble des sollicitations individuelles), elle ne l’est que par l’existence discursive d’un chaman archétypique. Autrement dit, mon analyse se veut une exploration du processus de légitimation et des logiques de transmission et de circulation des savoirs qui permettent à l’être humain de gérer l’aléatoire. L’élection chamanique dans les Andes : un voyage « en esprit » Dans les Andes centrales, le voyage et ses corollaires, l’échange de biens matériels, la diffusion des dieux et de leurs représentations, sont au fondement des grandes sociétés : chavín, wari et inca. Celles-ci, dont l’apogée correspond à une période d’intégration culturelle, voire politique, ont en commun d’avoir été capables d’une forte mobilisation des ressources humaines, associée à l’existence de caravanes de camélidés. Cette importante circulation des femmes et hommes s’inscrivait dans une logique d’autarcie, logique qui suppose l’établissement d’un dense réseau de Quand l’Homme voyage. Les passeurs d’empreintes Sous la direction de Dominique Soulancé et Jean Louis Duhourcau, L’Harmattan, 2014, 461 p. 251 colonies occupant des paliers écologiques variés, distants de plusieurs jours de marche, en amont et en aval. Ces colonies étaient composées d’individus de différentes communautés, reliés à leur centre respectif par des pratiques de mobilité régulières. Elles se caractérisaient par leur pluriethnicité. Une telle organisation de la société prévalut dans l’ensemble de l’aire andine jusqu’aux années 1570, époque à laquelle le vice-roi Toledo inventa les réductions dans le but de contrôler les populations amérindiennes. Ce faisant, les anciennes unités sociales furent peu à peu détruites et de nombreuses langues locales disparurent au profit du quechua, devenu langue d’évangélisation (Robin, 2004). Cela dit, cet ancrage spatial discontinu et interethnique est à l’origine de la singularité des chamanismes andins d’hier et d’aujourd’hui, et de la pertinence de la notion de « voyage » pour leur compréhension. Il est malaisé de définir les chamanismes, sans entrer dans des querelles autour de détails ou d’a priori épistémologiques dus aux différences entre les aires culturelles où ils se rencontrent. En d’autres termes, il y aurait autant de chamanismes que de sociétés à chaman, voire de chamans. Pour dépasser cette difficulté, d’aucuns ont donné une liste plus ou moins longue des fonctions attachées au personnage du chaman. Parmi celles-ci, je citerai les fonctions préventive et propitiatoire, diagnostique étiologique, thérapeutique et modératrice, sociale et pédagogique, rituelle et festive, prophétique, etc. Je pourrai ajouter celle de passeur de culture, puisqu’elle concerne plus précisément cet article. En effet, le chaman est à l’origine – car c’est un nomade, un voyageur – d’emprunts culturels et innovations. Pour cause, cette figure des sociétés amérindiennes utilise des techniques et propose des explications aux événements qu’elle a élaborées au gré de ses voyages. Dès lors, si en tant que systèmes symboliques et culturels, les chamanismes ne dérivent pas d’une logique de la personnalité, ils sont portés par et s’enrichissent de l’expérience originale des chamans. Des chamans par ailleurs, dont on attend qu’ils soient capables de faire en sorte que les esprits et tout ce qui est transparence deviennent visibles, alors que l’opacité des corps devient transparence. Les chamans andins doivent ce don à une expérience singulière, un voyage « en esprit », que viendra parfaire ou qu’aura préparé un voyage « en chair et en os » auprès d’un ou plusieurs instructeurs. Devenir chaman dans les Andes passe par la foudre (qhaqya), tant est si bien que des candidats chamans, qui se forment au rituel de la mesa, n’hésitent pas à se balader dans la pampa, par temps orageux, avec du métal accroché à la ceinture. Si ces derniers ne meurent pas, ils sont reconnus pour avoir de la chance (sami), c’est-à-dire que leur étoile (ibid.) est telle qu’ils étaient faits pour devenir chaman. Autrement dit, ils sont reconnus (par les autres membres de la communauté) pour avoir vécu une expérience en trois temps, élective et initiatique. Car la foudre frappe trois fois successivement, trois Quand l’Homme voyage. Les passeurs d’empreintes Sous la direction de Dominique Soulancé et Jean Louis Duhourcau, L’Harmattan, 2014, 461 p. 252 décharges électriques qui font de la personne un chaman ou altomesayuq, « celui qui possède la table rituelle d’en haut » – par opposition au pampamisayuq, « celui qui possède la table rituelle d’en bas » –, celui qui fait parler les montagnes. La première fois, la foudre morcelle le corps et arrache la tête. Les termes employés par le discours emic pour désigner l’expérience vécue par la personne – « uploads/Voyage/ texte-voyage.pdf
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- Publié le Dec 21, 2022
- Catégorie Travel / Voayage
- Langue French
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