Cahiers d'études hispaniques médiévales Le voyage dans Kitâb al-isfâr ‘an natâ’

Cahiers d'études hispaniques médiévales Le voyage dans Kitâb al-isfâr ‘an natâ’ij al-asfâr d’Ibn ‘Arabî : entre finitude et absolu Balkis Aboueleze Résumé C’est probablement vers la fin du XIIe siècle, alors qu’il était encore en al-Andalus, qu’Ibn -Arabî, l’un des plus grands mystiques musulmans, a écrit «Kitâb al-isfâr ‘an natâ’ij al-asfâr» (le «Livre du dévoilement des effets des voyages»). Dans ce traité, loin de se limiter au déplacement physique des hommes, le voyage tourne fondamentalement autour de la relation de l’homme à Dieu, et ce surtout à travers le Livre sacré, c’est-à-dire ici, le Coran. La brève étude que nous proposons voudrait rendre compte, essentiellement à partir du pouvoir fondateur de la Parole, de la problématique qui sous-tend la question du voyage («safar») chez Ibn‘Arabî. Resumen Fue probablemente hacia finales del siglo XII, mientras estaba todavía en al-Andalus, cuando Ibn -Arabî, uno de los más grandes místicos musulmanes, escribió «Kitâb alisfâr ‘an natâ’ij al-asfâr» («El libro que desvela los efectos de los viajes»). En este tratado, lejos de referirse meramente al desplazamiento físico de los hombres, el viaje gira fundamentalmente en torno a la relación del hombre con Dios, y ello sobre todo a través del Libro sagrado, o sea aquí el Corán. Mediante el breve estudio que proponemos nos gustaría plantear, esencialmente a partir del poder fundador de la Palabra, la problemática que subyace a la cuestión del viaje («safar)» para Ibn ‘Arabî. Citer ce document / Cite this document : Aboueleze Balkis. Le voyage dans Kitâb al-isfâr ‘an natâ’ij al-asfâr d’Ibn ‘Arabî : entre finitude et absolu. In: Cahiers d'études hispaniques médiévales. N°30, 2007. pp. 185-195; doi : 10.3406/cehm.2007.1804 http://www.persee.fr/doc/cehm_0396-9045_2007_num_30_1_1804 Document généré le 02/06/2016 Le voyage dans Kitâb al-isfâr ‘an natâ’ij al-asfâr d’Ibn ‘Arabî : entre finitude et absolu Balkis Aboueleze Université Paris X – Nanterre EA 369 Résumé C’est probablement vers la fin du xiie siècle, alors qu’il était encore en al- Andalus, qu’Ibn ‘Arabî, l’un des plus grands mystiques musulmans, a écrit Kitâb al-isfâr ‘an natâ’ij al-asfâr (le Livre du dévoilement des effets des voyages). Dans ce traité, loin de se limiter au déplacement physique des hommes, le voyage tourne fondamentalement autour de la relation de l’homme à Dieu, et ce surtout à travers le Livre sacré, c’est-à-dire ici, le Coran. La brève étude que nous proposons voudrait rendre compte, essentiellement à partir du pouvoir fondateur de la Parole, de la problématique qui sous-tend la question du voyage (safar) chez Ibn ‘Arabî. Resumen Fue probablemente hacia finales del siglo xii, mientras estaba todavía en al-Andalus, cuando Ibn ‘Arabî, uno de los más grandes místicos musulmanes, escribió Kitâb al- isfâr ‘an natâ’ij al-asfâr ( El libro que desvela los efectos de los viajes). En este tratado, lejos de referirse meramente al desplazamiento físico de los hombres, el viaje gira fundamentalmente en torno a la relación del hombre con Dios, y ello sobre todo a través del Libro sagrado, o sea aquí el Corán. Mediante el breve estudio que proponemos nos gustaría plantear, esencialmente a partir del poder fundador de la Palabra, la problemática que subyace a la cuestión del viaje (safar) para Ibn ‘ Arabî. Ibn ‘Arabî, l’auteur du traité qui nous intéresse ici, est considéré comme l’un des plus grands mystiques musulmans. Il est né en à Murcie en 1165 de l’ère chrétienne, et est mort à Damas en 1240. Son œuvre est très impor- tante puisqu’il pourrait avoir travaillé à près de quatre cents ouvrages1, et que la pensée qui émane de ses écrits occupe une grande place dans 1. Ahmed Ates, « Ibn ‘ Arabî », Encyclopédie de l’islam, III, Leyde-Paris : Brill - Maisonneuve et Larose, 1971, p. 731. cehm, n° 30, 2007, p. 185-195 186 BALKIS ABOUELEZE la mystique musulmane. La production d’Ibn ‘Arabî a bien évidemment porté sur le domaine du soufisme (ta ˉ sawwuf), mais pas exclusivement. Il semble cependant que ce soient les ouvrages relatifs au soufisme qui aient essentiellement été conservés2. C’est précisément dans cette ligne de pensée que s’inscrit l’ouvrage qui nous intéresse : Kitâb al-isfâr ‘an natâ’ ij al-asfâr, c’est-à-dire littéralement Le livre du dévoilement des effets des voyages 3. Ce traité fut, semble-t-il, composé dans la première période de la vie du grand maître (shaykh al-akbar), c’est-à- dire avant son départ pour l’Orient au début du xiiie siècle4. Bien qu’il ne rende compte que d’un aspect de la pensée d’Ibn ‘Arabî, c’est précisé- ment parce qu’il est centré sur la question du voyage que ce traité nous intéresse ici. En effet, dès le titre, l’auteur indique son objectif : présenter les effets que procurent les voyages. Pour ce faire, il va s’appuyer sur une série de voyages tirés du texte sacré dont les bénéfices seront précisés à la fin de chaque paragraphe. Par ailleurs, dès le titre toujours, le mot safar pour « voyage » évoque les voyages quels qu’ils soient, avec déplacement physique ou non. Donc, ce terme d’une part, et les exemples qui fondent et illustrent le propos de l’auteur d’autre part, nous orientent d’emblée sur le type de voyages dont il va être question, à savoir ceux qui sont en relation avec la divinité. Pourtant, même si Ibn ‘Arabî se propose de mettre l’accent sur les effets de ces voyages, la notion de voyage elle-même dans ce cadre-là ne va pas de soi. De fait, qu’en est-il du lien qu’impliquent ces voyages, sachant que la rencontre entre l’homme, donc le fini, et Dieu, l’infini, pourrait sembler impossible ? En effet, comment penser que la finitude puisse dépasser sa limite fondamentale pour accéder à l’infini sans renier sa condition finie ? C’est précisément ce que nous essaierons de montrer en nous intéressant à cette mise en relation, à travers le voyage, de l’homme, être fini, acteur et destinataire du traité, et de la divinité, autrement dit l’absolu. C’est en nous penchant sur ces voyages qui sont au cœur de l’ouvrage, mais aussi sur la dynamique sur laquelle ils reposent que nous espérons pouvoir rendre compte de ce que signifie safar sous la plume de l’auteur. Du mouvement au voyage : la question du dévoilement Attachons-nous dès lors en premier lieu à ce qui pourrait sembler être à la base du voyage, à savoir le mouvement (ẖsarakat). Il est à noter dans un premier temps que le mouvement est omniprésent dans la conception du 2. Ibid., p. 731. 3. Pour les citations ultérieures, nous nous référerons à la traduction de Denis Gril. 4. Denis Gril (éd. et trad.), Ibn ‘Arabî, Le dévoilement des effets du voyage, Combas : éditions de l’Éclat (Philosophie imaginaire), 1994, « Introduction », p. xi-xii. LE VOYAGE DANS KITÂB AL-ISFÂR ‘AN NATÂ’IJ AL-ASFÂR 187 monde telle que l’exprime Ibn ‘Arabî dans ce traité. Nous pouvons lire en effet que : « L’existence a pour origine le mouvement. Il ne peut donc y avoir d’immobilité en elle, car si elle restait immobile, elle reviendrait à son origine qui est le néant. »5 Autrement dit, le mouvement ne semble pas être une conséquence de l’existence, mais bel et bien l’élément nécessaire­ à l’apparition et au maintien de l’existence. Le néant (‘adam) apparaît donc comme le lieu d’origine de toute existence. Cette dernière, par ailleurs, n’étant alors qu’une dimension du néant, ne peut advenir à son état d’être qu’au moyen et en tant que mouvement. Il en découle que : « Il n’y a donc aucune immobilité. Le mouvement dans ce monde est continuel. »6 Alors l’homme, en tant qu’être, est nécessairement mouvement, de même qu’en partie la divinité elle-même, nous y reviendrons : « Le voyage ne cesse donc jamais dans le monde supérieur et inférieur. De même, les réalités divines sont sans cesse en voyage […]. »7 Outre l’importance évidente accordée au mouvement, nous consta- tons à partir de ces quelques citations qu’au sein d’un même paragraphe, les termes « mouvement » et « voyage » sont associés, et que l’auteur passe de l’un à l’autre sans en préciser les différentes portées. Pourtant, les deux vocables ne sont pas équivalents, et si dans l’idée de voyage, la notion de mouvement est nécessairement présente, la réciproque n’est pas vraie : ce n’est pas parce qu’il y a mouvement qu’il y a voyage. Par ailleurs, c’est bien le terme de « voyage » (safar) qui constitue le cœur du traité. Arrêtons-nous donc plus précisément sur la définition du voyage telle qu’elle apparaît essentiellement dans ce qui semble constituer l’introduction à l’ouvrage. Ibn ‘Arabî écrit que : « Les voyages sont de trois sortes et il n’y en a pas quatre. Tels sont ceux que Dieu reconnaît : le voyage venant de Lui [safar min ‘indahu], le voyage vers Lui [safar ilayhi] et le voyage en Lui [safar fîhi]»8. Il est à noter en premier lieu que la conception du voyage repose sur un élément fondamental sous la plume de l’auteur : celui de la recon- naissance de Dieu. C’est en fonction de cette reconnaissance que sont définis trois types de voyages. Pourtant, il existe toutes sortes de voyages. Ibn ‘Arabî, pour sa part, uploads/Voyage/livre-du-devoilement-des-effets-des-voyages.pdf

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  • Publié le Nov 16, 2022
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