Grand N n° 79, pp. 7 à 32, 2007 7 CONCEPTUALISATION EN MATHEMATIQUES ET ELEVES

Grand N n° 79, pp. 7 à 32, 2007 7 CONCEPTUALISATION EN MATHEMATIQUES ET ELEVES EN DIFFICULTE LE CALCUL MENTAL, ENTRE SENS ET TECHNIQUE Denis Butlen Monique Charles-Pézard IUFM de Créteil, Université Paris 12 Équipe DIDIREM, Université Paris 7-Denis Diderot Nous présentons dans cet article un ensemble de résultats concernant le processus de conceptualisation1 de certaines notions mathématiques. Il s’agit d’une réorganisation de résultats de recherches précédentes portant sur l’enseignement de techniques de calcul mental en lien avec la résolution de problèmes. Nous mettons en évidence différents cheminements cognitifs d’élèves selon les difficultés qu’ils rencontrent en mathématiques. Il s’agit d’un travail de synthèse portant sur le processus de conceptualisation en prenant comme filtre les élèves en difficulté en mathématiques, élèves de plus issus de milieux socialement défavorisés (ZEP). Dans une première partie intitulée Calcul mental : le paradoxe de l’automatisme, nous rappelons les résultats d’un diagnostic portant sur les performances et procédures des élèves lors de calculs mentaux de sommes, différences et produits, révélés par une recherche déjà ancienne (Butlen, Pézard, 1992). Nous énonçons un paradoxe, source de difficulté pour les élèves, entre adaptabilité et automatisme. Nous décrivons ensuite un ensemble d’activités susceptibles d’aider au dépassement de ce paradoxe. Ces activités ont pour but de mettre en place des techniques de calcul mental qui serviront d’outil pour en construire d’autres plus élaborées et pouvant s’adapter en fonction des nombres intervenant dans le calcul. Nous concluons cette première partie en montrant comment les élèves en difficulté peinent à en bénéficier autant que leurs pairs. Cela nous amène, dans une seconde partie intitulée conceptualisation en mathématiques et élèves en difficulté, à envisager de nouveaux dispositifs susceptibles de repousser ces limites et à expliciter des cheminements cognitifs spécifiques de certains élèves en difficulté, scolarisés en ZEP. Nous mettons en évidence des étapes dans le processus de conceptualisation favorisant les apprentissages de ces élèves. 1 Processus de conceptualisation : processus d'appropriation d'un ou de plusieurs concepts. Nous renvoyons le lecteur aux travaux de psychologie cognitive et de didactique des mathématiques, notamment à ceux de G. Vergnaud, pour des définitions de concept, conceptualisation, champ conceptuel. 8 En conclusion, nous présentons quelques éléments d’explication permettant d’optimiser ces premiers résultats. Calcul mental, le paradoxe de l’automatisme Précisons ce que nous entendons par « automatisme » et « procédure automatisée ». Une procédure est automatisée quand elle est restituée par l'élève pour résoudre un calcul sans que celui-ci la reconstruise (Fischer 1987, Boule 1997). Nous disposons, grâce notamment aux travaux des psychologues, de différents outils pour la reconnaître. On peut ainsi avoir accès directement à cette caractéristique en mesurant par exemple le temps de réponse de l'élève ou indirectement en questionnant l'élève sur sa manière de calculer. Cette seconde approche, souvent utilisée en didactique des mathématiques, est plus délicate à mettre en œuvre car elle relève essentiellement du déclaratif. Par automatisme, nous entendons, selon le contexte, soit le recours à un ensemble de procédures automatisées installées en mémoire et ayant fait l'objet d'un enseignement ou d'une pratique préalable, soit un comportement se caractérisant par une mobilisation quasi systématique de l'élève d'un seul type de procédure quelles que soient les données numériques du calcul à effectuer. Nous pouvons définir un élève en difficulté en mathématiques de deux manières différentes. La première définition est plutôt statistique : un élève est diagnostiqué comme en difficulté à un niveau donné de la scolarité quand il échoue de manière importante voire systématique aux items d'une évaluation réussis par au moins 80% de ses pairs. Nous faisons ici référence soit à des évaluations construites et testées sur un échantillon représentatif d'une population scolaire (par exemple les évaluations EVAMATHS de l’APMEP ou celles que nous avons nous-même élaborées lors des recherches citées), soit aux évaluations nationales du Ministère de l'Education Nationale. La seconde définition renvoie à un ensemble de caractéristiques susceptibles d'être présentées par un élève en difficulté (Butlen 1997). Un diagnostic des procédures et performances des élèves en calcul mental Des résultats concernant les procédures des élèves Il s’agit d’une recherche déjà ancienne (Butlen, Pézard, 1992). Nous avons travaillé pendant deux ans dans plusieurs classes de l’école élémentaire du CP au CM2 afin de recueillir les procédures des élèves lors d'activités de calcul mental portant notamment sur des sommes, des différences, des produits et des quotients. L'analyse du corpus de données nous a permis d'élaborer une typologie des procédures mobilisées du CP au CM2 et d'évaluer leur disponibilité2. Nous avons constaté que les élèves, lors de calculs mentaux, mobilisaient surtout des procédures de calcul automatisées ou des algorithmes écrits. Tout se passe comme si l’enseignement de techniques3 opératoires écrites ou de techniques de calcul mental standard et automatisées rentrait en conflit avec le recours à des procédures de calcul plus primitives mobilisées précédemment par les élèves. 2 Une procédure est disponible quand elle est mobilisée lors d'un calcul sans appel explicite de la part de l'enseignant, notamment dans le cas où elle constitue un des éléments de la stratégie de calcul mise en œuvre par l'élève pour réaliser la tâche demandée. 3 Nous entendons par technique un ensemble organisé de procédures. Nous renvoyons à Fayol et Monteil (1994) ainsi qu’à Boule (1997) pour une synthèse bibliographique des définitions des termes procédure, algorithme, technique, stratégie etc. 9 Donnons un exemple. Pour calculer 45 + 17, les procédures possibles sont les suivantes : - simulation mentale de l’algorithme écrit ; - utilisation de la décomposition additive canonique de l’un ou des deux termes : 45 + 17 = 40 + 5 + 10 + 7 = 50 + 12 = 62 45 + 17 = 45 + 10 +7 = 55 + 7 = 62 ; - utilisation d’une décomposition additive de l’un des termes s’appuyant sur un passage à une dizaine supérieure : 45 + 17 = 45 + 5 + 12 ou 45 + 15 + 2 ou 2 + 43 + 17 ; - utilisation d’une décomposition soustractive de l’un des termes : 45 + 20 – 3, etc. Les procédures mobilisées par des élèves de fin de cycle 2 n’ayant pas bénéficié d’un enseignement préalable sont les suivantes : l’algorithme « posé dans la tête » (procédure majoritaire), les différentes procédures mobilisant des décompositions canoniques et beaucoup plus rarement celles mobilisant d’autres décompositions additives ou soustractives. Ces dernières nécessitent un enseignement préalable. Les élèves préfèrent utiliser des procédures sûres (qui fonctionnent dans tous les cas et conduisent, à condition d’être menées à terme, au résultat attendu) mais coûteuses plutôt que des procédures mieux adaptées au calcul en jeu. Ces dernières nécessitent une prise en compte de la spécificité des nombres intervenant dans le calcul et de leurs propriétés. De plus, leur domaine de validité est limité. Parallèlement à ce constat, nous avons retrouvé un résultat déjà signalé par d’autres chercheurs (Fischer, 1987-1988, Resnick, 1983) : les élèves de fin de cycle 2 éprouvent de réelles difficultés à effectuer des calculs simples mais nécessitant un passage à la dizaine comme : 45 + 7 = 52. Ce constat révèle un défaut de procédures automatisées pouvant s’expliquer en partie par un manque de pratique. Nous constatons donc à la fois un défaut d’adaptabilité des élèves et un manque de faits numériques mémorisés. Ces derniers ne sont pas suffisamment disponibles lors des calculs. De plus, la mise en place de techniques de calcul automatisées (notamment les algorithmes écrits) semble limiter les possibilités d’adaptation des élèves au calcul du moment, notamment quand l’enseignement ne le prend pas suffisamment en compte. Des résultats concernant les élèves en difficulté Le précédent diagnostic montre aussi que les élèves en difficulté en mathématiques le sont en général en calcul mental. De plus, pour ces élèves, on constate un décalage dans le temps de l’apprentissage : c’est le cas notamment dans la mobilisation progressive de procédures adaptées aux calculs proposés. Cela nous conduit à énoncer un paradoxe lié aux rapports qu’entretiennent automatisme et adaptabilité aux calculs. Le paradoxe de l’automatisme Ces différentes recherches sur le calcul mental montrent à la fois un défaut d’adaptation dû à l’installation de procédures automatisées mais aussi un défaut de performances dû à un manque de procédures de calcul automatisées. Ces manques révèlent, selon nous, une connaissance insuffisante des nombres, des opérations et de leurs propriétés. Tous les élèves sont ici concernés, mais ces manques sont particulièrement criants pour les élèves en difficulté. Ils concernent par exemple la connaissance et la disponibilité des compléments à dix, à la dizaine ou à la centaine supérieure. 10 Tout se passe comme si l’apprentissage et la maîtrise de techniques de calcul sûres (les techniques opératoires écrites ou encore les techniques mobilisant des décompositions additives canoniques décrites ci-dessus) se faisaient au détriment des autres procédures, voire les « écrasaient ». Les élèves semblent alors trouver plus économique de mobiliser ces procédures alors que d’autres, nécessitant une prise en compte très rapide des propriétés particulières des nombres intervenant dans le calcul, s’avèreraient plus efficaces et moins coûteuses en mémoire comme en quantité de calcul intermédiaires. Cette prise en compte insuffisante peut

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  • Publié le Jul 16, 2021
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