Daniel Cordier La victoire en pleurant Alias Caracalla 1943-1946 Témoins Gallim

Daniel Cordier La victoire en pleurant Alias Caracalla 1943-1946 Témoins Gallimard Daniel Cordier La victoire en pleurant Alias Caracalla 1943‑1946 Préface de Bénédicte Vergez-Chaignon G A L L I M A R D © Éditions Gallimard, 2021. Couverture : Daniel Cordier en 1945. Photo © Handout / Musée de l’Ordre de la Libération / AFP (détail). Daniel Cordier tel qu’en lui-même Les lecteurs d’Alias Caracalla qui ont suivi avec passion les péri­ péties de la vie d’Alain vont retrouver dans la suite des Mémoires de Daniel Cordier le même bagarreur épris d’idéal et de sacrifice, le même témoin candide mais scrupuleux de la grande histoire, le même jeune homme sensible, avide d’art et de culture, le même timide trop fier pour ne pas souffrir de ses faiblesses, le même ami fidèle multipliant les rencontres avec des êtres d’exception. La victoire en pleurant prend la suite d’Alias Caracalla, immédia­ tement après l’arrestation de Jean Moulin, en juin 1943, et accom­ pagne Daniel Cordier jusqu’en janvier 1946, date de son départ des services secrets, motivé par la démission du général de Gaulle, chef du Gouvernement provisoire. On le retrouve accomplissant son harassante besogne de pivot de la Délégation du Comité français de la Libération nationale, avec une lassitude croissante et au milieu de dangers toujours plus proches. On l’accompagne dans ses vacances improvisées ; dans ses conversations avec Jean-Paul Sartre, Albert Camus ou Raymond Queneau ; dans son internement en Espagne ; dans sa réintégration dans les services secrets à Londres, où il contribue de son mieux à la réussite du Débarquement ; dans son douloureux retour en France à l’automne 1944 ; dans ses fonctions cruciales au sein des services secrets, à l’intersection de la Résistance et du pouvoir politique. On l’entend s’entretenir avec Raymond Aron ou André Malraux. On est à ses côtés, quand il va au-devant de ses amis rentrant de dépor­ tation. Il y demeure le même, avec sa loyauté, ses emportements, sa pas­ sion, ses doutes et, bien souvent, ses larmes. * À peine échappé de la fournaise de la France occupée, Daniel Cordier songea à replonger par l’écriture dans ce qu’il venait de vivre et qui lui était cher – pour reprendre ses mots. Doutant de ses capacités, happé par la poursuite de la guerre puis par la nécessité de se bâtir un avenir, refusant de capitaliser sur ce passé de chagrins et de gloire, il n’en fit rien. Il ne revint à ce projet qu’à l’aube de sa vieillesse, qui fut toute consacrée à l’histoire. L’écriture de ses Mémoires l’enthousiasma. « Au fil de pages, confia-t-il, je pensais à moi, c’est-à-dire à l’élan d’une jeunesse empreinte d’assurance, de volonté et de passion. » Ce fut pourtant parfois une expérience douloureuse, parce qu’il y faisait le relevé des « plaies innombrables » qui jalonnaient son parcours. Et parce qu’il ne parvenait pas à se défendre du sentiment contristant qu’une vie peut finir par ressembler à une « longue trahison de l’espérance » des premières années. Le pari fou de sa jeunesse plaçait ces attentes très haut. Et si le bonheur d’avoir retracé ce « passé idéal » l’em­ porta, c’est parce que son engagement de 1940 dans le combat pour la liberté ne figura jamais au nombre de ses regrets. Ces Mémoires, rédigés par à-coups sur près de quarante ans, sont hélas incomplets. Ils comportent des erreurs factuelles et des inter­ versions de dates. Un comble pour un tel amoureux de chronologie qui a dédié la dernière partie de sa vie, avec l’impact qu’on sait, à établir la vérité historique ! On n’en sera toutefois pas surpris plus que de raison. Lui-même disait ne pas cesser de prendre sa mémoire en défaut, quand il la confrontait aux archives, et, même, avouait se surprendre, dans ses interviews ou ses témoignages, en flagrant Préface 8 délit d’approximation. Les Mémoires sont, après tout, un récit, un récit construit et choisi, qui redonne une cohérence au désordre et aux contradictions intimes inhérents à la vie. C’est pourquoi nous nous sommes contentés de corrections mineures, pour laisser Daniel Cordier s’exprimer librement. Les inexactitudes sont simplement signalées en notes. De même, nous ne nous sommes pas substitués à lui pour combler les manques qu’il avait laissés en suspens ou raconter les événe­ ments et les rencontres qu’il avait – apparemment – oubliés ou tenus pour sans intérêt. Il ne trouva pas le temps – ou l’inspiration – pour écrire les portraits, prévus sur un plan de travail ancien, de Georges Boris, Alexandre Parodi, René Pleven ou Paul Bastid. À notre grand regret, son entrevue avec le général de Gaulle, en juin 1944, n’est mentionnée qu’au détour d’une phrase, sa désignation comme com­ pagnon de la Libération, le 20 novembre de cette même année, est passée sous silence, ainsi que son rendez-vous avec Gaston Galli­ mard, procuré par Raymond Queneau, pour envisager la publication du Livre blanc du BCRA, au grand émoi de l’éditeur… Nous avons toutefois ajouté les documents qu’il souhaitait insérer, quand nous avons pu les retrouver, et apporté quelques éléments comme ses interrogatoires par les services de contre-espionnage français et britannique, en 1944, son rapport de fin de mission ou les documents établissant sa nomination comme compagnon de la Libération. Surtout, nous avons pu enrichir le manuscrit d’extraits des carnets intimes qu’il a tenus, irrégulièrement, toute sa vie. Ainsi reste-t-il bien l’auteur de ces Mémoires que nous disons inachevés simplement parce que nous aurions voulu en lire plus encore. * Je n’ai été que fort peu mêlée à l’écriture d’Alias Caracalla. J’en ai lu de premières moutures, en même temps que le manuscrit de ce qui deviendrait Les Feux de Saint-Elme, au début des années 1990. À cette époque, mon travail journalier au long cours, avec Daniel Préface 9 Cordier, consistait à préparer Jean Moulin. La République des Cata­ combes, qui parut en 1999. Ce n’est pas sans embarras que je pris connaissance des versions de ces souvenirs qui faisaient de moi le témoin de la jeunesse de mon patron, sous tous ses aspects. Cela explique peut-être que nous eûmes à leur propos une des deux seules disputes qui nous aient opposés en dix années. Il prit mal le reproche peu diplomatique que je lui fis d’entrelarder trop fréquemment et trop longuement son récit de citations d’articles, rapports et autres télégrammes. Nous en restâmes là… Du fait de ce « passif », j’ouvris, avec quelque appréhension, le manuscrit de la suite de ses Mémoires, après sa mort, survenue le 20 novembre 2020, qui pour ne pas être inattendue, marqua aussi le deuil d’une partie de ma jeunesse. J’avais tort d’éprouver des craintes, car j’ai retrouvé Daniel Cor­ dier dans sa vivacité, sa séduction, son engagement, sa drôlerie et sa sensibilité. Bien sûr, j’identifie des anecdotes. Mais bien moins qu’on pourrait le croire parce que, conformément à la promesse qu’il s’était faite à vingt-cinq ans, Daniel Cordier n’a jamais été un ancien combattant radoteur et donneur de leçons. Nous parlions au moins aussi souvent du présent et de l’avenir que du passé, tout historiens que nous étions. Au contraire, donc, j’ai appris ici des détails, j’ai découvert des situations dont il m’avait à peine parlé. Or, même dans ces situations méconnues de moi, je le reconnais tout entier. Je ris en le voyant accablé d’archives, parce que je sais quelle place centrale les archives vont prendre dans son travail futur… et quelle place tout court elles prirent dans ses maisons. Constatant que le rapport qu’il écrivit en mai 1944 oublie de rendre compte de sa mission en France pour devenir un pano­ rama de l’opinion publique, je retrouve exactement les idées de « topos » – selon son expression favorite – dont il aimait truffer ses ouvrages. Je revis nos controverses sur François Mauriac, qu’il couvrait de Préface 10 reproches, quand je suis une grande admiratrice de son œuvre et de sa personne. En lisant sa condamnation sans appel du maréchal Pétain (dont j’ai écrit bien plus tard la biographie), je me rappelle qu’il pro­ clamait, pastichant à dessein les nazis : « Quand j’entends le mot Pétain, je sors mon fusil ! » Je me revois dînant avec Stéphane Hessel ou avec Raymond Lagier – que nous continuions à appeler le capitaine Bienvenue ou le capitaine tout court, comme si nous étions membres du BCRA par procuration –, et je devine les traits de caractère de ces hommes de trente ans, qui perduraient l’âge venu. J’apprends, sans y croire tout à fait, d’où provient la photo de Jean Moulin qui, du bureau de Daniel Cordier, est venue s’accrocher sur mon mur il y a plus de vingt ans. Surtout, je suis bouleversée en revenant en sa compagnie sur les lieux de sa vie passée, qui furent aussi ceux où je vécus à ses côtés. Je reprends la route sinueuse de Pau à Bescat, parcourue à trop vive allure dans une voiture surchauffée. Je refais les manœuvres, que je redoutais, pour passer le porche. Je rentre dans sa maison d’enfance, au uploads/s1/ cordier.pdf

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  • Publié le Fev 16, 2021
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