QUELQUES REMARQUES SUR LA CUISINE, LA GASTRONOMIE ET LE MÉTISSAGE Françoise Sab
QUELQUES REMARQUES SUR LA CUISINE, LA GASTRONOMIE ET LE MÉTISSAGE Françoise Sabban Publications de la Sorbonne | Hypothèses 2012/1 - 15 pages 367 à 372 ISSN 1298-6216 Article disponible en ligne à l'adresse: -------------------------------------------------------------------------------------------------------------------- http://www.cairn.info/revue-hypotheses-2012-1-page-367.htm -------------------------------------------------------------------------------------------------------------------- Pour citer cet article : -------------------------------------------------------------------------------------------------------------------- Sabban Françoise, « Quelques remarques sur la cuisine, la gastronomie et le métissage », Hypothèses, 2012/1 15, p. 367-372. -------------------------------------------------------------------------------------------------------------------- Distribution électronique Cairn.info pour Publications de la Sorbonne. © Publications de la Sorbonne. 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La démarche des participants à cette journée est ainsi placée sous le double intitulé du métissage et de la gastronomie. Cependant l’acception qu’ils donnent à ce dernier mot dans leur texte préliminaire ne correspond pas à son extension sémantique habituelle. Ils veulent révoquer (sic) « sa conception traditionnelle, étroite et élitiste, dictant un idéal de pratiques et de goûts et faisant de cet idéal un outil de distinction sociale ». De plus, à les suivre, la « gastronomie » se diluerait quasiment dans la notion même de métissage, étant entendu, affir- ment-ils, « qu’il n’y a pas de gastronomie sans métissage ». Essayons d’abord de voir pourquoi cette revendication d’une gastrono- mie qui serait plus ouverte et moins élitiste suscite l’étonnement quant au sens attribué ici au terme « gastronomie ». On perçoit en effet dans les textes présentés à cette journée comme une volonté de contester l’idée habituelle- ment véhiculée par l’emploi du mot « gastronomie ». La gastronomie serait * Directrice d’études à l’École des hautes études en sciences sociales. Document téléchargé depuis www.cairn.info - Biblio SHS - - 193.54.110.35 - 08/02/2015 18h31. © Publications de la Sorbonne Document téléchargé depuis www.cairn.info - Biblio SHS - - 193.54.110.35 - 08/02/2015 18h31. © Publications de la Sorbonne FRANÇOISE SABBAN 368 entendue uniquement comme un moyen de mettre en œuvre des critères de distinction sociale dans le champ de l’alimentation, et ils veulent contester ce fait. Il est certes louable de souhaiter défendre les pratiques alimentaires et la cuisine de ceux qui ne le « mériteraient » pas en vertu d’un élitisme coupable. Mais cette volonté généreuse de qualifier de « gastronomique » toute espèce de pratique alimentaire ou d’activité culinaire me semble conduire à une certaine confusion, ne serait-ce qu’au plan terminologique. Certes le classement du « repas gastronomique des Français » sur la liste des pratiques représentatives du PCI de l’Unesco a sans aucun doute généré un malentendu ; il suffit de lire les commentaires de la presse qui a d’emblée confondu le « repas gastronomique des Français » avec la « gastronomie fran- çaise ». Il eut en effet été préférable de parler de « repas festif des Français », car c’est bien ce dont il s’agit. Le qualificatif « gastronomique », dans cette expression, induit en erreur et conduit inévitablement au glissement qui s’est produit à l’annonce de cette inscription. Si l’on considère les critères de reconnaissance pour l’inscription sur l’inventaire du PCI de l’Unesco, « la gastronomie française » n’aurait jamais pu faire l’objet d’une reconnaissance. L’insertion, par les instances à l’origine de cette demande d’inscription, de l’adjectif « gastronomique » au lieu de celui de « festif » pour qualifier un certain type de « repas des Français » a-t-elle été voulue en escomptant justement ce glissement ? C’est probable, mais nul ne peut l’affirmer. Ce fait témoigne en tout cas d’une conception quelque peu extensive du terme « gastronomique ». Et ceci même si les exemples donnés dans le dossier pré- senté pour illustrer le « repas gastronomique des Français », et notamment le petit film de présentation, mettent bien en évidence l’appartenance des mangeurs représentés à une classe sociale définie, et la mise en œuvre de pratiques que l’on peut qualifier de « bourgeoises » ; ce qui renvoie le mot « gastronomique » à ses origines, comme nous le verrons. Gastronomie : « l’art de la bonne chère » glosent les dictionnaires. Mais qu’est-ce que la bonne chère ? La bonne chère a-t-elle un antonyme ? Ou bien, pour le dire autrement, la « mauvaise chère » existe-t-elle ? Cette qua- lification implique en effet un jugement de valeur, et c’est bien ce que les participants de la journée ont voulu dénier en affirmant qu’au fond, toutes les classes sociales avaient un droit à la gastronomie, et que l’on devait refuser sa confiscation par les élites. De fait, ils ont en partie raison, la bonne chère, entendue au sens de « bien manger » n’est nullement l’apanage de quelques happy few ayant les moyens de vivre leur passion gourmande. On peut considérer que l’on Document téléchargé depuis www.cairn.info - Biblio SHS - - 193.54.110.35 - 08/02/2015 18h31. © Publications de la Sorbonne Document téléchargé depuis www.cairn.info - Biblio SHS - - 193.54.110.35 - 08/02/2015 18h31. © Publications de la Sorbonne 369 REMARQUES SUR LA CUISINE, LA GASTRONOMIE ET LE MÉTISSAGE « fait bonne chère » à tous les échelons de la société, dès lors que l’on mange avec plaisir des nourritures que l’on apprécie. Certes ces nourritures ne relè- vent peut-être pas d’un répertoire qualifié de « gastronomique » par d’autres, mais qu’importe. Tout est question de point de vue. Il n’en reste pas moins que les mots naissent dans un milieu, et à une certaine époque, et qu’ils portent parfois la trace de cette création située. C’est le cas du mot « gastronomie », dont on sait qu’il fut inventé aux envi- rons de 1800 par Joseph de Berchoux dans le fameux poème La gastronomie ou l’Homme des champs à table. Tout historien peut se réjouir d’une telle précision. Terme jeune, le mot « gastronomie » est encore marqué par ses origines qui plongent dans le xixe siècle jusqu’à la fin du xviiie siècle, au moment même où s’invente un nouveau genre littéraire, celui de la critique gastronomique qui sera mise à la mode par Jean-Anthelme Brillat-Savarin, et surtout par Alexandre Balthazar Laurent Grimod de la Reynière. Or la critique gastronomique est un discours d’évaluation des nourritures et de leurs préparations fondé sur un jugement, nécessairement subjectif. C’est pourquoi Pascal Ory, dans son ouvrage Le Discours gastronomique français des origines à nos jours, développe avec raison l’idée qu’il n’est pas de gas- tronomie sans discours qui l’accompagne. Ce qui contribue à la grandeur et au renom d’une cuisine se concrétise par le discours gastronomique qu’elle engendre. Ainsi le mot « gastronomie » réfère-t-il nécessairement au bien manger dans un groupe social déterminé qui possède les moyens d’en faire l’éloge par la parole. Historiquement, ceci ne s’est réalisé que dans quelques sociétés à écriture de par le monde, dans des milieux limités, là où les pratiques culinaires et l’activité de certains mangeurs ont suscité commentaires, débats et arguments. Ainsi, sans pratiques discursives qui lui soient dédiées, l’art de la bonne chère n’acquiert pas la réputation nécessaire à sa diffusion, et il reste confiné au groupe des heureux mangeurs qui en font l’expérience. Il va de soi que les tenants des discours gastronomique se posent en arbitres du « bon » goût, à l’instar des critiques d’art qui décident de ce qui est beau et de ce qui ne l’est pas. Mais les critères de jugement mis en avant dans cet exercice sont contraints et ne peuvent se comprendre et s’actualiser hors d’un milieu défini. Il ne suffit pas de contester cette conception pour changer le sens du mot. Qualifier de « gastronomiques » toutes les pratiques touchant à l’alimentation ne sert pas l’argumentation de nos jeunes auteurs, elle aboutit à une confusion et conduit même à l’objectif inverse de celui qu’ils cherchent à uploads/s1/ cuisine-gastronomie-metissage-quelques-r-pdf.pdf
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- Publié le Jul 29, 2022
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