13 INTRODUCTION C U L T U R E & M U S É E S N ° 2 1 VIV IANE COUZINET INTRODUCT
13 INTRODUCTION C U L T U R E & M U S É E S N ° 2 1 VIV IANE COUZINET INTRODUCTION Dans son Traité de documentation. Le livre sur le livre (1934), considéré comme l’ouvrage fondateur de l’activité et de la réfl exion documentaire, Paul Otlet précise que « le musée se différencie des autres institutions de la documentation en ce qu’il comprend soit les pièces ayant trois dimensions, alors que les autres documents sont présentés sur des surfaces, soit des pièces desti- nées dans leur arrangement à être vues et non lues ». Cette proxi- mité, voire inclusion, qui lie deux sous-domaines de la science de l’information- communication, semble peu évidente aux chercheurs de la discipline désignée, en France, par « sciences de l’information et de la communication ». La tendance à la séparation en champs distincts de la connaissance – sciences de l’information d’une part et sciences de la communication d’autre part – occulte, ou mobilise de manière marginale, des concepts et des théories développés dans l’une et dans l’autre : il nous a paru cependant possible de les rapprocher même si à l’échelle internationale library science, information science et museology cheminent parallèlement mais s’intéressent rarement aux points de rencontre. Montrer ces liens participe à la construction de leur présence dans le socle commun aux sciences de l’information et de la communication. Ces dernières années deux revues, l’une canadienne, Docu- mentation et bibliothèque, en 2009, l’autre française, le Bulletin des bibliothèques de France 1, en 2011, ont consacré entièrement ou partiellement un numéro aux rapprochements entre les deux institutions. Il paraît possible de relier les missions de conserva- tion et de mise en visibilité de la bibliothèque, désignée ici au sens large, à celles du musée. Tous deux abritent arts, culture, sciences et techniques. L’activité de collecte, de sélection ou plus simplement de dépôt a de longue date conduit à s’intéresser aux objets matériels, à leur regroupement en collection, à leur des- cription dans des catalogues. Muséographie, bibliographie, ico- nographie, documentographie ont ainsi été à l’origine d’un travail descriptif et critique fondé sur un appareil enrichissant des notices signalétiques. Ce dernier est souvent utilisé par les chercheurs, notamment en histoire, littérature et sciences de l’information et 14 INTRODUCTION C U L T U R E & M U S É E S N ° 2 1 de la communication. Certains auteurs vont d’ailleurs jusqu’à évo- quer une « science de la science », comme le rapporte Louise-Noëlle Malclès (1984), ou plus récemment une « participation à la construc- tion de la science » (Jeanneret, 2011) pour désigner cet apport à la description des œuvres et des documents. Par ailleurs, de grands projets visant à créer des systèmes ou des lieux voués à l’universalité organisent les objets et les savoirs selon une certaine vision du monde. Il en est ainsi du système classifi catoire développé par P. Otlet et Henri La Fontaine visant à organiser tous les savoirs suivant un schéma qui se voulait ac- cessible à tous indépendamment de considérations de civilisation ou de culture. L’objectif visant à faciliter la compréhension entre êtres humains dans le contexte de l’entre- deux- guerres n’a pas été atteint ; de même, si les traductions de la classifi cation décimale universelle ont été nombreuses, elles n’ont pas empêché l’élabo- ration d’autres systèmes plus ancrés dans la tradition d’un groupe ethnique, comme la colon classifi cation de Ranghanatan en Inde, ou davantage inscrit dans un projet politique telle la chinese clas- sifi cation. Dans le domaine de l’exposition en tant que moment de mise en valeur de la création artistique ou technique, le goût pour l’universel se retranche derrière des représentations de vi- sions plus resserrées autour d’un thème ou d’un pays. Ainsi, dans les bibliothèques et dans l’exposition muséale, la recherche de l’universalité fabrique la singularité. Des expressions forgées dans le milieu industriel ou politique, comme IST – information scien- tifi que et technique – (Macedo Kerr Pinheiro, Thiesen & Couzinet, 2008), sont entrées à la bibliothèque et au musée. Mettre en cir- culation ou conserver les avancées produites par les ingénieurs, les techniciens et les chercheurs conduit à la spécialisation et au développement de cultures associées au travail. L’origine se diver- sifi e : associations, groupements professionnels, collectivités ter- ritoriales et fondations côtoient des initiatives de l’État. Outre le vocabulaire employé dans le monde des praticiens – et que les lexiques récents (Boulogne, 2004 ; Cacaly, 2008) peinent à fi xer –, il nous a paru possible de prendre la distance nécessaire pour aborder certaines notions, les resituer dans une perspective étymologique et historique, observer sur le terrain la situation dans laquelle elles sont employées et par la comparaison, faire émerger des concepts communs à la muséologie et à la documentologie. Solliciter des interrogations sur un vocabulaire issu de la pratique pour le retravailler à la lumière des avancées de la recherche nous semble être la tâche préalable à la compréhension mutuelle et à la stabilisation, même provisoire, d’un outillage commun. Il ne s’agis- sait pas de rassembler des positions déjà affi rmées par des cher- cheurs dans un domaine ou dans l’autre mais bien de mettre en évidence les points de rencontre entre les notions qu’ils utilisent 15 INTRODUCTION C U L T U R E & M U S É E S N ° 2 1 afi n de participer à la construction collective de concepts trans- versaux. La position info- communicationnelle affi chée dans l’appel à contribution avait donc pour première ambition de poser des concepts scientifi ques fondamentaux pour les sciences de l’infor- mation et de la communication. Ainsi ce numéro souhaitait inter- roger, au- delà du vocabulaire de l’activité, des notions et concepts présents dans ces deux champs de recherche, tels que : universa- lité, information scientifi que et technique mais aussi document, mémoire, collection, conservation… attachés aux musées, aux bi- bliothèques, aux centres documentaires en les analysant dans des contextes différents ou dans une perspective comparatiste. La seconde ambition était de croiser les regards et de faire avan- cer la réfl exion – en posant un ensemble de notions qui, réinves- ties, pouvaient devenir des concepts scientifiques – sur la muséologie et la documentologie en tant que sciences constitutives de l’information- communication, et de mettre en évidence des fon- dements proches, voire communs. Il s’agissait également d’initier des synthèses sur des notions partagées et de retravailler celles-ci afi n de penser et de poser les bases de leur élaboration comme concepts fondamentaux de la discipline. Nous n’avons cependant pas la prétention d’avoir eu les premiers cette idée. Joëlle Le Marec, par exemple, dans ses recherches sur les publics, a établi une syn- thèse de travaux de sociologues de la culture, de spécialistes des bibliothèques et des musées pour investir les usages en se référant aux publics. Elle avance l’idée d’une requalifi cation par l’usage. Si celle- ci semble différente entre un lieu et l’autre, elle pourrait « ame- ner avec elle le même type de tension entre la multiplication d’ins- tances de négociation du lieu de savoirs comme ensemble de ressources, et le maintien d’une norme d’accès rattachée à un type de rapport au savoir historiquement construit » (Le Marec, 1994). Ainsi, la voie ouverte pour construire le concept d’usage selon une approche info-communicationnelle supposerait l’étude des « ins- tances de négociation », des « normes d’accès » et de « rapport au savoir ». Une autre recherche qui développe l’approche sémiotique de la notion de document de Michael Buckland 2 et son étude du concept d’information pose que « les objets de musée comme documents peuvent être compris comme des acteurs et des prota- gonistes dans la transaction entre les personnes et les choses » (« museum objects as documents can be understood as actors and players in the transaction between people and things »), défi nition suivie de l’affi rmation selon laquelle document, « comme concept théorique unifi cateur pour les musées, les bibliothèques et les ar- chives ne doit pas être pris à la légère » (« as a unifying theorical concept for museum, libraries and archives should not be taken lightly ») (Latham, 2012). Ainsi la notion de document ne semble pas avoir encore été explorée dans la multiplicité de ses facettes. 16 INTRODUCTION C U L T U R E & M U S É E S N ° 2 1 Les réponses obtenues à l’appel ont couvert partiellement ces deux ambitions. Partiellement parce que les notions données dans l’appel à article n’ont pas éveillé les recherches attendues, mais d’autres concepts ont été proposés. Ainsi en est- il de « valeur », « espace », « catalogue », « monument » et « patrimoine » et d’entrées par la notion de document ou par celle de médiation. Il y avait donc matière à réfl échir mais il reste encore, nous semble- t-il, beaucoup à explorer. Dans un texte liminaire, François Mairesse brosse à grands traits les moments qui, de l’Antiquité grecque à nos jours, ont vu musée uploads/s1/ culture-et-musee-n021.pdf
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- Publié le Jul 27, 2022
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