1 Ketsia Béatrice Safou Demain j’aurai 25 ans 2 3 Pour Maman Nathalie, morte en
1 Ketsia Béatrice Safou Demain j’aurai 25 ans 2 3 Pour Maman Nathalie, morte en 2001 Pour C, mon Amour dans l’ombre. À papa Michel NGUIMBI. 4 5 Ce qui est touchant dans l’enfance, c’est qu’il n’y a pas encore de déception. Marie-Claire Blais – Québec (1995) 6 7 J’ai toujours juré de ne jamais raconter ma vie. De garder pour moi ce qui ne concerne que moi, des années de l’enfance aux années folles de l’adolescence. En mai de cette année, j’aurai 25 ans. À l’âge du discernement, je vois à présent mes petits frères commencer à s’élever sur leur propre chemin. C’est dire que je pense à eux lorsque j’écris les lignes suivantes ! Dans mon pays, quand on est un enfant, on n’a pas souvent le choix. On s’adapte à la vie que les parents imposent. « Et point final ! » comme disent les adultes. C’est même comme ça que je me suis retrouvée en France. Mon père, après avoir fini ses études, avait décidé de vivre ici. Et ma mère l’avait rejoint en 2002. Le jour de son départ, elle m’informe le matin-même que je vais aller vivre à Pointe-Noire, chez sa grande sœur. J’étais contente de la nouvelle. Maman Honorine a du fric. Elle donne de l’argent aux enfants, contrairement à ma propre maman qui me mettait dans le cartable un bout de pain, du saucisson et un pot de yaourt pour manger pendant la récréation. Quelques années après, il fallait que je rejoigne ma famille. Maman Honorine me répétait sans cesse que mon visa sera bientôt prêt. Un visa ? Qu’est-ce que c’est ? 8 Finalement, il s’agissait d’un document délivré par les autorités d’un pays, qu’un étranger doit présenter lors de son entrée sur le territoire d’un État dont il n’est pas ressortissant. Grâce à un VISA, on peut partir en Europe ou en Amérique. Le mien était spécial, ce n’était pas n’importe quel VISA. Il y a des visas qui permettent aux gens d’aller en France qu’une fois. Dès le séjour terminé, ils doivent retourner dans leur pays. Ceux qui ne reviennent pas sont ceux que les policiers arrêtent à la gare du Nord ou à Roissy. Quand ils s’entêtent à rester alors que leur VISA est expiré, ils deviennent des « sans papiers ». Moi, mon visa, je l’ai obtenu parce que mes parents avaient fait un dossier. Maman appelle ça un regroupement familial donc, l’ambassadeur savait très bien que je partais vivre en France pour toujours. J’avais presque 11 ans quand je suis arrivée à Pointe- Noire. Je basculais désormais dans un autre mode de vie, avec une tante qui héberge du monde chez elle. La maison était grande, il y avait beaucoup d’enfants. Moi, mon frère Naive, et Gaelle la seule fille de maman Honorine. Comme dans une pièce de théâtre, chaque enfant jouait un rôle particulier, avait ses qualités et ses défauts. Moi, j’étais une petite fille rebelle. Quand on m’envoyait acheter quelque chose à la boutique, je refusais catégoriquement. – Je ne suis pas là pour ça ! Ainsi, je prenais des frappes sur la tête, parce qu’on ne doit pas dire non aux adultes quand on est un enfant. Mais ça, c’est seulement chez nous, les africains. On habitait le quartier Mouyondzy. L’oncle de ma mère y habitait aussi, dans une grande maison avec sa 9 famille. Nous passions des journées rayonnantes de joie et de lumière. Ces moments restent gravés dans mon esprit et liés à l’amour de la famille et du Congo. Je comprends, aujourd’hui, que je me suis construite dans une stabilité affective et le respect des adultes. C’est ce manque que j’ai tant de fois vu dans le regard de certains de mes amis noirs des cités de France. Ceux qui n’avaient jamais connu l’Afrique. J’ai vécu ces années comme un merveilleux voyage dont les souvenirs légers et rieurs représentent les périodes les plus heureuses de ma vie. Mais, je savais que j’étais en voyage, dans une situation purement transitoire bien qu’éminemment agréable. Enfant, j’étais très fière. Fille unique d’une belle jeune femme. Maman travaillait au ministère des Finances. Une battante, qui voulait toujours le meilleur pour sa princesse. Une mère, qui trimait sans relâche au bien-être de son enfant. Je fréquentais des écoles privées renommées. Je me souviens de l’école privée les Biquettes située au centre-ville de Pointe-Noire, tout juste à côté de la Préfecture. Je me souviens également de l’école privée la Source au quartier OCH. Toujours bien accoutrée, car mon père m’envoyait de beaux vêtements dès qu’il y avait quelqu’un qui venait au pays. Je me rendais à l’école avec un beau cartable. En plus, j’avais un petit ordinateur portable que papa m’avait offert quand j’étais en classe de CE2. Mes camarades n’en avaient pas. Très jeune, j’avais une bonne maîtrise du clavier. Quand je rentrais chaque soir de l’école, je répétais comme un perroquet tout ce que j’apprenais en classe à ma mère. Elle aimait particulièrement une chanson que je chantonnais tous les soirs : 10 J’aime ma maman, qui toute la semaine. Va travailler pour m’acheter du pain. Va travailler pour m’acheter du pain. Octobre 2006 J’ai 14 ans, je suis en classe de 3eme. Comme d’habitude, je vois mes cousins chaque matin et me dispute avec eux quand il y a conflits. Ma mère appelle régulièrement grande maman pour savoir si nous suivons l’évolution de mon dossier au consulat de France. Un jour, c’est moi qui l’informe au téléphone que sa sœur n’avait jamais appelé le consulat. – Ah bon ? Écoute, tu vas te rendre là-bas demain toute seule. Si tu n’y vas pas, c’est ton problème, personne ne le fera à ta place. – Ok maman, je vais y aller. Non mais elle est sérieuse ? Je n’ai que 14 ans ! Qu’est-ce que je dirai à l’entrée ? Que je suis venue voir l’ambassadeur ? Les agents de sécurité ne me laisseront jamais entrer. Ce n’est pas la France ici. Le lendemain, je rappelle maman, je la dupe : – J’y suis allée, on m’a dit que je suis trop petite pour voir l’ambassadeur. Tu vois, je te l’avais pourtant dit ! – Mais Ketsia, ce n’est pas ce que tu devrais dire. Écoute, tu prends ton passeport et le courrier que j’ai donné à grande maman. Tu te présentes à l’accueil, ils te laisseront entrer. – D’accord maman ! Quelques jours plus tard, le consulat appelle grande maman pour l’informer que mon visa est accepté. Mes cousins sont au courant et me le cachent. En sortant du collège, mon téléphone sonne, c’est ma mère. – Es-tu au courant de la nouvelle ? 11 – Oui maman, oui. Je n’étais évidemment au courant de rien. Le lendemain, je me rends à 9h au consulat de France. À l’entrée, je bavarde avec l’agent de sécurité qui me trouve drôlement courageuse. – Vous voyez ?! Je suis venue voir l’ambassadeur, je vais aller en France dans même pas une semaine. Il me regarde en souriant et me laisse entrer. Il n’y a personne dans la salle d’attente. Pourtant, il y a souvent du monde. Je souris toute seule, persuadée que l’ambassadeur a mis tout le monde dehors pour que je ne patiente pas. Soudain, je vois venir une dame qui me tend mon passeport, « je vous souhaite un bon voyage ». Je sors du consulat toute satisfaite, mon téléphone sonne à nouveau, c’est encore maman. Que veut-elle ? – Écoute moi bien, avec ta tête comme l’ananas, cache ton passeport. Si on te le vole, tu es foutue compris ? – Oui maman, je sais. Je mets mon passeport dans ma culotte et j’arrête un taxi. Le chauffeur démarre. Après trois minutes : – Arrêtez-vous chauffeur ! Arrêtez-vous ! Ma mère a dit de faire attention à tout le monde, sinon on risque de me voler mon visa ! Donc laissez-moi ici ! Je vais marcher. Sans en faire un problème, il me laisse descendre. Je file au bureau de grande maman aux Chemins de Fer Congo Océan. Elle présente mon passeport à ses collègues de service, comme si c’était une nouvelle collection de vêtements. Je suis contente de rejoindre mes parents. Mais l’idée de laisser ma mamie me rend malheureuse. Je partageais le même lit qu’elle. Je sais que je ne la reverrai pas tout de suite. 12 – Mémé… Mémé, je vais en France dans quelques jours. – Ah bon ? – Oui mémé. – Je suis contente Kéké. Contente ? Moi qui pensais qu’elle allait pleurer… c’est le contraire. 26 Novembre 2006 Ça y est, le dernier jour à Pointe-Noire est enfin arrivé. C’est le jour de mon voyage. Je vais prendre l’avion à l’aéroport international de Maya-Maya (Brazzaville) pour atterrir à Roissy-Charles-de-Gaulle. Maman dit que c’est l’hiver et que la fraîcheur dépasse celle de la saison sèche. Grande maman me stresse dès mon réveil : – Fais ta valise, dépêche-toi, on va bientôt aller à l’aéroport !! C’est la uploads/s1/ demain-j-x27-aurais-25-ans-copie-1.pdf
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- Publié le Mar 25, 2021
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