Diderot, Sénèque et Jean-Jacques Un dialogue à trois voix Maquette couverture /

Diderot, Sénèque et Jean-Jacques Un dialogue à trois voix Maquette couverture / Cover design: Pier Post. FAUX TITRE 299 Etudes de langue et littérature françaises publiées sous la direction de Keith Busby, M.J. Freeman, Sjef Houppermans et Paul Pelckmans Eric Gatefin AMSTERDAM - NEW YORK, NY 2007 Diderot, Sénèque et Jean-Jacques Un dialogue à trois voix The paper on which this book is printed meets the requirements of ‘ISO 9706: 1994, Information and documentation - Paper for documents - Requirements for permanence’. Le papier sur lequel le présent ouvrage est imprimé remplit les prescriptions de ‘ISO 9706: 1994, Information et documentation - Papier pour documents - Prescriptions pour la permanence’. ISBN-13: 978-90-420-2241-6 © Editions Rodopi B.V., Amsterdam - New York, NY 2007 Printed in The Netherlands Maquette couverture / Cover design: Pier Post. Introduction A plusieurs reprises, Diderot a porté un jugement sévère sur le phi- losophe Sénèque. Non content de s’appuyer, au début de sa carrière, sur le témoignage de Tacite pour mettre en relief son avarice et sa lâ- cheté, de stigmatiser du même coup son incapacité à donner de bon- nes leçons au despote Néron1, l’auteur reprend, vingt-cinq ans plus tard, un ton vindicatif pour dénigrer, cette fois, son talent d’écrivain2. Devant ce désaveu persistant et sans ambiguïté, il semble incongru de voir le philosophe entreprendre l’apologie de la vie et des œuvres du sage stoïcien, ouvrage qu’il choisit même de réviser après en avoir publié une première version, en 17783. Il faut dire que Sénèque intéresse au plus haut point certains mem- bres de l’entourage proche de Diderot : Lagrange, précepteur des en- fants du baron d’Holbach, s’est lancé dans une traduction des ouvra- ges du disciple de Zénon. N’ayant pu mener à bien cette tâche avant sa mort, il a trouvé en Naigeon un continuateur zélé. C’est par l’intermédiaire de ce dernier et du baron4 que le philosophe s’est 1 Cf. Diderot, Essai sur le mérite et la vertu in Œuvres complètes, tome 1, Paris, Hermann, 1975, p. 425 : « Sénèque chargé par état de braver la mort en présentant à son pupille les remontrances de la vertu, le sage Sénèque plus attentif à entasser les richesses qu’à remplir ce périlleux devoir, se contente de faire diversion à la cruauté du tyran en favorisant sa luxure ; il souscrit par un honteux silence à la mort de quel- ques braves citoyens qu’il aurait dû défendre ». 2 Cf. Correspondance Littéraire, VIII, 1er décembre 1769, p. 401 : « Cicéron est lâ- che et bavard ; Sénèque, dur, sec, faux, pointu, apprêté et de mauvais goût […] ; Ci- céron fait un feu de paille qui ne chauffe pas assez ; Sénèque, un feu de tourbe qui éblouit et entête ». 3 Notre étude porte sur la seconde version de l’apologie. Toutes nos références au texte se rapportent à l’édition Hermann : Essai sur les règnes de Claude et de Néron, Paris, Hermann, 1986. Cette édition présente l’avantage de faire apparaître les diffé- rents états du texte. Le titre de l’œuvre sera réduit à « Essai » dans les notes et parfois dans le corps du texte. Pour chaque référence à l’œuvre, on précisera de quelle partie du livre elle est extraite par une indication en chiffres romains. 4 Cf. Essai sur les règnes de Claude et de Néron, I, p. 37 : « Une obligation que je vous aurai toujours, à vous et à M. le baron d’Holbach, une marque signalée de votre estime, c’est de m’avoir proposé une tâche qui plaisait infiniment à mon cœur ». Diderot, Sénèque et Jean-Jacques. Un dialogue à trois voix trouvé sollicité pour écrire en quelque sorte la postface de cette édi- tion des œuvres complètes de Sénèque, dans laquelle il est chargé de donner un aperçu de la vie du précepteur de Néron et de ses écrits. Dans quel dessein les proches de Diderot mènent-ils ce travail d’érudition ? On sait qu’autour du baron d’Holbach et de l’auteur de l’Essai sur les règnes de Claude et de Néron, le clan philosophique cherche à donner corps à une morale conçue hors de toute référence à la religion chrétienne. Il pose pour principe l’existence d’un socle de valeurs communes à tous les hommes, permettant de définir des lois, des règles de vie sans faire appel au dogme religieux. Pour défendre leur point de vue, les philosophes s’appuient sur l’exemple de leurs homologues païens, qui peuvent être jugés exemplaires à deux titres. D’une part, leurs textes, s’ils traitent de la morale, sont utiles pour dé- terminer les valeurs premières ; leur réflexion constitue la démonstra- tion que la question éthique est concevable et peut même être jugée cruciale, loin de toute référence chrétienne. D’autre part, la conduite de ces sages offre un témoignage édifiant et essentiel à l’argumentaire du camp philosophique, car elle fournit la preuve du caractère consé- quent du discours théorique sur la morale : cette morale athée existe, puisqu’elle a été exercée, mise en application quotidiennement par ceux qui en ont fixé le cadre et défini les principes. Source d’inspiration pour les idées et présentant des modèles d’athées vertueux, l’Antiquité fournit à Diderot, d’Holbach et à ceux qui partagent leurs convictions, une mine de réflexions qu’il faut ré- activer et des exemples qu’il convient de mettre en valeur. Sénèque est, à ce titre, une figure séduisante, dans la mesure où le disciple de Zénon est un de ceux qui s’est le plus préoccupé du domaine moral, que ce soit dans ses traités ou dans sa correspondance. Par ailleurs, l’austérité de certains principes stoïciens repris par le philosophe pré- sente l’avantage de parer à l’accusation de vouloir substituer à la mo- rale chrétienne une autre plus permissive, moins sévère. Ces deux as- pects, joints à l’amitié pour d’Holbach et Naigeon vont conduire Di- derot à participer à une entreprise de glorification de Sénèque, dont rien n’aurait pu laisser penser qu’elle lui conviendrait quelques an- nées auparavant. Renonçant à la tentation d’une assimilation à Socrate qui l’a long- temps séduit, le philosophe tend progressivement à s’approprier ce travail qui avait, au départ, la simple allure d’une commande. Le 6 Introduction préambule de l’Essai ainsi que la correspondance de Diderot indi- quent sans ambiguïté que sa participation coïncide avec la reprise en main du projet global par Naigeon. A ce titre, l’apologiste donne toute latitude à ce dernier pour modifier son texte en vue de son in- clusion dans l’édition préparée. L’impression de distance entre l’auteur et son écrit donnée par cet apparent détachement est contre- dite par plusieurs faits. D’abord, le volume VII de l’édition des œu- vres complètes de Sénèque paraît indépendamment des autres tomes : il doit être acheté séparément, ce qui en fait avant tout l’œuvre de Di- derot. Par ailleurs, la seconde version de la défense de Sénèque ren- force notablement l’autonomie du texte proposé par rapport au travail mené par les traducteurs et commentateurs du sage stoïcien. La re- prise par l’auteur de son texte accentue l’impression d’une œuvre qui se suffit à elle-même, d’autant plus que l’écrivain prend alors pour objet de son travail la justification de sa première apologie. Cette ré- écriture témoigne aussi d’une prise en charge totalement assumée de la part de l’écrivain du sujet de son livre : l’auteur ne peut être consi- déré comme satisfaisant simplement une commande. Enfin, l’Essai sur les règnes de Claude et de Néron paru en 1782 est présenté comme ayant été publié à Londres, détail qui révèle le caractère sub- versif d’un texte dont la première mouture avait reçu approbation et privilège de la part des instances de censure. Ainsi, Diderot choisit vi- siblement de prendre un risque, la défense de Sénèque justifiant à ses yeux de tenir des propos susceptibles d’être condamnés par les autori- tés. A ces signes extérieurs montrant l’importance que revêt aux yeux de l’écrivain la gloire posthume du philosophe stoïcien correspondent une écriture et un ton où transparaissent constamment l’envie d’imposer son point de vue et la certitude de défendre une cause juste. Diderot s’implique largement dans son discours, faisant montre d’une passion, parfois d’un aveuglement volontaire qui ne manquent pas de surprendre. En effet, au-delà des motifs stratégiques ayant poussé l’auteur à accomplir cette entreprise, il apparaît de prime abord diffi- cile de déterminer les raisons qui l’incitent à entrer dans une logique de justification systématique, prenant parfois un caractère obsession- nel, l’auteur ressassant des arguments au point d’épuiser la bienveil- lance du lecteur. Ce phénomène explique sans doute le regard circonspect long- temps porté par la critique diderotienne sur cette oeuvre. Comment 7 Diderot, Sénèque et Jean-Jacques. Un dialogue à trois voix supporter la pesanteur d’une apologie sans la moindre réserve d’un philosophe antique à la réputation pour le moins douteuse, de la part de l’auteur du Neveu de Rameau ? Le sérieux même avec lequel il traite son sujet lasse le lecteur et contraste malheureusement avec son aptitude à le distraire ou à le surprendre, dont il fait la si brillante dé- monstration dans Jacques uploads/s1/ diderot-seneque-et-jean-jacques-un-dialogue-a-trois-voix-rodopi.pdf

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  • Publié le Aoû 25, 2021
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