Numéro du document : GAJA/16/2007/0022 Publication : Les grands arrêts de la ju
Numéro du document : GAJA/16/2007/0022 Publication : Les grands arrêts de la jurisprudence administrative, 16e édition 2007, p. 134 Type de document : 22 Décision commentée : Conseil d'Etat, 11-03-1910 n° 16178 Indexation CONTRAT ADMINISTRATIF 1.Mutabilité 2.Equilibre financier CONTRATS ADMINISTRATIFS - MUTABILITE - EQUATION FINANCIERE CE 11 mars 1910, COMPAGNIE GENERALE FRANCAISE DES TRAMWAYS, Lebon 216, concl. Blum (D. 1912.3.49, concl. Blum ; S. 1911.3.1, concl. Blum, note Hauriou ; RD publ. 1910.270, note Jèze) Marceau Long, Vice-président honoraire du Conseil d'Etat Prosper Weil, Membre de l'Institut ; Professeur émérite à l'Université Panthéon-Assas (Paris II) Guy Braibant, Président de section honoraire au Conseil d'État Pierre Delvolvé, Professeur à l'Université Panthéon-Assas (Paris II) Bruno Genevois, Président de la section du contentieux du Conseil d'État Sur la recevabilité : - Cons. que le litige dont la Compagnie générale française des tramways a saisi le conseil de préfecture des Bouches-du-Rhône portait sur l'interprétation du cahier des charges d'une concession accordée par l'Etat ; qu'il appartenait dès lors à l'Etat de défendre à l'instance et que c'est par suite à tort que le mémoire présenté en son nom devant le conseil de préfecture a été déclaré non recevable par l'arrêté attaqué ; Au fond : - Cons. que, dans l'instance engagée par elle devant le conseil de préfecture, la Compagnie générale française des tramways a soutenu que l'arrêté du 23 juin 1903, par lequel le préfet des Bouches-du-Rhône a fixé l'horaire du service d'été, aurait été pris en violation de l'art. 11 de la convention et de l'art. 14 du cahier des charges, et que, faisant droit aux conclusions de la Compagnie, le conseil de préfecture a annulé ledit arrêté préfectoral ; que la Compagnie dans les observations qu'elle a présentées devant le Conseil d'Etat a conclu au rejet du recours du ministre des travaux publics par les motifs énoncés dans sa réclamation primitive ; Cons. que l'arrêté du préfet des Bouches-du-Rhône a été pris dans la limite des pouvoirs qui lui sont conférés par l'art. 33 du règlement d'administration publique du 6 août 1881, pris en exécution des lois du 11 juin 1880 (art. 38) et du 15 juill. 1845 (art. 21), lesquels impliquent pour l'administration le droit, non seulement d'approuver les horaires des trains au point de vue de la sécurité et de la commodité de la circulation, mais encore de prescrire les modifications et les additions nécessaires, pour assurer, dans l'intérêt du public, la marche normale du service ; qu'ainsi la circonstance que le préfet aurait, comme le soutient la Compagnie des tramways, imposé à cette dernière un service différent de celui qui avait été prévu par les parties contractantes ne serait pas de nature à entraîner à elle seule, dans l'espèce, l'annulation de l'arrêté préfectoral du 23 juin 1903 ; que c'est par suite à tort que le conseil de préfecture a, par l'arrêté attaqué, prononcé cette annulation ; qu'il appartiendrait seulement à la Compagnie, si elle s'y croyait fondée, de présenter une demande d'indemnité en réparation du préjudice qu'elle établirait lui avoir été causé par une aggravation ainsi apportée aux charges de l'exploitation ; ... (Annulation de l'arrêté du conseil de préfecture ; rejet de la réclamation de la Compagnie). Observations 1. I. - Le préfet des Bouches-du-Rhône, fixant dans son département l'horaire du service d'été des tramways, avait imposé à la Compagnie générale française des tramways d'augmenter, pour satisfaire aux besoins accrus de la population, le nombre des rames en service. Les droits de l'Etat vis-à-vis des concessionnaires de tramways étaient fixés par l'art. 33 du décret du 6 août 1881, en vertu duquel : « le préfet détermine... sur proposition du concessionnaire... le tableau de service des trains ». La thèse du ministre des travaux publics était que l'expression « tableau de service » désignait non seulement l'horaire des trains mais leur nombre. Le concessionnaire soutenait, au contraire, qu'en insérant dans le cahier des charges une clause indiquant le minimum des trains dus par le concessionnaire, l'Etat avait fait passer la détermination de leur nombre dans le domaine contractuel et ne pouvait modifier ce nombre que par avenant, « tableau de service » ne désignant, selon cette argumentation, que l'horaire des trains. L'argumentation de la Compagnie trouvait une base extrêmement forte dans l'arrêt du 23 janv. 1903, Compagnie des chemins de fer économiques du Nord (Lebon 61 ; S. 1904.3.49, note Hauriou) : « Considérant que si l'art. 33 du règlement d'administration publique du 6 août 1881 confère au préfet le droit de déterminer... le tableau de service des trains, cette disposition doit être conciliée avec l'art. 14 du cahier des charges ; ... que le nombre de voyages fixé par cet art. 14 constitue donc un minimum contractuel qui ne peut être modifié que par l'accord réciproque des parties. » Le commissaire du gouvernement Léon Blum proposa au Conseil d'Etat de revenir sur cette jurisprudence. Il formula à cette occasion une théorie générale des pouvoirs de la collectivité publique à l'égard du concessionnaire : « Il est évident que les besoins auxquels un service public de cette nature doit satisfaire, et, par suite, les nécessités de son exploitation, n'ont pas un caractère invariable... L'Etat ne peut pas se désintéresser du service public de transports une fois concédé. Il est concédé, sans doute, mais il n'en demeure pas moins un service public. La concession représente une délégation, c'est-à-dire qu'elle constitue un mode de gestion indirecte, elle n'équivaut pas à un abandon, à un délaissement. L'Etat interviendra donc nécessairement pour imposer, le cas échéant, au concessionnaire, une prestation supérieure à celle qui était prévue strictement, pour forcer l'un des termes de cette équation financière qu'est, en un sens, toute concession, en usant non plus des pouvoirs que lui confère la convention, mais du pouvoir qui lui appartient en tant que puissance publique. » Appliquant ces principes à l'espèce, le commissaire du gouvernement estima, en s'appuyant sur la réglementation des chemins de fer d'intérêt local et sur la doctrine de la Section des travaux publics du Conseil d'Etat, que la fixation des barèmes des trains et du nombre des voyages relevait du pouvoir réglementaire et qu'en fixant dans le cahier des charges le minimum des trains dus par le concessionnaire, l'Etat n'avait pas renoncé contractuellement à ses droits réglementaires : « L'objet unique de ces précisions est de constituer, par leur corrélation équitable, par leur compensation présumée, l'unité financière du contrat. Elles ne peuvent limiter par leur simple énonciation, par leur simple existence, un droit de réglementation qui est indépendant du contrat, puisqu'il a pour objet final d'assurer, quoi qu'il en ait été convenu, quoi qu'il arrive, l'exécution normale du service public. » Le commissaire du gouvernement énonçait ainsi de la manière la plus claire le principe de la mutabilité du contrat administratif, que le Conseil devait consacrer de façon non moins nette dans l'arrêt, en reconnaissant au préfet « le droit, non seulement d'approuver les horaires des trains... mais encore de prescrire les additions et modifications nécessaires pour assurer, dans l'intérêt du public, la marche normale du service ». Mais ce principe ne doit pas donner au contrat, « par une sorte de caractère rétroactif, comme un caractère léonin ». Son application peut légitimer de la part du concessionnaire, une demande d'indemnité : « Si l'économie financière du contrat se trouve détruite, si, par l'usage que l'autorité concédante a fait de son pouvoir d'intervention, quelque chose se trouve faussé dans cet équilibre d'avantages et de charges, d'obligations et de droits que nous avons essayé de définir, rien n'empêchera le concessionnaire de saisir le juge du contrat. Il démontrera que l'intervention, bien que régulière en elle-même, bien qu'obligatoire pour lui, lui a causé un dommage dont réparation lui est due. » « L'esprit de cette jurisprudence, concluait le commissaire du gouvernement, c'est d'organiser en somme un double contentieux de la concession. Le contentieux de la légalité de la réglementation, dont la forme normale est le recours pour excès de pouvoir. Et le contentieux du contrat, lequel comprend nécessairement l'examen des répercussions que la réglementation peut exercer sur l'économie du contrat. Le double contentieux correspond au double aspect, à la double nature, de la concession qui est, en un sens, un agencement financier de forme certaine, en un autre sens le mode de gestion d'un service public à besoins variables. C'est pourquoi... tout en reconnaissant que telle ou telle mesure de réglementation est légale... vous réservez le droit des intéressés, s'ils estiment que les prévisions contractuelles se trouvent excédées de ce fait, à saisir le juge du contrat... Celui-ci pourra allouer une indemnité. Il pourra, si les modifications apportées au contrat en bouleversent complètement l'économie... prononcer la résiliation au profit du concessionnaire... » Le Conseil d'Etat a pris soin, dans l'arrêt, de réserver de façon expresse le droit à l'indemnité du concessionnaire : « Il appartiendrait seulement à la compagnie, si elle s'y croyait fondée, de présenter une demande d'indemnité en réparation du préjudice qu'elle établirait lui avoir été causé par une aggravation ainsi apportée aux charges de l'exploitation. » uploads/s1/ grandsarrets-11mars1910.pdf
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- Publié le Jan 05, 2021
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