Contribution à l'histoire de l'ultra-gauche : Maurice Heine par Henri DUBIEF Ma

Contribution à l'histoire de l'ultra-gauche : Maurice Heine par Henri DUBIEF Maurice Heine est né à Paris, le 15 mars 1884, dans une famille appartenant à la haute banque (1 ), et s'il n'occupa jamais le moindre strapontin dans un conseil d'administration, il ne semble pas qu'il ait connu de problèmes d'argent avant la crise des années 1930. Henri Pastoureau a découvert dans les papiers de Maurice Heine une courte autobiographie que Gilbert Lély à utilisée dans sa préface à l'ouvrage posthume : Le Marquis de Sade (2). Cette préface est la meilleure introduction à la vie de Maurice Heine. Elle utilise l'autobiographie une note de Georges Bataille dans Critique (3) et les souvenirs personnels de Lély. Ni Bataille ni l'autobiographie ne sont exempts d'erreurs. Mais le but de ce petit article n'est pas de raconter la vie d'un ami, savant et solide écrivain, mais seulement de préciser son activité d'intellectuel révolutionnaire. Après des études brillantes au lycée Janson de Sailly, il fut contraint par ses parents de faire sa médecine, qu'il n'acheva pas. Il disait pourtant avoir exercé en Afrique du Nord, où il se fixa, notamment pendant des périodes d'épidémies. Journaliste, il défendit en Algérie, contre les colons, des; thèses libérales et assimilatrices et rentré en France, pendant la guerre, il adhéra à la SFIO en 1919. Jusqu'à cette date il ne publia, en volume, que de luxueux recueils de poèmes d'une facture classique. Au parti socialiste il milita pour l'adhésion à la Troisième Inter- nationale et adhéra à là Fédération communiste des soviets créée en 1920 par Péricat, avec qui il semble cependant n'avoir eu aucun rapport. Chronologiquement, il y eut d'abord une organisation dite « Soviet du XIVe arrondissement ». Du soviet du XIVe arrondissement est sorti un soviet autonome dé la région parisienne, dont la commission extra- ordinaire vota le 3 octobre 1919 des statuts qui furent plus tard ceux de la Fédération communiste, puis ceux de la Fédération de la Seine. Ces statuts furent adressés pour approbation aux organisations des communes et des arrondissements. Ils étaient entièrement de la main de Maurice Heine (4). (1) Des indications; sommaires sur la famille Heine et sa: puissance bancaire dans A. HAMON, Les Maîtres de la France, t.I, Paris, in-16. (2) Maurice HEINE,Le Marquis de Sade, texte établi et préparé par Gilbert Lély. Paris, 1950,in-8°.. (3) «Le secret de Sade », Critique, 1947. (4) Les Papiers de Maurice Heine, B.N., Mss, N.a.f. 24396sont la source du présent article. Ils contiennent de nombreux renseignements sur la vie du PC 85 H. DUBIEF C'est vers cette date que pour le compte du Comité de défense sociale il fit une tournée dans l'Ouest (Cholet, Trélazé, Angers, Noyant- la-Gravoyère, Misengrain, Noyant-Méon, Saumur) sur les thèmes : Poincaré-la-Guerre, Reconnaissance de la République des soviets, Amnistie pour les mutins. Le 11 novembre 1919, le Comité de défense sociale avait organisé six réunions, quatre à Paris, et deux en banlieue ; Heine fût l'un des orateurs de la rue Cambronne. Il parla également, en octobre 1920, à une réunion publique et contradictoire du soviet de Courbevoie. Après Tours, il fut l'un des organisateurs des pre- mières .manifestations pour Sacco et Vanzetti, en octobre 1921. Il re- présentait alors sa tendance (avec Lavergne) au comité exécutif et à la commission administrative de la Fédération de la Seine (secrétaire Georges Pioch), qui avait succédé au mois d'août à la Fédération communiste des soviets, en en gardant les statuts. Cette tendance s'était manifestée à la fin de 1920 par l'amendement Hemé-Leroy à la motion Cachin-Frossard. Selon le discours de Georges Leroy au congrès de Tours (5), l'amendement, boycotté par l'Humanité et rerusé par lé comité d'adhésion (6), était alors devenu Ta motion Heine-Leroy, qui obtint 44 voix. Heine n'était pas délégué à Tours, et Leroy (7) semble ne plus avoir appartenu au groupe, qu'on ne peut guère cerner, puisqu'on n'en connaît que l'implantation géographique : Rive gauche de Paris, Asnières (Hauts-de-Seine), arrondissements dispersés de la rive droite, et peut-être l'Isère. En fait, le groupe était parisien et son rayonnement à peu près nul. Cependant Heine semble avoir été le maître à penser de la XIVe section. Selon Humbert-Droz, Maurice Heine n'était qu'un « fédéraliste » hostile à Moscou, dans une fraction hétérogène ; mais il reconnaît que l'extrême gauche cessa seulement d'être une force sérieuse à l'été 1922 (8). Pour André Ferrât, la confusion d'idées était grande dans l'extrême gauche révolutionnaire (9), et cela est tout à fait exact. Heine et ses amis se rattachaient à la tradition communiste-anarchiste par le « soviétisme » de l'organisation, l'antiparlementarisme et l'antimilita- risme (10.) Les statuts de la Semé et ceux du soviet du XIVe arrondissement donnaient le pouvoir aux masses qui « régissent et contrôlent ». L'anti- bureaucratisme était justifié par le modèle soviétique et par les de 1921à 1923.Mais à l'état de brouillons, ils sont difficiles à utiliser. Le texte des statuts du Soviet autonome est :marqué par une semi-clandestinité can- dide : « La délégation au complet dé ton soviet... est invitée à se trouver au rendez-vous, le samedi 18octobre, entre 20 h et 20 h 30 (dernier délai) à l'inté- rieur de la station « Pasteur » du Nord-Sud, sur le quai de la direction Saint- Lazare. » (5) Papiers M.H....,f 1 à 6. (6) " ne pas voter intégralement le texte présenté équivaut à voter contre la motion [Cachin-Frossard] ». (7) Voir, en annexe, le texte de l'amendement. On trouve plus tard, comme membres de la fraction Corrot, Heine et sa femme, Latouche (14e),Dodat (20e), Gérot (19e),Lavergne et Deleplanque (Asnières). (8) J. HUMBERT-DROZ, L'oeil de Moscou à Paris,; Paris, 1964,in-8°, p. 69, p. 83. Le tome second des Mémoires d'Humbert-Broz, Paris, 1971,n'apporte rien de plus. (9) A. FERRAT, Histoire du PCF, Paris, 1931,in-8°, p. 72-73.. (10) Le soviet du XIVe arrondissement, dont les statuts, ont été votés le 17 juillet 1919,siégeait 111, rue du Château. Les Heine habitaient 31bis, rue Campagne-Première. MAURICE HEINE 89 « conseils » du KAPD. Naturellement, ces statuts inadmissibles pour le comité directeur du P.C. et l'exécutif de l'IC. furent condamnés et défendus avec une grande âpreté (11). L'antiparlementarisme conduisait à se référer aux thèses de Bor- diga, pourtant rejetéés par le deuxième congrès de l'IC. Maurice Heine repoussait les idées exprimées dans La Maladie infantile : « Le député héroïque né représente plus en France qu'une espèce absolument éteinte de la faune parlementaire. ». La conception qu'en avait Lénine offrait « La même valeur que la légende enfantine du Prince charmant » (12). L'antimilitarisme entraînait la critique acerbe de la passivité des dirigeants, au moment de l'appel sous les drapeaux de la classe 1919. Plus tard il engendra la méfiance, devant le modèle russe, chez ceux qui étaient allés à Moscou (13). La gauche, quoique luttant contre le centre, condamna l'aventu- risme, de cette extrême gauche, défendit Frossard et le comité direc- teur, l'actionl égale et le centralisme démocratique. Le comité de là Troisième Internationale déclara en effet que le comité directeur rie pouvait pas accepter que « l'action désordonnée d'une minorité en- traîne l'ensemble du parti à engager la lutte décisive dans des condi- tions défavorables à là suite d'une avant-garde imprudente et irres- ponsable » (14). Mais la condamnation des fractions par le deuxième congrès de l'TC. n'était-elle pas sans effet ? L'extrême gauche se déclarait « inopportuniste de gauche » et au moment du troisième congrès de l'IC distinguait trois courants dans le PCF: celui des anciens reconstructeurs ralliés qui tenait les postes et la.presse ; le courant issu du comité pour la Troisième Internatio- nale, perdu par ses compromissions avec le premier. Le troisième cou- rant était le seul révolutionnaire (15). Mais il s'entenditsouvent cependant avec la droite et le centre, contre la gauche, pour combattre « le front unique », contraire à la septième condition de Zinoviev, et la subordination des syndicats. C'est pourquoi Daniel Renoult et Cachin ouvrirent la presse du parti à Heine pour polémiquer avec Souvarine, qu'il méprisait, et même avec Trotsky (16). Condamnés (11) « dans le parti, des masses, l'unique P. des M., ce sont les masses qui doivent avoir tout le pouvoir. Le pouvoir ne se délègue pas il s'exerce. Pas de chefs dans le PC ». Brouillon de discours. N.a.f. 24396f° 51; «un cama- rade élu est un camarade perdu». Les dirigeants élus n'étaient pas rééligibles et toujours révocables. L'extrême gauche n'a jamais cédé; elle proclame, après le 3e;Congrès de l'IC : « La Fédération de la Seine préconise la création de conseils d'usine et rejette la tactique du front unique. » Projet de résolution. N.a.f. 24396f. 53. (12) Id. f° 81. (13) Le rapport de Deleplanque, délégué au 4e Congrès de l'IC, montre de l'indignation contre le garde-à-vous de la garde au drapeau : « C'est avec une douloureuse surprise que j'ai pu constater, que le militarisme rouge, par beau- coup de côtés, n'a rien à envier au militarisme bourgeois; » (14) Id. f 74. (15) Id. f° 62-66.Dans la terminologie officielle, le premier courant comprend le uploads/s1/ henri-dubief-contribution-a-l-x27-histoire-de-l-x27-ultra-gauche-maurice-heine-1976.pdf

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  • Publié le Apv 17, 2022
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