Bernard Stirn, ancien président de section du Conseil d’Etat, a exprimé lors d’
Bernard Stirn, ancien président de section du Conseil d’Etat, a exprimé lors d’un colloque relatif à l’internationalisation du droit administratif que : « Les rapports du Conseil d’Etat avec le droit international sont moins marqués par la « résistance » que par la réception, l’entraînement, l’enrichissement et l’interaction. » Par ces mots, Bernard Stirn illustre la complexité de l’intégration et de la conciliation du droit international dans l’ordre juridique français par le juge administratif. En effet, depuis l’enrichissement du droit interne par la consécration du droit administratif par l’arrêt Blanco rendu par le Conseil d’Etat en 1873 et la proclamation du Conseil d’Etat en tant que juge administratif par l’arrêt Cadot rendu en 1889, le juge administratif occupe désormais une place importante au cœur de l’ordre juridique interne. En effet, l’office du juge administratif est essentiel en ce qu’il est chargé de trancher les litiges, protéger les libertés et droits fondamentaux et défendre l’intérêt général. Pour ce faire, le droit administratif étant essentiellement prétorien, le juge administratif façonne le droit administratif et s’assure du respect du principe de légalité en contrôlant la conformité des actes édictés par l’administration aux normes supérieures. Toutefois, la redéfinition de la hiérarchie des normes en droit français a fortement impacté le droit administratif et l’office du juge administratif. En effet, la hiérarchie des normes instituée par Hans Kelsen, un juriste autrichien, a permis de hiérarchiser les normes d’un ordre juridique interne afin de déterminer celles qui prévalent sur les autres. Toutefois, l’accroissement du nombre de traités et accords internationaux conclus par la France tout comme la diversification de leurs objets ont participé à l’évolution des textes constitutionnels et à l’avènement d’une nouvelle conception de la hiérarchie des normes. La Constitution du 27 octobre 1946 consacre en son préambule l’adoption d’une conception moniste selon laquelle les traités et accords internationaux s’inscrivent directement dans l’ordre juridique interne et sont dotés d’une autorité supérieure à celle des lois. Ainsi, le droit international, défini comme l’ensemble de règles juridiques régissant les relations entre les Etats ou entre les personnes privées dans un cadre international, a initié son imbrication dans le droit français. L’évolution et l’influence du droit international ont été appuyées par l’adhésion de la France à la Charte des Nations Unies en ce que la France a consenti à limiter sa souveraineté nationale afin de garantir l’organisation et la défense de la paix. C’est finalement lors de l’adoption de la Constitution du 4 octobre 1958 que la France a consacré l’intégration du droit international dans l’ordre juridique interne à l’article 55 de la Constitution qui dispose que : « Les traités ou accords régulièrement ratifiés ou approuvés ont, dès leur publication, une autorité supérieure à celle des lois, sous réserve, pour chaque accord ou traité, de son application par l'autre partie. » Ainsi, au regard de cette évolution et de la prise en compte du droit international dans l’ordre juridique interne, il s’agira de s’interroger quant à l’adaptation et la participation du juge administratif à l’intégration du droit international dans l’ordre juridique interne français. Afin de répondre à cette interrogation, il s’agira d’étudier la reconnaissance progressive de l’intégration du droit international dans l’ordre juridique interne par le juge administratif (I) et d’examiner l’autorité supérieure du droit international encadrée par le juge administratif (II). I. La reconnaissance progressive de l’intégration du droit international dans l’ordre juridique interne par le juge administratif. Bien que l’évolution et l’impact du droit international soit inéluctable, le juge administratif n’en était pas moins réticent à l’imbrication de nouvelles sources du droit dans l’ordre juridique interne (A) jusqu’à finalement consacrer la place du droit international dans l’ordre juridique interne (B). A. Le juge administratif réticent à l’imbrication de nouvelles sources du droit dans l’ordre juridique interne. L’intervention croissante du droit international a redessiné les contours de la hiérarchie des normes en France faisant prévaloir les traités et accords internationaux sur les lois. Ainsi, la France a consacré cette nouvelle conception moniste des rapports entre l’ordre juridique international et l’ordre juridique interne à l’article 55 de la Constitution. Le juge administratif étant garant du respect de principe de légalité, il s’est vu confié une mission de contrôle de la conformité d’une loi à un traité ou un accord international. En effet, avant l’adoption de la Constitution du 4 octobre 1958, le juge administratif avait accepté de contrôler la légalité des actes administratifs à une norme internationale par un arrêt intitulé Dame Kirkwood rendu le 30 mai 1952. Ainsi, le Conseil d’Etat a estimé qu’un acte administratif de droit interne doit être conforme aux stipulations d’une convention internationale afin d’être légal. Ainsi, l’article 55 de la Constitution n’ayant fait que renforcer le contrôle de légalité des actes administratifs effectué par le juge administratif, le Conseil d’Etat a réaffirmé ce principe par un arrêt intitulé Syndicat du commerce de la chaussure rendu le 19 avril 1991. Toutefois, bien que le juge administratif soit compétent pour juger de la légalité d’un acte administratif conformément à un traité ou à un accord international, le contrôle de conformité des lois lui apparaissait bien plus complexe. En effet, le Conseil d’Etat a rendu un arrêt intitulé Syndicat général des fabricants de semoule de France rendu le 1er mars 1968 dans lequel il estime que contrôler la conformité d’une loi postérieure à un traité reviendrait à contrôler la constitutionnalité de la loi. Ainsi, le Conseil d’Etat faisait primer la volonté du législateur en refusant de censurer les actes de ce dernier et faisait ainsi primer la loi adoptée postérieurement à un traité ou à un accord même si cette dernière n’était pas conforme aux traités et accords internationaux conclus par la France. Toutefois, si la loi était antérieure à l’adoption d’un traité ou d’un accord international, le Conseil d’Etat acceptait de contrôler la conformité de cette dernière au traité ou à l’accord international. En effet, le Conseil d’Etat estimait que si une loi antérieure à l’adoption d’un traité ou d’un accord international était contraire à un traité ou à un accord international, alors le contrôle qu’il effectuait ne faisait que refléter la volonté du législateur qui souhaitait abroger la loi antérieure. Le Conseil d’Etat justifiait sa position à travers la théorie de l’écran législatif qu’il consacre par un arrêt intitulé Arrighi rendu le 6 novembre 1936 dans lequel il estime que le juge administratif est incompétent pour examiner la constitutionnalité d’une loi en ce que, la loi en question faisant écran entre le juge administratif et la Constitution, le juge ne peut examiner la constitutionnalité d’un acte règlementaire ou d’un acte administratif qui découlerait d’une loi. Toutefois, la position du juge administratif empêchant une entière application de l’article 55 de la Constitution, ce dernier a finalement été contraint d’accepter l’influence du droit international dans le droit interne français. B. La consécration de la place du droit international dans l’ordre juridique interne par le juge administratif. L’intégration du droit international dans l’ordre juridique interne étant indéniable, le juge administratif s’est vu contraint de revoir sa position. En premier lieu, le Conseil d’Etat s’est efforcé de s’éloigner le moins possible d’une application conforme à l’article 55 de la Constitution. En effet, le juge administratif a estimé dans un arrêt intitulé Société Smanor rendu le 19 novembre 1986 que, lorsqu’une loi habilitant un acte règlementaire ou administratif ne contient aucune règle de fond, le juge administratif peut s’affranchir de cette dernière afin de contrôler la conformité des dispositions de l’acte en question à la Constitution. En outre, la position du Conseil d’Etat allait également à l’encontre de la position de la Cour de cassation, du Conseil Constitutionnel et de la Cour de Justice Européenne. En effet, le Conseil Constitutionnel a rendu une décision le 15 janvier 1975 lors de laquelle il indique qu’il est incompétent pour contrôler la conformité des lois aux traités et accords internationaux. Ce dernier justifie son raisonnement du fait que le contrôle de conventionnalité de la loi est un contrôle du respect d’un traité ou d’un accord international par une loi. Il ne s’agit pas ici de contrôler la conformité d’une loi à la constitution mais à une norme internationale. Ainsi, le Conseil Constitutionnel, s’étant déclaré incompétent, laisse la place à un autre organe qui serait chargé de ce contrôle de conventionnalité. La Cour de cassation a également adopté une position contraire au Conseil d’Etat dans un arrêt intitulé Administration des douanes C/ Société des cafés Jacques Vabre rendu le 24 mai 1975 dans lequel cette dernière accepte de faire prévaloir les traités et accord internationaux sur une loi adoptée postérieurement à ces derniers. Finalement, la Cour de Justice des Communautés Européennes rejoint la position du Conseil Constitutionnel et de la Cour de cassation dans un arrêt intitulé Simmenthal rendu le 9 mars 1978 dans lequel elle consacre la nécessité de faire prévaloir les traités et accord internationaux sur les lois internes indépendamment du fait qu’elles soient antérieures ou postérieures à l’adoption de la norme internationale. Ainsi, bien que le Conseil d’Etat fût réticent à consacrer la place du droit international dans uploads/s1/juge-admin-et-le-droit-international.pdf
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- Publié le Oct 14, 2021
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