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Érudit est un consortium interuniversitaire sans but lucratif composé de l'Université de Montréal, l'Université Laval et l'Université du Québec à Montréal. Il a pour mission la promotion et la valorisation de la recherche. Érudit offre des services d'édition numérique de documents scientifiques depuis 1998. Pour communiquer avec les responsables d'Érudit : erudit@umontreal.ca Article Marthe Adam Jeu : revue de théâtre, n° 51, 1989, p. 70-89. Pour citer cet article, utiliser l'information suivante : http://id.erudit.org/iderudit/16358ac Note : les règles d'écriture des références bibliographiques peuvent varier selon les différents domaines du savoir. Ce document est protégé par la loi sur le droit d'auteur. L'utilisation des services d'Érudit (y compris la reproduction) est assujettie à sa politique d'utilisation que vous pouvez consulter à l'URI http://www.erudit.org/apropos/utilisation.html Document téléchargé le 2 octobre 2013 03:48 « Le théâtre de marionnettes actuel : ambiguïté, provocation, recherche » M A R I O N N E T T E S Alain Recoing jouant Punch lors de la «May Fair» de Londres, en 1978. Photo : Clive Boursnell, extraite de les Marionnettes, Paris, Éd. Bordas, 1982. to le théâtre de marionnettes actuel: ambiguïté, provocation, recherche Entrer dans l'univers du théâtre de marionnettes, c'est reconnaître que l'être humain a toujours éprouvé un besoin exubérant de se représenter, lui, ses désirs et ses fantasmes. À travers des corps imaginaires et sublimes : effigies, statues, poupées, marionnettes, se matérialisent les grands mythes et les multiples visions poétiques de l'absolu qui constituent le fondement de tout propos artistique. Le théâtre de marionnettes des années quatre-vingt est vivant, en pleine ebullition et, aussi, tiraillé par des ambiguïtés essentielles à sa survie. Ses créateurs, poètes de l'image et visionnaires, oscillent entre la conservation d'un mode de représentation traditionnel qui leur a fourni principes et inspiration, ainsi que la pulsion irrésistible de restituer les turbulences et les profondes transformations de notre époque. D'un côté apparaît un attachement à une forme théâtrale du passé; de l'autre, une violente objection à la raison d'être de cette tradition encore représentée. Cette critique provoque dans la pratique une remise en question de ce que peuvent être la marionnette, son théâtre et son public. Car à quoi sert la tradition si elle n'est pas renouvelée? À fuir le présent? À se complaire dans des souvenirs vidés de sens? Et comment l'«actualiser», lui redonner vie afin que le théâtre de marionnettes, sous toutes ses formes, affirme sa présence et son sens dans un monde où les valeurs et les modes de communication sont en pleine mutation? «Les manipulateurs, au nombre de trois par marionnette, observent un code hiérarchique rigoureux.» Photo: Kaneko Hiroshi, extraite de Bunraku, the Art of the Japanese Puppet Theatre de Donald Keene, Éd. Kodanska International Ltd., Tokyo, New York et San Francisco, 1965. "'O Certains marionnettistes mènent une lutte contre l'inertie et la sclérose, un combat contre les forces paralysantes d'un système qui se méfie de l'audace dans toutes ses manifestations. Cette audace, qu'on associe à l'utilisation de l'objet, à l'espace éclaté, au «psychologisme» dans le texte, se manifestait déjà au début des années vingt dans ce qu'on appelait à l'époque le renouveau du théâtre. C'est le théâtre d'avant-garde, Meyerhold, le surréalisme, le théâtre futuriste et ses tragédies d'objets, et aussi l'éclatement de la perception. L'évolution des matériaux et de la technologie contribue aussi à l'évolution du mouvement. L'ambiguïté créatrice qui caractérise le théâtre de marionnettes actuel se nourrit à des sources d'inspiration plus anciennes encore: les écrits de Heinrich von Kleist sur le théâtre de marionnettes, le théâtre japonais du Bunraku ainsi que les origines mêmes de la marionnette au moment où elle constituait dans ses formes les plus simples un lien magique entre l'être humain et ses divinités. Des sources d'inspiration plus récentes influencent le théâtre actuel: Felix Mirbt, dont les recherches et expérimentations ont touché bon nombre de marionnettistes contemporains; le théâtre du Bread and Puppet mérite aussi ferveur et reconnaissance, car il introduit dans les rues des marionnettes de toutes tailles, en particulier des marionnettes géantes, ancêtres de celles qui se produisent actuellement sur nos scènes. Et que dire de Pierre Regimbald, l'un des maîtres incontestés du théâtre de marionnettes contemporains au Québec qui, dès le début des années soixante-dix, insuffle à ses étudiants de l'Université du Québec à Montréal le goût de l'innovation et de l'expérimentation. Enfin, pour résumer la pensée d'Alain Recoing, homme de théâtre de marionnettes français: Nous vivons dans une civilisation de l'objet; l'interprète la pervertit et en modifie les signes. Manipulation de la marionnette au Japon, avant l'apparition du Bunraku. Ce dessin, extrait du journal de Matsudaira Ietada, daté de 1577 à 1594, provient de Bunraku, the Art of the Japanese Puppet Theatre. 71 sources d'inspiration anciennes oscar schlemmer et les avant-gardes Les avant-gardes du début du siècle ont altéré notre regard sur les objets et les matériaux. Le champ de l'art s'est vu envahi avec ravissement par des matières rudimentaires, brutes. Combinés, confondus, les langages plastiques unis à ceux de la scène façonnent les signes d'une nouvelle esthétique. Les objets prennent place sur scène, dans un espace à la fois construit et éclaté — et surtout transformable. Oscar Schlemmer, membre de l'atelier de théâtre du Bauhaus, par sa pratique de l'écriture des corps, en arrive à une proposition radicale: d'acteur, l'être humain devient pur objet, habillé de costumes fantastiques, dénaturé, mécanisé, comme peut l'être un automate dont le manipulateur serait le metteur en scène. Il propose donc un mode d'écriture où évoluent sur un même plan acteurs, marionnettes, costumes habités, formes abstraites en mouvement, espaces transformables, jeux d'éclairages, projections d'images et de films, interprétations musicales et dramatiques. Schlemmer éprouve le besoin d'intégrer à la scène le mouvement de la forme et de la couleur; formes multiples ou isolées, colorées, neutres ou transparentes, formes planes ou tridimensionnelles; l'espace en mouvement. Ce qu'il appelle «le coloré-formel [...] côtoie le comique et le tragique, le bon mot et la trouvaille dans des essais dramatiques d'une grande rigueur plastique1». L'enjeu en est parfaitement contemporain et mène à l'une des tendances actuelles: le théâtre interdisciplinaire. Aussi ses jeux de construction faits de praticables, de coulisses mobiles, de panneaux pliants et de trappes contribuent à accentuer le pouvoir de transformation de ce nouvel espace scénique. Les marionnettistes d'aujourd'hui s'en inspirent encore pour créer des castelets qui n'en sont presque plus, tellement ils sont ouverts. Ces nouveaux castelets portent une série de signes qui concourent à mettre en valeur les spécificités de la marionnette: par exemple, perdre la tête et la retrouver, se dédoubler et retrouver sur un autre plan son double en miniature, rouler littéralement (et habiter l'espace) des yeux, sortir du castelet et récupérer son manipulateur, en fait, son souffle de vie. Et que dire de la possibilité qu'offrent ces constructions de créer des théâtres itinérants, de tournée, à l'image de la tradition millénaire de la marionnette populaire! À la même époque, plusieurs auteurs d'avant-garde, dont Maeterlinck, rêvent d'un nouvel acteur qui pourrait interpréter fidèlement les idées de la dramaturgie symbolique et moderne. Maeterlinck projette de remplacer l'acteur par des sculptures, peut-être des ombres ou des formes symboliques. D'après lui, aucun être vivant ne peut habiter un grand poème ou un texte dramatique. La fiction ne peut être interprétée que par l'inanimé, le rôle fondamental de l'écrivain devenant celui d'imaginer et de peupler l'univers des morts. La marionnette, parfaite interprète, concrétise les textes en devenant une métaphore dont la vie, illusoire, serait la projection des attitudes et des émotions humaines. On peut penser qu'ultimement seule sa présence, immobile, et le récitatif du texte pourraient définir une nouvelle tendance esthétique du théâtre de marion- nettes. l'âme et les centres de gravité Heinrich von Kleist, un siècle avant Schlemmer, présage déjà de l'influence du théâtre de marionnettes sur toutes les formes de théâtre vivant, plus précisément sur la danse. Il élabore en effet la théorie du déplacement des centres de gravité selon laquelle chaque marionnette ou objet possède le sien propre; et selon les mouvements donnés à ces objets, le centre de gravité se déplace dans l'un ou l'autre des membres. Ce centre décrit dans l'espace une sorte de ligne, 1. Éric Michaud, Théâtre au Bauhaus, Collection «Théâtre Années Vingt», Paris, La Cité, 1978, p.133 72 droite ou en ellipse. Cette ligne correspond aux mouvements naturels du corps humain et mystérieusement, selon Kleist, elle mène directement à l'âme de l'objet manipulé. En élaborant cette théorie, Kleist énonce un paradoxe fascinant. Ces forces secrètes de la gravitation sont étroitement liées à celles de la grâce, une grâce mystique, désincarnée. Celle de la sublime indifférence des effigies dont les mouvements, purs, parfaits, introduisent une notion de théâtralité qui pourrait dépasser mécaniquement la disharmonie du présent. Goethe aurait qualifié cette notion de théâtralité de l'invisible. Cette théorie mène au coeur de l'une de nos pratiques actuelles : le marionnettiste qui choisit de manipuler à vue, et qui évidemment possède déjà son propre centre de gravité qu'il déplace à chacun de ses mouvements, entraîne la marionnette et est entraîné par elle dans une sorte de danse harmonieuse. Mouvement par mouvement, uploads/s3/ 16358ac-pdf.pdf
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- Publié le Sep 29, 2021
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