1 Le Salon des Réalités Nouvelles : pour et contre l’art concret L’histoire du

1 Le Salon des Réalités Nouvelles : pour et contre l’art concret L’histoire du Salon des Réalités Nouvelles est celle d’un long et grand récit puisque fondé en 1946, il est aujourd’hui encore l’occasion d’un rassemblement annuel d’artistes. Créé par l’amateur d’art Frédo Sidès, sa spécifité tient à son entière et exclusive dévotion à l’abstraction et son principal mérite a été d’imposer cette forme d’expression comme courant artistique dominant dans la France de l’après-guerre. A l’époque, en effet, l’art établi et officiel se place sous le signe de l’ “Ecole de Paris”, tandis que l’abstraction, synonyme pour beaucoup d’art étranger, est jugée suspecte et réfractaire à toute définition nationale. En dépit de ce conservatisme ambiant, le contexte dans lequel émerge le Salon des Réalités Nouvelles n’est peut-être pas aussi défavorable qu’il n’y paraît. Capitale des arts, Paris jouit toujours de sa prestigieuse aura et continue d’exercer son pouvoir d’attraction auprès des jeunes artistes étrangers : allemands, suisses, nordiques, nord et sud-américains ne cessent d’affluer. La reconstruction, propice à la mise en oeuvre de projets audacieux et inédits, donne un souffle novateur à la création artistique. Les galeries se font de plus en plus nombreuses (avec notamment les ouvertures des galeries Denise René, Colette Allendy, Lydia Conti, Arnaud), de nouvelles revues voient le jour (Art d’aujourd’hui, Cimaise), les critiques se livrent à des débats passionés. Après les vicissitudes de l’occupation, l’heure est effectivement à l’engagement idéologique, à l’affrontement doctrinal ; les querelles de chapelles battent leur plein et très vite, à la question d’un art réaliste ou abstrait se substitue celle non moins polémique d’une abstraction “froide” ou “chaude”. Dans ce débat, la position du Salon des Réalités Nouvelles (à ses débuts tout du moins) est sans équivoque : ayant pour principe d’être ouvert à tout ce qui ne représente pas la réalité, la tendance qui y domine est un art construit et rationaliste. Ce parti-pris, à l’issu de la campagne menée au début des années cinquante contre l’abstraction géométrique, portera un lourd et long préjudice au salon. Le sort que lui a réservé la critique, en dehors des quelques rares et pertinentes études qui lui ont été consacrées 1 , est à cet égard manifeste : il n’est pas rare, en effet, que le Salon 1 Sur le Salon des Réalités Nouvelles, on pourra consulter le catalogue de l’exposition le catalogue de l’exposition Réalités Nouvelles. Anthologie d’Henri Lhotellier, Musée des Beaux - Arts de Calais, 9 février-8 avril 1980 ; ainsi que le texte de Dominique Viéville “Vous avez dit géométrique ? Le Salon des Réalités Nouvelles 1946- 1957” in Paris -Paris, Musée national d’art moderne, Centre Georges Pompidou, Paris, 1981, pp. 407-439. Plus récemment, voir également le texte de Véronique Wiesinger intitulé “Le salon des Réalités Nouvelles 1946-1991” in Abstractions en France et en Italie, 1945-1975. Autour de Jean Leppien, novembre 1999 - février 2000, Musée de 2 des Réalités Nouvelles soit considéré comme ayant été le fief d’une abstraction sclérosée et dépassée. Certes, comme toute organisation de ce type, ce salon n’a pas échappé à l’écueil de la quantité. Et s’il a eu à souffrir de la personnalité hégémonique de son vice-président Auguste Herbin, il a néanmoins permis à l’abstraction géométrique, en vertu d’une politique fondée sur la légitimation et axée sur l’internationalisation, de se développer dans le courant des années cinquante sous des formes fécondes et inédites. “L’association dite du Salon des Réalités Nouvelles”, précise l’article premier de ses statuts ”a pour objet l‘organisation en France et à l’étranger d’expositions d’oeuvres d’art communément appelé : art concret, art non figuratif ou art abstrait, c’est à dire d’un art totalement dégagé de la vision directe et de l’interprétation de la nature” 2 . Dans ce même article, l’antériorité d’Abstraction-Création, mouvement artistique qui s’était développé à Paris dans les années trente, est également spécifiée 3. Le recours par les Réalités Nouvelles à la terminologie d’ “art concret”, rétablissant la dichotomie qu’instituait l’appellation Abstraction-Création, par ailleurs, est très significatif du contexte artistique dans lequel était né le Salon des Réalités Nouvelles. En effet, il renvoie à la polémique qu’avait déclenché l’exposition Art Concret organisée par la galerie René Drouin en juin 1945. Modeste par la taille mais ambitieuse dans son propos, cette exposition constitua une étape importante dans l’histoire de l’abstraction géométrique française puisque pour la première fois depuis la Libération furent montrées des oeuvres de Jean Arp, Sonia et Robert Delaunay, César Domela, Otto Freundlich, Jean Gorin, Auguste Herbin, Wassily Kandinsky, Alberto Magnelli, Piet Mondrian, Antoine Pevsner, Sophie Taeuber-Arp, Theo van Doesburg. S’agissant donc de présenter un bilan de l’art non-figuratif c’était, à l’instar des expositions organisées par Max Bill (Zeitprobleme in der schweizer malerei und plastik, au Strasbourg, pp. 44-49. 2 Précisons toutefois que le catalogue d’exposition du premier Salon des Réalités Nouvelles était titré : 1er Salon des Réalités Nouvelles, Art Abstrait, Concret, Constructivisme, Non figuratif, cat. exp. Palais des Beaux-Arts de la Ville de Paris, 19 juillet-18 août 1946. 3 Un document conservé dans les archives des Réalités Nouvelles signifie cette antériorité : il montre que les statuts des Réalités Nouvelles sont une reprise fidèle de ceux d’Abstraction-Création, si l’on excepte les quelques ratures et annotations portées par la main d’Herbin ainsi que le papier “scotché” sur leur entête et portant la mention : “Salon des Réalités Nouvelles, Art concret-Art non-figuratif”. (Archives des Réalités Nouvelles, 1946, pièce 2). A envisager comme une inévitable et obligatoire réactualisation, ces modifications touchent cependant à la notion essentielle d’art abstrait, dont les statuts d’Abstraction-Création avaient donné la définition suivante : un “Art non figuratif communément appelé Art Abstrait, c’est à dire (d’oeuvres) qui ne manifeste(nt) ni la copie ni l’interprétation de la nature”. 3 Kunsthaus de Zurich en 1936, ou Konkrete Kunst à la Kunsthalle de Bâle en 1944), la conception élargie de l’art concret qui prévalait ici. Dans le catalogue de l’exposition, Jean Arp et un auteur anonyme présumé être Jean Gorin 4 expliquaient successivement, suivant le sens qu’avait attribué Théo van Doesburg au terme d’art concret, que celui d’art abstrait ne pouvait convenir car il désignait une réalité abstractisée et non la création d’un objet autonome : “Peinture concrète et non abstraite, parce que rien n’est plus concret, plus réel qu’une ligne, qu’une couleur, qu’une surface. C’est la concrétisation de l’esprit créateur” 5 . Ces précisions, si l’on en croit le débat qui anima le journal Art du mois de juin 1945 au mois d’août de l’année suivante (c’est-à-dire juste après le premier Salon des Réalités Nouvelles), ne surent guère convaincre : soit que certains en contestèrent le bien-fondé (pour Raymond Cogniat il ne s’agit là qu’un simple “changement d’étiquette”), soit que d’autres jugèrent la controverse un peu vaine (pour Frédo Sidès, “qu’importe, après tout, le nom ?” puisque les deux éminents protagonistes de l’art abstrait sont Kandinsky qui optait pour “concret” et Delaunay pour “abstrait”), voire inutile (pour Léonce Rosenberg, se sont “les hommes qui comptent, non les formules ou les étiquettes”) 6 . Partant, le choix de susbtituer au nom “Abstraction-Création” celui de “Réalités Nouvelles” paraissait des plus judicieux : il mettait un terme à la polémique de l’art concret en même temps qu’il permettait de se prémunir contre toute attaque consistant à dévaloriser l’art abstrait par rapport à sa relation au réel. Plus encore, il autorisait la présence des différents courants de l’art non-figuratif, ouverture potentielle qui sera cependant la source de multiples dissensions au sein du salon. L’expression “Réalités Nouvelles” a elle aussi sa petite histoire ; née sous la plume d’Apollinaire en 1912, elle avait donné son nom à une exposition organisée par Frédo Sidès et le critique d’art Yvanhoé Rambosson à la Galerie Charpentier à Paris en 1939. Divisée en trois volets, elle avait l’ambition d’offrir “un tableau synoptique de l’évolution 4 L’exposition de l’art concret s’est tenue du 15 juin au 13 juillet 1945. Le texte du catalogue, introduit par la définition de Arp sur l’art concret, est anonyme. L’auteur qui serait probablement Jean Gorin retrace l’histoire de l’abstraction depuis le cubisme jusqu’à l’art concret de van Doesburg en passant par le suprématisme de Malevitch, le constructivisme des frères Gabo et le néo-plasticisme de Mondrian. 5 Extrait du premier article de “commentaires sur la base de la peinture concrète” parut dans le “numéro d’introduction” de la revue Art concret (avril 1930) et reproduit dans le catalogue de l’exposition Art Concret 6 Les différentes citations extraites de Arts sont issues des numéros suivant : Raymond Cogniat, “Feu sur l’art abstrai”, 22 juin 1945 ; Frédo Sidès, “A propos d’art concret”, 13 juillet 1945 ; Léonce Rosenberg, “Concret pas concret”, 17 août 1945, p. 2. 4 esthétique et technique d’un art totalement dégagé de la vision directe de la nature” 7 . La reprise par Frédo Sidès de son intitulé permettait de démontrer l’existence d’une filiation, et plus même, d’une certaine tradition abstraite ; tentative qui peut être jugée à la fois vaine et nécessaire si l’on rappelle que la seule exposition officielle ayant jusqu’alors fait honneur à l’art abstrait était Origines et uploads/s3/ 2-d-x27-orgevalsalondesrealitesnouvelles.pdf

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