Rêver 2074 Une utopie du luxe français U n e œ u v r e c o l l e c t i v e d u
Rêver 2074 Une utopie du luxe français U n e œ u v r e c o l l e c t i v e d u C o m i t é C o l b e r t 5 Une utopie du luxe français Créé en 1954, le Comité Colbert fête en 2014 ses 60 ans. A cette occasion, ses membres – 78 maisons de luxe français et 14 institutions culturelles réunies autour de valeurs communes – ont voulu suivre la voie de leurs créateurs visionnaires en se projetant en 2074. Convaincu du pouvoir de l’imagination pour mode ler la réalité, le Comité Colbert a choisi de rêver 2074. Ainsi, tout au long de l’année 2013, a-t-il mené La fabrique de l’utopie au sein de laquelle chaque maison a d’abord exprimé son rêve propre sous la forme d’un bref texte, d’une image et de cinq mots. Cette matière, riche, inventive, a ensuite été façonnée au cours de dix ateliers pour donner forme à une utopie collective incarnant la vision de l’ensemble du luxe français. Optimiste, portée par de puissantes valeurs partagées, cette utopie d’un luxe noventique, de l’industrie du rêver-vrai, place l’humain au cœur de son rêve. Elle se nourrit de paradoxes pour affirmer à la fois des valeurs de partage et l’importance vitale de l’émotion esthé 6 tique pour chacun. Elle noue des liens entre les êtres et par la transmission avec les générations futures… Pour contaminer la société par l’optimisme rayon nant de cette utopie, le Comité Colbert a conçu une œuvre collective qu’il met à la disposition de tous. Cette œuvre est le fruit d’une collaboration unique, riche des visions des maisons du Comité Colbert, de la forme narrative que leur ont donnée six écrivains de science-fiction, de la résonnance sonore créée par un musicien et des inventions poétiques d’un linguiste. C’est cette œuvre à 200 mains que nous vous invi tons à lire, à écouter, à déguster… 7 2074, quand le luxe parle français En 2074, le temps ne s’arrête pas plus qu’à toute autre époque. Dans les quarante dernières années, tout est allé très vite, et cela va continuer. Le monde a vu se déployer les paramètres sublimes ou désastreux de la vie humaine. La technique a fait la course en tête ; venu du grec, le mot s’est traduit en latin par ars, artis, notre ART. Cette mutation de la technique vers la création esthétique a pu aujourd’hui s’inverser, et certaines techniques, notamment celles de la vie, du plaisir, du bonheur, ont achevé de se faire artistiques, et ceci grâce à une pratique très ancienne, l’artisanat. Cet artisanat retrouvé, rajeuni, rendu puissant, novateur, utopiste, universel, a rejoint l’art, et l’a même dépassé, car les arts ont été compromis, depuis le xxe siècle, par la spéculation et les bulles financières. Cet admirable savoir-faire se dresse contre l’emprise du massif, du monotone, du quotidien, favorisée par l’industrialisa tion et par la concentration des grands médias, et qui ont usé l’être humain. 8 Un symbole de liberté, un instrument d’épanouis sement, un véhicule de générosité, jadis réservé à des minorités, le LUXE s’est répandu en réseau à la surface de notre petite planète solaire (on connaît maintenant des millions d’exoplanètes), cette planète qui com mence à percevoir l’univers, son au-delà, et à explorer une partie du système solaire, tandis que la substance de toutes choses révèle ses minuscules miracles. De nouvelles matières apparaissent, avec des nanotech niques1, des molécules pour la santé, pour le plaisir, pour une vie plus longue et plus sensible à soi-même et à l’autre. Les maîtres mots du luxe ont cessé de borner les espaces réservés du bien-être. Au contraire, ils disent l’émotion et la sensibilité, l’espace ouvert et la durée pérenne, avec la force de l’instant, l’exigence et le respect, le savoir et l’agir pour le bonheur de tous. Il y a près de trois siècles, un jeune révolutionnaire français disait que le bonheur était « une idée neuve en Europe ». C’est devenu aujourd’hui une idée-force dans le monde, à l’approche du xxiie siècle de l’ère chrétienne. En 2074, malgré les Cassandre, l’Europe est tou jours belle et créative, et la France, plus que jamais, est source de joie pour la Terre entière. La formule 1. Je réserve le mot technologie à l’étude, à la science des techniques. 9 biblique de la création divine « que la lumière se fasse », par une paronymie latine, peut ajouter au « fiat lux » des croyances le « fiat lux » ambitieux des savoir- faire supérieurs. En effet, le luxe est une « lumière » (lux) agissante, une aurore. Le ciel humain est passé des nuées sombres du malheur au « nuage » promet teur des échanges numériques. Ces valeurs lumineuses s’ajoutent à celles qu’apporte la véritable étymologie latine, faites d’énergie exubérante – celle de la sève au printemps – et d’imprévisibilité, signe de créativité. Malgré les folies humaines, le « village global » pré-vu par le prophète McLuhan s’organise et s’huma nise enfin. Il requiert la lumière du luxe et ses valeurs qui sont de générosité, d’émotion, de surprise, d’in ventivité, de paradoxe stimulant et, d’après un grand poète d’autrefois, pourtant pessimiste, de « calme » et de « volupté ». En 2074, les grandes puissances de ce petit monde planétaire — la Chine, les États-Unis, le Brésil, le Canada, l’Argentine, le Japon, la Russie, et une Europe enfin unie — sont rejointes par de nombreux États d’Asie, du Moyen-Orient, d’Afrique, d’Amérique latine, du Pacifique, dans la demande devenue uni verselle du bien-être et du bonheur. Les besoins et les désirs humains ont fait éclater les frontières. La planète est entrée dans une « posthistoire » aussi différente de l’histoire passée que celle-ci l’était de la préhistoire. Cela s’est fait par une révolution pacifique, « tran 10 quille » (pour utiliser une belle formule ancienne des francophones du Canada). Avec le réseau des relations humaines planétaires et immédiates, l’opposition rigide, étouffante, de l’ego et de l’altérité est enfin en train de céder. Le bien-être individuel, le plaisir personnel peuvent se répandre et s’échanger. À « Je est un autre » (Rimbaud) répond « Tout autre est moi ». Dans cette perspective, le luxe est devenu un instrument majeur. Il est devenu à la fois la pointe de la modernité et le recours aux valeurs patrimoniales menacées ou perdues par l’action écra sante de la médiocrité, de la banalité et du laisser-aller. Ce néoluxe ménage une nouvelle harmonie entre les sensations nées de la matière et les richesses immaté rielles, entre les besoins et les états du corps et ceux de l’esprit, entre réel et rêve, entre vérité et beauté, rejoi gnant ainsi la vision antique de Socrate et de Platon. Parmi ses pouvoirs, le luxe crée du SENS. Dans le monde des signes, dans la Babel des langues, il pro meut, avec les arts, la poésie, la culture, un humanisme universel. Cependant, dans chaque langue, pour dire son essence et sa naissance, sa transmission et ses pou voirs, des manières de dire, des mots sont apparus. En 2074, les langues ont continué leurs évolutions. La langue française, idiome privilégié du luxe, avec toutes celles où s’exprime cette universelle activité, a conservé et encore accru ses prestiges. Sa grammaire s’est un peu simplifiée et c’est devenu un luxe véritable 11 que d’en retrouver les subtilités, celles qu’ont exaltées écrivains et poètes du passé ; mais écrivains et écri vaines d’aujourd’hui n’y ont pas renoncé. La pronon ciation s’est enrichie ; les accents régionaux de France et ceux des divers lieux de la francophonie, d’Europe, d’Amérique, d’Afrique, du Levant, du Pacifique… ont fourni à la manière plate et monocorde de parler en usage en France au début de ce siècle des couleurs et une musique nouvelles. Venons-en au lexique, aux mots grâce auxquels nous classons les choses du monde et précisons nos idées. Les mots du luxe ont fait l’objet, il y a 63 ans, d’une étude dont les résultats se sont conservés : des termes comme beauté, création, élégance, émotion, ou encore lumière, rêve, séduction, ont toujours autant d’occa sions d’usage. Seuls exception, exclusivité, et, dans une moindre mesure, rareté, qui avaient alors été évoqués, n’ont plus la même pertinence quant au luxe. Car il s’est généralisé, répandu, partagé, en un mot humanisé à l’échelle de l’espèce, et toujours sans se banaliser, par un éclatant paradoxe. La quantité, enfin, s’est mise au diapason de l’extrême qualité. Des mots nouveaux, cependant, sont apparus : quelques anglicismes américains, pour la plupart, pour « faire chic », par une conception archaïque du luxe. Je n’en parlerai pas, de même qu’autrefois, je négligeai le know-how et le melting pot, trouvant que « savoir-faire » et « métissage » disaient autant et 12 valaient mieux, pour la prononciation comme pour la graphie. Ce franglais n’apporte rien à la pensée du luxe. D’autres langues sont d’ailleurs disponibles pour apporter leur propre musique et des concepts distincts : la morbidezza italienne est intraduisible, et l’aljamal de l’arabe, aussi uploads/s3/ 2074-rever-2074-une-utopie-du-luxe-francais-pdf.pdf
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- Publié le Mar 11, 2022
- Catégorie Creative Arts / Ar...
- Langue French
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