1 Victor Hugo - Carnets et dessins inédits Louis Barthou Revue des Deux Mondes,
1 Victor Hugo - Carnets et dessins inédits Louis Barthou Revue des Deux Mondes, Paris, 1918 Exporté de Wikisource le 29 juillet 2022 2 VICTOR HUGO CARNETS ET DESSINS INÉDITS [1] Quand Alexandre Dumas fils, recevant Leconte de Lisle à l’Académie française, comparait l’œuvre de Victor Hugo à un édifice énorme, et qu’il s’efforçait d’en décrire la complexité, il ne connaissait pas encore toute cette œuvre, dont de vastes parties restaient inédites, et il ignorait surtout la variété et la solidité des soubassements sur lesquels elle s’appuyait. Victor Hugo fut un des plus grands travailleurs que la littérature ait connus. Dès qu’il sera traité comme un classique et qu’on lui appliquera les méthodes critiques 3 dont les écrivains du XVIIe siècle ont été jusqu’ici presque exclusivement les bénéficiaires, on sera surpris de voir que son labeur égala son génie. Les sources de son inspiration témoignent d’une puissance de travail extraordinaire. Comme Molière, il prenait son bien où il le trouvait, mais il se donnait la peine de le chercher et de le découvrir. Il ne s’appliquait pas d’ailleurs à une seule œuvre. Spiritus ubi vult spirat. Son esprit et son imagination l’entraînaient au même moment dans des directions diverses et plusieurs sujets l’occupaient à la fois. Cette variété faisait, en 1822, l’étonnement de sa fiancée. « Oui, mon ami, lui écrivait-elle, j’ai été contente que tu aies travaillé… Peut-être serais-je encore plus satisfaite de te voir plus de suite dans ton travail. Il me semble qu’à moins de choses qu’on ne peut prévoir, on ne devrait commencer une chose qu’après avoir terminé ce que l’on avait mis en train. Me voilà bien sévère. » La sévérité d’Adèle Foucher trahissait surtout l’incompréhension où se trouvait la jeune fille des lois qui commandent l’inspiration. Elle ne comptait pas assez avec « cette chose qu’on ne peut prévoir » et à laquelle le génie même le plus maître de sa volonté doit obéir. Ce sont les carnets de Victor Hugo qui portent le témoignage le plus significatif de la diversité des sujets auxquels le poète travaillait ou dont son esprit s’amusait. Ils sont le miroir fidèle où son imagination se reflète, en même temps que sa vie y inscrit ses dates et ses faits principaux. Cette habitude était ancienne. Le premier cahier de Victor 4 Hugo, alors âgé de dix-huit ans, remonte à 1820. Il était fiancé, et son carnet mêlait des vers aux notations, beaucoup plus nombreuses, qu’il consacrait aux étapes de son amour. De 1820 à 1855 les carnets sont rares, ou ils manquent. C’est en 1855 qu’ils deviennent réguliers et abondants. M. Gustave Simon les a dépouillés avec un soin heureux. Les vers lui ont permis d’apporter aux œuvres du poète une précieuse contribution de variantes inédites. La prose, qui n’est pas moins intéressante, a enrichi l’édition complète, qu’il a publiée, de ces étonnantes Choses vues où s’est révélé un des aspects les plus imprévus du génie de Victor Hugo. J’ai eu la bonne fortune de mettre la main sur une série de carnets inédits que Juliette Drouet avait conservés avec une jalousie fidèle et discrète. Riche comme Booz et non moins généreux, M. Gustave Simon m’a permis de glaner les épis qui étaient tombés derrière lui. La gloire de Victor Hugo ne peut que gagner à cette reconstitution des matériaux qui ont contribué à édifier son œuvre, ou à la publication des notes qui se rapportent à des événements importants de son existence. Avec les miettes de cette table inépuisable et somptueuse il y a encore de quoi alimenter plusieurs festins. Les cinq carnets que je possède se# réfèrent aux années 1856, 1857, 1861, 1871, 1872 et 1877. Ils sont aussi abondants que variés. Ils renferment des vers, de la prose, des comptes, des conversations, des choses vues, des détails familiers… et 5 AILES ET BECS DE VAUTOURS. des dessins, qui n’en sont pas la moindre parure. A tout reproduire, on risquerait de commettre des indiscrétions fâcheusement inutiles ou de tomber dans des détails sans intérêt. Il m’a paru préférable d’en extraire la « substantificque mouëlle. » C’est la tâche que je me suis assignée. On me saura gré, d’ailleurs, d’y mettre le moins possible de moi et de me borner aux commentaires et aux transitions strictement nécessaires. I. — 1er FÉVRIER-16 MARS 1856 L’erreur est encore commune qui juge de la valeur de certaines œuvres de Victor Hugo par la date de leur publication. Deux recueils, Dieu et La Fin de Satan, sont trop souvent attribués, parce qu’ils sont posthumes, à l’époque où le poète vieilli entassait les uns sur les autres, dans la période de 1878 à 1880, quatre poèmes philosophiques où, du Pape à l’Ane, il s’en faut que sa gloire ait gagné. Cette confusion nuit à des chefs-d’œuvre contemporains, pour leur inspiration et pour leur exécution, des Contemplations et de la Légende des Siècles. Il y a dans Dieu et dans La Fin de Satan des vers par centaines dont la splendeur ou la grâce égalent les productions les plus magnifiques de Victor Hugo. ETUDE D’AILE. 6 Charles Renouvier, dans le livre si profond qu’il a consacré à la philosophie de Victor Hugo, ne s’était pas trompé sur la date de Dieu, écrit dans la belle maturité du génie du poète. La plus grande partie de l’œuvre était terminée en 1855. Victor Hugo la reprit en 1856 et la transforma en y ajoutant d’importants développements. Son carnet enregistre, à plusieurs reprises, le mouvement de sa pensée. Il renferme, tantôt des passages achevés, tantôt des ébauches qui n’ont pas reçu leur forme définitive. Les variantes que j’y découvre sont assez nombreuses, mais elles n’ont pas d’intérêt réel. Que vaudraient ces quelques brindilles à côté des milliers de vers que renferme le prodigieux reliquat de Dieu ? J’aime mieux donner deux dessins qui sont un commentaire pittoresque de la pensée de Victor Hugo et qui la présentent sous un aspect nouveau. Les grands poètes de la période romantique se sont presque tous essayés à des croquis en marge de leurs œuvres ou de leurs lettres. Lamartine y mettait de la gaucherie négligente, Alfred de Vigny de la correction académique, Alfred de Musset une audacieuse espièglerie. Leurs dessins sont des curiosités amusantes, dont la signature fait la valeur. Théophile Gautier avait plus d’art et de métier. Mais seul Victor Hugo avait le don. Tout jeune écolier, il enrichissait ses devoirs d’abondantes illustrations. Ce goût se développa chez lui jusqu’à devenir une véritable maîtrise. Son imagination l’entraînait souvent dans la fantaisie, mais il savait aussi traduire, avec des procédés tout personnels, les paysages ou les monuments. Je sais de grands artistes qui n’hésitaient pas à voir en lui un émule ou presque un égal, 7 et quand, au cours d’un commun voyage en Normandie, en 1836, Célestin Nanteuil lui abandonnait son album, ce n’est pas au peintre que revenait l’honneur de la comparaison. Le carnet de 1856 renferme de nombreux croquis, au milieu desquels la figuration d’oiseaux rapaces, dessinés à l’encre de Chine, est plus particulièrement poussée. C’est d’abord une aile magnifique de vautour qui remplit, sans légende, une pleine page ; puis, dans les deux pages qui suivent, une aile, un vautour en vol d’attaque et un bec curieusement fouillé. Au moment où il dessinait ces bêtes de la « famille monstrueuse, » Victor Hugo composait la partie de Dieu qu’il a intitulée le Vautour. Le poème contenait, dès l’origine, une série de révélations que des oiseaux symboliques, caractérisant les aspects principaux et les erreurs des religions, faisaient à l’homme sur Dieu et sur la création. Le manuscrit de 1855 donnait la parole à la Chauve-Souris, au Corbeau, à l’Aigle et au Griffon. En 1856, Victor Hugo y ajouta le Hibou pour exprimer le Scepticisme et le Vautour pour traduire le Paganisme. Et je vis au-dessus de ma tête un point noir, Et ce point noir semblait une mouche dans l’ombre… Et cette mouche était un vautour. Il planait. 8 « Le poète ne décrit pas « le grand vautour béant, » auquel il fait raconter, en vers qui sont souvent d’un éclat magnifique, la mythologie antique et la tragédie de Prométhée, mais son pinceau s’applique a le dépeindre avec son bec d’acier, qu’il veut « fin et aigu » et avec sa puissance qui symbolise la « communion avec l’infini. » C’est à cet épisode qu’il faut évidemment rattacher deux vers inédits du carnet : Non content de l’azur, Jupiter prit la terre, Et Prométhée alors voulut prendre le ciel. et sans doute aussi ce bel alexandrin où le poète exprime l’idée de la fatalité : Les noirs exils sont pleins d’innocents criminels. Avec les fragments qui se rapportent à Dieu, le carnet de 1850 ne contient qu’une seule ébauche, très poussée d’ailleurs, d’une pièce complète, Cauchemar Posthume, parue dans Dernière Gerbe : les variantes que je pourrais y glaner n’ont pas assez de prix pour que je m’y arrête. Au contraire, il abonde en vers inédits qui se rapportent à quelques-unes des comédies publiées ou à uploads/s3/ victor-hugo-carnets-et-dessins-inedits.pdf
Documents similaires










-
30
-
0
-
0
Licence et utilisation
Gratuit pour un usage personnel Attribution requise- Détails
- Publié le Aoû 23, 2022
- Catégorie Creative Arts / Ar...
- Langue French
- Taille du fichier 0.3809MB