BSGLg, 63, 2014, 67-83 FACTEURS DE L’URBANISATION DISCONTINUE : PROPOSITION D’U
BSGLg, 63, 2014, 67-83 FACTEURS DE L’URBANISATION DISCONTINUE : PROPOSITION D’UNE GRILLE DE LECTURE Sara REUX Résumé Alors que la continuité du bâti ne suffit plus pour appréhender l’espace urbain d’aujourd’hui, la discontinuité du tissu urbain est devenue une clé de compréhension de la ville contemporaine et de son processus de formation. Mais les facteurs de discontinuité proposés dans la littérature se rapportent le plus souvent à l’étalement urbain quand bien même cette littérature achoppe sur l’appréhension des formes urbaines pour des raisons idéologiques et méthodologiques. Nous chercherons alors à comprendre de manière concomitante la formation des espaces périurbains et les formes de développement de l’habitat à l’échelle parcellaire sous le prisme de la demande résidentielle, de la régulation publique et de l’offre résidentielle. Cette approche nous permettra de proposer une grille de lecture de l’urbanisation discontinue. Mots-clés urbanisation discontinue, étalement urbain, demande résidentielle, régulation publique, offre résidentielle, revue de la littérature Abstract While understanding urban areas through continuity of developed land reached its limits, dis continuity of urban fabrics has become a key to understand today’s cities and their shaping dynamics. However, factors of discontinuity most often deal with sprawl in literature even if this literature fails to understand urban patterns for ideological and methodological reasons. So, we will analyze simultaneously peri-urban development and patterns of residential devel opment at the parcel level through residential demand, public policies and residential supply. This approach aims to propose an analytical grid to understand discontinuous urban patterns. Keywords discontinuous urban patterns, sprawl, residential demand, public policies, residential supply, literature review I. INTRODUCTION De la « ville éparpillée » de Bauer et Roux (1976) à la « ville émiettée » de Charmes (2011), la dis continuité du tissu urbain est devenue une clé de lecture de la ville d’aujourd’hui et de son processus de formation : la continuité du bâti ne suffit plus pour appréhender l’espace urbain (Beaucire, 1995 ; Guérois et Paulus, 2002). L’éclatement du modèle ancien de la ville dense, depuis l’avènement de l’automobile, s’est accompagné de l’apparition de multiples néologismes visant à décrire ces nou velles formes de la croissance urbaine. La richesse du vocabulaire relatif aux formes discontinues de l’urbanisation reflète un besoin de les décrire mais également une difficulté à les comprendre (Barat tucci, 2006). En économie urbaine, l’analyse des formes mor phologiques de la croissance urbaine constitue au jourd’hui un centre d’intérêt renouvelé (Pouyanne, 2014). Au-delà de l’analyse déjà ancienne de la rétention foncière (Mills, 1981), les travaux théo riques récents modélisent la formation des disconti nuités dans les espaces périurbains (Cavailhès et al., 2003 ; Turner, 2005 ; Caruso et al., 2007) et les tra vaux empiriques cherchent à comprendre les formes mesurées à partir des données d’occupation du sol (Burchfield et al., 2006 ; Irwin et Bockstael, 2007 ; Clark et al., 2009). Pourtant, si la disponibilité accrue des données spatiales fines représente une chance de mieux saisir ces discontinuités et de comprendre ainsi les formes contemporaines de la croissance urbaine, les travaux de recherche en éco nomie mobilisent essentiellement la littérature sur 68 Sara REUX l’étalement urbain quand bien même cette littérature achoppe sur l’appréhension des formes urbaines pour des raisons idéologiques et méthodologiques. Dans cet article, nous proposons donc de nous intéresser à l’urbanisation discontinue résiden tielle, c’est-à-dire à la dispersion morphologique de l’habitat constitutive des espaces périurbains « mixtes », au sens de Cavailhès et al. (2003), mê lant des espaces à dominante agricole ou forestière et des espaces bâtis. Après avoir explicité, dans une première partie, ces raisons de l’oubli des disconti nuités, nous préciserons les mécanismes en jeu dans l’émergence de ces formes contemporaines de la croissance urbaine à partir de trois points de vue, en faisant l’hypothèse qu’ils sont en interaction : la demande, la régulation et l’offre résidentielle (Sché ma 1). Cette analyse nous permettra de proposer, en conclusion, une grille de lecture de l’urbanisation discontinue. II. L’OUBLI DES DISCONTINUITÉS A. Comment dépasser l’idéologie de la ville compacte ? Depuis l’ouvrage de Bauer et Roux (1976), la lit térature francophone a adopté le champ lexical de la discontinuité pour décrire l’urbanisation des espaces périphériques. Nombre d’adjectifs sont devenus omniprésents pour évoquer cette ville « éparpillée », « disséminée », « éclatée », « dis persée », « fragmentée », « émiettée », « mitée », « diluée », « diffuse », « discrète », « fractale » (Bauer et Roux, 1976 ; Frankhauser, 1994 ; Beau cire, 1995 ; May et al., 1998 ; Mignot, 2000 ; Berger, 2004 ; Enault , 2004 ; Barattucci, 2006 ; Grosjean, 2010 ; Charmes, 2011). La multiplicité de ces adjectifs évoquant la discontinuité traduit un besoin de décrire ces nouvelles formes de la croissance urbaine, mises en évidence grâce au développement des données spatiales, à travers les images de la télédétection et les plans cadastraux informatisés qui permettent de visualiser l’urba nisation discontinue à partir de l’échelle la plus fine. Mais ces caractérisations des formes de la croissance urbaine ne sont pas équivalentes. Elles traduisent, d’une part, une morphologie à l’échelle parcellaire avec des phénomènes de dispersion de l’habitat produits par l’alternance de parcelles bâ ties et de parcelles non bâties, mais aussi par l’ac croissement de la taille des parcelles qui conduit à l’éloignement des logements les uns par rapport aux autres. Elles traduisent, d’autre part, des phé nomènes de cristallisation de dynamiques d’urba nisation autour de noyaux existants à des échelles supérieures. L’analyse proposée par Allain (2004) Schéma 1. Trois points de vue en interaction 69 Facteurs de l’urbanisation discontinue : proposition d’une grille de lecture décrit cette urbanisation « plus diffuse et éparpil lée [qui] a transformé les territoires interstitiels » à partir des micro-polarités formées par les ha meaux préexistants, « noyaux de cristallisation […] qui ont entériné les phénomènes de mitage » (p. 192). Roux et Vanier (2008), décrivent aus si cette « micro-pigmentation de larges fractions de l’espace rural à partir de toutes ses polari tés » (p. 16). Dans la littérature anglophone, la frontière entre dispersion et multi-polarisation est également assez mince (Ewing, 1997) et d’autres termes sont employés pour caractériser les discontinuités. Ewing (1997) identifie no tamment la dispersion (scattered development), l’urbanisation dite en « saute-mouton » (leapfrog development) et l’urbanisation discontinue (dis continuous development). La première notion caractérise la discontinuité du bâti et s’envisage à l’échelle de la trame parcellaire. La seconde caractérise la discontinuité du tissu parcellaire bâti et laisse des parcelles vacantes pour s’éta blir dans des espaces plus éloignés, au sein de la même ville ou bien à l’échelle de la région ur baine, dans l’aire d’influence des villes centres qui polarisent les migrations domicile-travail. La dernière notion est présentée comme une forme urbaine efficiente, dans la mesure où elle qualifie la constitution de réserves foncières pour l’ur banisation future. L’idée de fragmentation (land fragmentation) émerge enfin sous l’influence de l’écologie du paysage (Irwin et Bockstael, 2007). Ces diverses formes discontinues sont des formes spatiales de l’étalement urbain, qui est, selon Allain (2004), « le domaine du discontinu » (p. 189). À ce titre, ces formes sont jugées le plus souvent « indésirables » (Ewing, 1997) ou « in soutenables » (Berque et al., 2006), par opposi tion à la continuité et à la densité du modèle de la ville compacte (Jenks et al., 1996) qui serait plus conforme au référentiel de la ville durable (Emelianoff, 1999). Ces formes discontinues fo calisent donc les critiques qui façonnent ce voca bulaire, à connotation majoritairement négative, utilisé pour les décrire (Tableau 1). Les premières critiques ont porté sur la consommation d’espace agricole, les coûts de ces formes dispersées pour la collectivité ou les ménages engagés dans des migrations alternantes et les phénomènes de rétention foncière. Avec l’émergence du para digme de développement durable, les critiques se sont ensuite développées sur la consommation d’énergies fossiles et l’émission de gaz à effet de serre, sur la fragmentation des espaces naturels envisagés comme réserves de biodiversité, et sur les effets sociaux éventuellement attachés à ces formes. Ce discours sur les maux de l’étalement urbain et de ses formes discontinues a produit une idéologie de la ville compacte. En effet, la ville compacte, à même de minimiser les coûts publics et pri vés, sociaux et environnementaux, est devenue la forme efficiente mise en exergue comme modèle optimal par les aménageurs (Halleux, 2012). Den sité et compacité sont reines dans ces représenta tions urbano-centrées dominantes d’un urbanisme vertueux. Le vocabulaire employé, connoté par le « poids des pensées implicitement anti-périur baines » (Vanier, 2008, p. 43), participe de cette idéologie car il oriente les politiques publiques vers la densification et le renforcement des cen tralités urbaines (Barattucci, 2006). Pour Vanier (2008), ce vocabulaire est même le témoin d’une « absence de pensée périurbaine » (p. 43). Allain (2004) souligne en particulier que les espaces résidentiels périphériques de faible densité sont le plus souvent restés invisibles dans les études morphologiques en urbanisme et en architecture qui « se cantonnent aux centres urbains anciens feignant d’ignorer leur très uploads/s3/ 9-reux 1 .pdf
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- Publié le Jul 24, 2021
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