MARCEL DUCHAMP VITE La loi de la pesanteur en cinq minutes par Marc Vayer, juil

MARCEL DUCHAMP VITE La loi de la pesanteur en cinq minutes par Marc Vayer, juillet 2021 L’œuvre de Marcel Duchamp fonctionne par successions de synecdoques, cette figure de style qui évoque la partie pour le tout et le tout pour la partie. Typiquement, lorsque le tout exprime la partie, elle généralise et tend vers l’abstrac­ tion et, dans le cadre des idées, vers le conceptuel. Lorsque la partie exprime le tout, elle particularise et tend vers le pittoresque mais aussi le singulier, l’original. Ainsi, ce que Marcel Duchamp intitule la mariée dans sa production phare dite le grand verre est une évocation gé­ néralisante de toutes les productions artistiques de Marcel Duchamp qui ont étés et seront toujours malmenées par l’action des regardeurs. Ainsi, la production objet dard est une évocation particularisante de la mariée (c’est matériel­ lement un élément qui a servi à construire le mannequin de sa dernière production Etant données...) mais aussi une production pittoresque très sexualisée qui renvoie encore et toujours aux œuvres d’art malmenées par l’action des re­ gardeurs. Marcel Duchamp a construit sa production artistique à l’aide de modalités énigmatiques, consciemment élabo­ rées, comme si l’ensemble de cette production était un grand aphorisme, un grand jeu de mots qui de prime abord laisse l’interlocuteur coi. Il a donc crypté son travail et transformé ce code, au fur et à mesure, en un nominalisme qu’il intitule lui-même pictural et qui s’approche de l’invention d’une langue visuelle maî­ trisée par lui seul. Ce système global de pensée et les pro­ ductions qui y sont associées nous incitent à penser qu’elles sont l’expression d’un loi générale qu’il n’a cessé de mettre en scène et que nous appelons ici, reprenant l’une des for­ mules célèbres issues de ses notes, la Loi de la pesanteur. [1] « Régime de la pesanteur ministère département des coïnci­ dences ou mieux : ministère de la pesanteur » Note, boite verte 1934. Système de pensée globale, cryptage systématique, langage autonome, constance dans l’invention « pour ne pas se ré­ péter », documentation et mises en scène pour la postérité, voilà un programme qui révèle une maîtrise générale sur « l’emploi de sa vie » [2] et sur ses choix artistiques, maîtrise générale que peu de personnes lui accorde, préférant voir en Marcel Duchamp un « génie » farceur, un dilettante, un dadaïste permanent, ce qu’il ne fut, en réalité, jamais. Un exemple précis peut sans doute illustrer la fausse légè­ reté des jeux de mots de Marcel Duchamp en même temps qu’une partie de la loi de la pesanteur : « gratuité du petit poids ». On y voit un jeu de mots (petits pois) avec une sorte de non sens surréaliste, une absurdité « dada » ; alors que le « poids », ici, fait référence à la Loi de la pesanteur qui empêche les objets d’arts d’accéder à la postérité et que la « gratuité » fait référence à la trivialité des regardeurs. Le regard qui permet de prendre la décision de réhabiliter un objet d’art et de le faire admettre comme œuvre d’art, lui, est gratuit. On peut essayer de formuler plus précisément cette loi de la pesanteur : la Loi de la pesanteur = l’élévation spirituelle par la réalisation de l’objet d’art, contrariée, tirée vers le bas par la foule des conformistes + la réhabilitation de l’oeuvre d’art par quelques esthètes et leurs discours critiques. Et c’est en vertu de cette loi que Marcel Duchamp a lancé l’expérimentation du ready-made Fountain. Il provoque un refus dans un premier temps et attend ensuite sa réhabili­ tation, qui arrive comme il s’y attendait, débutant chez les artistes américains des années soixante. Marcel Duchamp avait bien perçu et anticipé l’un des grands mécanismes du marché de l’art qui s’annonçait dès le début du XXème siècle. Formulons maintenant cette loi un peu différemment et appliquons-la à notre époque contemporaine : pour qu’un objet créé par un artiste soit reconnue comme une œuvre d’art, il faut qu’il soit d’abord ouvertement refusé par la ma­ jorité de telle sorte qu’une minorité active puisse se flatter de le réhabiliter. Il existe toujours, en ce début de XXIème siècle, une communauté d’amateurs d’art qui se façonne une identité en se différenciant des regardeurs triviaux. La loi de la pesanteur en cinq minutes, Marc Vayer, avril 2021 p 1/1 Note « Régime de la pesanteur » Marcel Duchamp, boite verte, the bride strip­ ped bare by her bachelors even the green box - tate.org. Mais la Loi de la pesanteur est désormais un instrument dont se saisissent certain·e·s artistes, se faisant reconnaître par la polémique — le public de regardeurs et les medias as­ sociés s’y engouffrant, — et espérant une réhabilitation qui leur ouvrira les portes d’une éventuelle postérité. Dans le même temps, et par voie de conséquence, on peut affirmer « que les grandes collections privées paraissent non-éli­ tistes et de nature à devenir des attractions touristiques mondiales chaque fois qu’elles sont exposées en collection­ nant précisément l’art qui leur paraît assez spectaculaire pour attirer les masses ». [3] La consanguinité actuelle entre artistes, commanditaires, institutions publiques et privées valide l’intuition de Du­ champ sur la déconnection entre le statut d’œuvre d’art et les notions de savoirs-faire et de goût. La loi de la pesanteur a été validée par la postérité. [4]  [5 minutes] Marcel Duchamp, objet dard, 1950 [1] C’est Alain Boton qui le premier formule cette idée dans son ouvrage « Marcel Duchamp par lui-même ou presque », FAGE Editions, 2012 [2] Citation d’un des amis les plus proches de Marcel Duchamp, Henri- Pierre Roché : « La plus belle œuvre de M. Duchamp était l’emploi de son temps ». [3] Bizarre love triangle / Jovan Mrvaljevic in de L’art et l’argent Editions Amsterdam 2017 [4] « Plus précisément, on aimerait ici suggérer que l’articité et, au-delà, les processus sociaux d’artification (c’est-à-dire de transformation et d’intégration à la sphère de l’art) servent d’interface somptuaire reliant des domaines différents de l’espace économique par des effets de transfert d’aura et de prestige symbolique. Ces transferts peuvent être modélisés, de façon schématique, par des spirales de valorisation qui conjuguent rétrocouplage et déplacement par contiguïté marchande. Retraçons ici quelques spires de cette diffusion d’aura : de l’œuvre d’art possédée à la personne du grand collectionneur, et du collectionneur aux différentes firmes qu’il possède ; de l’oeuvre d’art unique exposée dans une institution aux objets collector, bien qu’industriels, sur lesquels un artiste contemporain à haut degré de visibilité a apposé sa signature ; de l’artiste aux produits de luxe vendus par les marques qui sponsorisent ce dernier et les institutions qui l’exposent; de l’image de marque aux diverses stratégies de distinction sociale du consommateur, chez qui l’on cherche à solliciter aussi des tendances collectionnantes et artifiantes alimentant en retour, à sa base, l’ensemble de la chaîne ». Olivier Quyntin, La valeur somptuaire de l’art et la pauvreté des artistes / p. 32 de L’art et l’argent Editions Amsterdam 2017 La loi de la pesanteur en cinq minutes, Marc Vayer, avril 2021 p 1/2 Note « soigneur de gravité » Marcel Duchamp, boite verte, the bride stripped bare by her bachelors even the green box - tate.org. Le métal (ou matière) du chariot est émancipé c. à. d. qu’il a un poids, c à d. une pesanteur verticale, mais qu’une force agissant horizontalement sur le chariot n’a pas à supporter ce poids. Le chariot est émancipé horizontalement, il est libre de toute pesanteur dans le plan horizontal (propriété du métal des tiges qui composent le chariot.) Note, boite verte 1934. Description du fonctionnement du chariot dans le Grand verre, — la figure du chariot étant la métaphore du travail créatif de l’artiste. uploads/s3/ la-loi-de-la-pesanteur-en-5-minutes.pdf

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