Pour France Culture ­ Les Nouveaux Chemins de la connaissance Enregistrement du

Pour France Culture ­ Les Nouveaux Chemins de la connaissance Enregistrement du 20 mai 2016 Alain,​ Système des Beaux­arts​, livre I­chap. VI­VII Explication de texte Ligeia Saint­Jean Introduction Dans cet extrait du Système des Beaux­Arts​, Alain interroge le statut de l'oeuvre d'art et analyse les conditions de toute mise en oeuvre artistique et l'attitude de l'artiste. S'élevant contre une conception très intellectualiste voire romantique du processus de création artistique, conception soutenue par une longue tradition,il montre que l'oeuvre d'art n'est pas le fruit d'une inspiration préalable qui guiderait l'artiste dans sa mise en œuvre artistique, mais qu'elle résulte d'un long travail d'une matière ou d'un support au cours duquel l'artiste découvre ce qu'il ne s'était pas encore représenté : Conception très modeste du processus créatif, puisqu'Alain nous annonce ici que l'artiste est toujours et d'abord un artisan au service des matières qu'il façonne et qu'il n'y a pas d'invention humaine sans travail, un travail non pas commandé par l'intention de celui qui œuvre mais guidé par un matériau qui lui résiste et lui impose ses règles. Seulement jusqu'où mène­t­il la comparaison entre l'artiste et l'artisan et si l'oeuvre d'art est toujours le résultat d'une mise en œuvre technique, ou d'une habileté dans la mise en forme des matériaux utilisés la réduit­il pour autant à un objet artisanalement fabriqué, fruit d'un simple savoir­faire? Ou redonne­t­il à l'oeuvre d'art le statut d’une véritable création toujours unique et originale ? Cf. le procès de Brancusi : les douaniers américains ont refusé à la sculpture « Oiseau dans l'espace » l'exonération fiscale réservée aux œuvres d'art et lui ont appliqué la taxation propre aux objets manufacturés. Plan du texte​ : l.1à7​ : ce § annonce la thèse centrale : ​L'oeuvre d'art n'est pas conçue avant d'être réalisée. Elle n'est pas le fruit d'une inspiration oisive, mais d'une mise en œuvre active au cours de laquelle l'artiste porte attention à l'objet qu'il façonne. Ligeia Saint­Jean Alain,​ Système des Beaux­Arts​, livre I­chap. VI­VII 1/6 l.8à18 ​: ce § dresse un portrait de l'artiste et analyse les conditions de l'inspiration artistique : l'artiste ​est toujours un artisan guidé par son travail de la matière et non un génie inspiré qui trouve dans un support le simple moyen d'exprimer son talent. l.18à22​ :​ ce § énonce des lois de l'invention humaine. L.1à7​ : ​Aucune conception n'est oeuvre​ . Dans ce § (fin du chap.VI : « De la puissance propre de l'objet »), l'auteur annonce sa thèse centrale sur l'oeuvre d'art et ses conditions, thèse qu'il va ensuite justifier et expliquer dans le chap.VII : De la matière », dont sont extraits les deux § suivants. Alain annonce ici de manière assez abrupte que l'art est dans le faire et non dans la conception ou dans la méditation ou la réflexion et que l'artiste est toujours et d'abord un artisan (comparaison poursuivie dans les deux § suivants) : « aucune conception n'est oeuvre » écrit Alain, ajoutant que toute pensée qui ne se fixe pas sur un objet réel est « nécessairement stérile » et est toujours le fruit d'une imagination oisive et trompeuse qui nous égare, cette « maîtresse d'erreur et de fausseté, d'autant plus fourbe qu'elle ne l'est pas toujours» comme le disait Pascal (​Pensées 44 (82)​), ou cette perception égarée « sans précaution » (Alain, livre­ I­ « De l'imagination créatrice ») Énonçant un certain nombre d'oppositions ici : Penser/faire ; possible/réel ; artiste/artisan, Alain fait la critique implicite d 'une certaine représentation de l'oeuvre d'art comme résultat du talent d'un artiste génial qui a déjà tout conçu avant même de se mettre à l'oeuvre : le talent étant présent en l'artiste de manière intérieure avant de pouvoir d'exprimer à travers l'oeuvre. L'oeuvre d'art serait donc d'abord anticipée comme possible avant d'être réalisée et d'exister comme objet donné à voir, à écouter ou lire. Seulement, comme l'écrit Alain, le « possible » n'est pas le « réel », et ne renvoie qu'à ce qui pourrait être et ne pas se réaliser pourtant, alors que le réel renvoie à ce qui existe de fait et à une présence matérielle et physique. De même, si « aucune conception n'est oeuvre » écrit Alain, c'est parce que toute pensée qui ne se fixe pas sur un objet réel est « nécessairement stérile » et est toujours le fruit d'une imagination oisive et trompeuse qui nous égare, cette « folle du logis » comme le disait Pascal. Il y aurait donc une « perte de temps » de l'artiste dans cette activité de conception, de méditation ou de réflexion, activité qui quand elle ne porte sur aucun objet précis mais seulement sur tous les possibles empêchent et freinent le passage à l'action proprement créatrice, nuisent à ce qui est essentiel : à savoir l'élaboration réelle et matérielle de l'oeuvre. Penser l'oeuvre ce n'est pas la faire, c'est seulement l'envisager comme possible sur le mode d'une fiction qui place l'artiste devant des choix vertigineux comme celui de « chercher parmi les possibles quel serait le plus beau », vertige qui peut rendre l'artiste impuissant à réaliser quoique ce soit, où trop de fécondité rend impuissant. Cf. Picasso : « Je ne cherche pas, je trouve ». Ligeia Saint­Jean Alain,​ Système des Beaux­Arts​, livre I­chap. VI­VII 2/6 Cf. Balzac, Le chef d'oeuvre inconnu​ : l'artiste Frenhofer devient impuissant à trop vouloir conformer sa toile à un idéal de beauté parfaite mais inexistante. Cf. Balzac : ”Rien n'est plus aisé que de concevoir des sujets de romans : c'est comme allumer des cigares et lancer la fumée au plafond. Les écrire, c'est autre chose.” A travers cette conception de l'art, apparaît alors l'idée que l'oeuvre ne serait que la réalisation effective et réelle d'un modèle déjà conçu ou d'un projet déjà fixé et représenté dont l'artiste aurait déjà la vision d'ensemble et qu'il lui suffirait d'exécuter de la manière la plus conforme à son idée, conception que rejette ici Alain ramenant l'activité artistique à une activité proche de l'artisanat où le faire prime sur la réflexion stérile et où l'inspiration ou la méditation si elles entrent en jeu dans la réalisation artistique sont des actes mentaux qui doivent porter sur un objet réel et non sur des possibles imaginés, ce que l'auteur va expliquer dans le § suivant où il va montrer que c'est l'attention portée à la matière et à ses résistances qui va guider le travail de l'artiste dans sa réalisation de l'oeuvre finale, et non l'idée qu'il s'en était faite au préalable. Cf. Michel­Ange qui ne pouvait concevoir la statue qu'en considérant le bloc de marbre qu'on lui apportait, faisant naître le modèle du marbre lui­même, le modèle étant l'oeuvre même. L.8à18​ : ​L'inspiration ne forme rien sans matière ; l'artiste est toujours d'abord un artisan. Dans ce § (début du chap.VII : « De la matière »), Alain analyse les conditions de l'inspiration artistique et compare l'artiste à un artisan, ce producteur modeste et responsable, d'emblée attaché à la chose même et à sa réalisation. « L'inspiration ne forme rien sans matière » écrit Alain, et « il faut à l'artiste, à l'origine des arts quelque premier objet ou première contrainte de fait sur quoi il exerce d'abord sa perception (…) artisan toujours en cela ». Alain ramène l'art à sa conception antique: une « poïesis » : une activité qui revient à faire surgir d'une matière brute une forme inventée et produite habilement et artificiellement : une activité de production plus que de création, l'une étant le fruit d'un métier là où l'autre serait l'expression d'un geste créateur génial, gratuit et fantaisiste. Cf. Aristote : l'activité de production ou « poïesis » (Cf. Ethique à Nicomaque,​ VI, 1139b15 ­ 1140a20), distinguée de l'action. Les activités de production (≠activités libres) qui rendent la pensée besogneuse (cf. Aristote, Les Politiques​, VIII, 2, 1337­b4) où l'esprit est attaché à une matière, où l'objet réalisé est le produit d'un savoir­faire, d'une « techné », à savoir de la mise en œuvre ordonnée de moyens en vue d'une fin qui n'est pas conçue à l'avance mais qui s'éclaire d'elle­même au fur et à Ligeia Saint­Jean Alain,​ Système des Beaux­Arts​, livre I­chap. VI­VII 3/6 mesure que sont mis en œuvre et inventés les moyens pour l'atteindre (≠ tâtonnement empirique). La « techné » ne renvoie donc pas à une simple habileté manuelle ni à un simple procédé de fabrication mais à un véritable savoir­faire par lequel la règle technique est ajustée à la fin singulière visée ; un savoir­faire où le faire est en et par lui­même cette connaissance par laquelle le producteur devient principe de la venue à l'être de quelque chose de déterminé. Cf. Aristote : « la techné » est une « disposition à produire accompagnée de règle vraie » dont l'objet est contingent. (cf. lat. : « artis­ars » : façon de faire). ≠vision de l'artiste démiurge où l'inspiration joue un rôle prééminent dans le processus créatif : L'oeuvre ne peut pas naître d'un projet d'abord intériorisé par l'artiste, uploads/s3/ alainexplicationtexteart-2 1 .pdf

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