Gilles Chambon RECONNAISSANCE ESTHETIQUE DU PAYSAGE URBAIN PREMODERNE ETUDE EFF

Gilles Chambon RECONNAISSANCE ESTHETIQUE DU PAYSAGE URBAIN PREMODERNE ETUDE EFFECTUEE A PARTIR DES REPRESENTATIONS URBAINES DE TRADITION VEDUTISTE EN FRANCE AUX XVIII° ET XIX° S. Recherche D.E.A. : Directeur de recherche Françoise CHOAY UNIVERSITE DE PARIS VIII Département d’Urbanisme 1986 © version électronique 2011 : Gilles Chambon 2 INTRODUCTION « Nous n'avons pas encore acquis la science nécessaire pour composer harmonieusement à l'aide des moyens nouveaux, pour dégager ceux- ci et ordonner, en accord avec les conditions sociales et l'idéologie de notre époque, les formes architecturales qui en peuvent dériver. » André Lurçat, « FORMES, COMPOSITIONS, ET LOIS D'HARMONIE. » « Des maisons se dressaient alentour, puissantes, mais irréelles - et aucune Ne nous connut jamais. Qu'y avait-il de réel dans tout cela ? » Rilke, « LES SONNETS A ORPHEE, VIII ». Il n'est pas nouveau de se lamenter sur l'aspect inesthétique de l'architecture et de l'urbanisme contemporains face aux multiples beautés recelées par les villes anciennes. La réprobation des critiques, qu'ils soient ou non praticiens de l'architecture, à l'encontre des aménagements urbains et du style dominant à leur époque, s'est manifestée pour la première fois de façon significative dans les villes d'Italie à la Renaissance: au nom d'une architecture antique idéalisée, symbolisée par les Dix Livres de Vitruve et par les nombreux vestiges romains encore debout au quattrocento, tout le cadre architectural et urbain de l'Europe médiévale fut rejeté par les Alberti, Filarete, Martini, Serlio et quelques autres. 3 Dans la seconde moitié du XVIII° siècle, la tendance étant à la redécouverte archéologique (fouilles de Pompéi en 1748, publication de Piranèse sur les antiquités de Rome en 1756, de Leroy -1756- puis de Stuart et Rewett -1762- sur les monuments d'Athènes, enfin de Soufflot sur Paestum en 1764) et à l'exaltation de valeurs rationnelles, les esthéticiens, derrière Winckelmann, vilipendent les afféteries du style baroque qui envahit l'Europe, et appellent au Néoclassicisme. Au XIXO siècle les Romantiques, Tieck en Allemagne, Mérimée, Montalembert, Hugo,et Michelet en France, Ruskin en Angleterre, dénoncent les ravages perpétrés par les aménageurs contemporains et la médiocrité de leurs réalisations comparée aux subtilités de l'art du Moyen-Âge. En 1889, Camillo Sitte reprend leur réquisitoire et constate "l'indigence des motifs et la banalité des aménagements urbains modernes". Une quarantaine d'années plus tard, c'est Le Corbusier qui dénonce le couple omniprésent et malfaisant rue corridor/îlot à bâtir, et préconise la "ville verte" "sans barrière", avec des voies hiérarchisées indépendantes des bâtiments, eux- mêmes "décollés du sol". Vient enfin dans les années 1970 une critique radicale de l'urbanisme et de l'architecture modernes, destructeurs des paysages urbains; Peter Blake s'exprime ainsi : "il faudrait être fou pour payer un centime afin de visiter ces "villes radieuses" dont le Mouvement Moderne nous a inondés, jusqu'à en avoir la nausée, d'Osaka à Washington. Certains d'entre nous vivent dans ces "villes radieuses" aseptisées parce que les prix y sont raisonnables et qu'en général les installations sanitaires y fonctionnent correctement. Mais chaque fois que nous en avons la possibilité, nous visitons ces charmants vieux bourgs et ces merveilleuses vieilles cités construites à l'échelle humaine. ( ... )ces villes appartiennent à la catégorie que Le Corbusier appelait parfois les "égoûts humains"." 1 4 Faut-il donc penser que cette remise en question de la valeur esthétique de l'environnement urbain, étant un phénomène cyclique de l'histoire, tient plus au caractère humain qui se plaît à renier ce qu'il a adoré et qui aime avant tout le changement, qu'à une véritable infériorité plastique de telles solutions formelles rejetées par rapport à telles autres préconisées? S'agit-il simplement d'un besoin naturel d'adapter périodiquement les paysages architecturaux au "kunstwollen", au vouloir artistique d'une époque,parce que chaque grand courant stylistique, chaque grande période d'aménagement finissent toujours au bout d'un temps plus ou moins long par perdre de leur puissance et se pervertir, devant alors être relayés par quelque chose de nouveau? Mais au-delà de ces questions, il faut surtout se demander si toutes ces crises qui ont secoué les pratiques artistiques depuis cinq siècles sont bien de même nature. Or, rien n'est moins sûr; malgré quelques apparences, l'histoire ne se répète jamais. La première tâche de mon travail consistera justement à montrer que s'il a bien existé au cours de l'histoire un mouvement de balancier faisant se succéder de grands cycles d'expression artistique, dans un sens primitivisme-classicisme-maniérisme, la crise qui s'est amorcée au XIX° siècle et qui marque le grand tournant technologique du XX° siècle, celle qui a abouti aux réalisations architecturales et urbanistiques contemporaines, celle-là n'a rien de commun avec les précédentes, sa teneur est toute autre. La distance qui s'établit entre d'un côté les ultimes styles historico-figuratifs et les derniers avatars des embellissements urbains classiques ou pittoresques, et de l'autre les blocs austères ou tapageurs et les vastes espaces informels produits depuis une cinquantaine d'années, cette distance semble immense, irréductible. Une 5 quantité de micro-équilibres se sont effondrés; ils étaient liés aux systèmes de valeurs classiques des hommes de l'art, architectes et dans une moindre mesure ingénieurs, à la pratique des artisans aussi, avec leurs traditions ancrées dans un passé reculé, ou encore à la permanence des modèles culturels qui régissaient l'organisation spontanée de l'espace et son appropriation, consistant en réparations ordinaires et en « transformations capillaires du tissu urbain »2. Ces équilibres, une fois perturbés par l'accélération de l'histoire qui caractérise le passage à la période contemporaine,n'ont pu être remplacés -en particulier sur le plan de la cohérence des effets esthétiques - par les quelques professions de foi rationalistes des architectes des ClAM, et ils ne le seront certainement pas davantage par les prétentieux mais vains exercices de style du post- modernisme, dont un Venturi ou un Jencks défendent une bien hypothétique pertinence socioculturelle. Une fois étayé ce constat préalable, il s'agira de mettre en évidence et d'analyser les multiples qualités d'aspect qui caractérisent les paysages urbains prémodernes, et qui font si cruellement défaut dans les parties de villes touchées par des aménagements nouveaux ou dans les espaces proliférants de nos banlieues et villes nouvelles. L'optique de mon projet rejoint le courant de réflexion sur l'esthétique urbaine inauguré par Camillo Sitte dans son "ART DE BATIR LES VILLES", poursuivi en Angleterre par Raymond Unwin et plus récemment par Gordon Cullen et sa théorie du townscape; elle rejoint aussi les préoccupations développées par André Lurçat dans son important essai intitulé "FORMES, COMPOSITION, ET LOIS D'HARMONIE". Ces auteurs ont tenté, à des degrés divers, en se fiant à l'acuité de leur sensibilité, confortée par une 6 opinion générale accordant valeur de beauté particulière aux exemples qu'ils avaient choisis, de dégager quelques lois ou principes rendant compte de l'effet esthétique. Leurs démarches s'inscrivent en faux contre les esthétiques moralistes qui donnent peu d'autonomie au champ formel dans l'analyse du jugement de goût. Elles se distinguent également nettement des esthétiques expérimentalistes positivistes, issues de Fechner et dont le plus récent développement est dû à Abraham Moles avec sa "THEORIE DE L'INFORMATION ET PERCEPTION ESTHETIQUE", parce qu'elles s'attachent non pas comme ces dernières à réduire la qualité esthétique à quelques éléments trop facilement quantifiables et finalement insipides3, mais au contraire à ne rien laisser échapper de la complexité des configurations ressenties comme belles ou harmonieuses, quitte à restreindre l'efficacité scientifique des analyses. Il s'agit plus pour eux de décrire, de comprendre, et de justifier les qualités d'environnements architecturaux remarquables que de rechercher quelque formule miracle apte à engendrer à coup sûr des formes belles· "L'oeuvre en tant qu' expérience individuelle est théorisable mais non mesurable", a dit justement Umberto Eco4. Il reste à se demander s'il est possible aujourd'hui d'aller plus loin dans l'analyse de l'esthétique des en¬sembles urbains que ne sont allés Sitte, Unwin, ou Lurçat, et quel peut être l'apport spécifique de la recherche entreprise ici sur l'esthétique architecturale et urbaine prémoderne. A la première question, je répondrai par l'affirmative, car la grande avancée, au cours de ces trente dernières années, de la pensée structuraliste et des études sémiotiques réalisées dans de multiples domaines, a contribué à 7 mettre à la disposition des chercheurs une panoplie étendue de catégories conceptuelles ou méthodologiques qui, à condition d'être utilisées à bon escient et si l'on évite l'écueil d'une gymnastique intellectuelle creuse, peuvent affiner considérablement la description et la modélisation, donc la compréhension, de phénomènes réels récalcitrants,comme ceux d'ordre esthétique. Quant à l'apport spécifique de ma recherche, dont la "généalogie culturelle" sera présentée dans le premier chapitre, il se voudrait double: 1/ En choisissant de limiter mon corpus d'étude non à un lieu géographique ou une époque précise, mais à un ensemble cohérent de documents iconographiques (ce seront des peintures, des estampes, et des photographies dont le choix sera discuté au chapitre 2; annonçons simplement pour l'instant qu'il s'agira de peintures et de gravures françaises de la fin du XVIII° siècle, de lithographies de la période romantique, et de photographies de la seconde moitié du XIX° siècle, qui toutes s'inscrivent dans la tradition védutiste) documents dont la finalité était précisément de restituer les caractères esthétiques d'un lieu, j'ai cherché à me prémunir au mieux contre uploads/s3/ paysage-urbain-premoderne-g-chambon 1 .pdf

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