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Apprendre à apprendre Adele Diamond Author information ► Copyright and License information ► Go to: Résumé Comment aider les enfants à réussir à l’école et, plus généralement, à développer leurs capacités intellectuelles ? Les résultats de travaux fondamentaux en psychologie et en neurosciences permettent de proposer des méthodes pédagogiques efficaces, bien qu’elles semblent parfois aller contre le bon sens. Les enseignants, comme les parents, insistent souvent sur les apprentissages de connaissances ou sur les capacités de raisonnement, dont l’on mesure l’efficacité par des coefficients tels que le quotient intellectuel (QI). Mais de nombreuses études ont montré que la capacité à contrôler ses actions et son attention, ce que l’on nomme la capacité d’inhibition, serait plus déterminante pour la réussite scolaire d’un enfant [1]. Plus généralement, les fonctions dites « exécutives » du cerveau, l’inhibition, mais aussi la mémoire de travail (capacité à garder en tête des informations et de travailler avec) et la souplesse cognitive (capacité à changer des façons d’agir ou de réfléchir pour faire quelque chose), sont indispensables pour apprendre et réussir dans tous les domaines et tout au long de la vie. Des enfants entrant à l’école primaire avec de bonnes fonctions exécutives auront davantage de facilité à apprendre à lire, à écrire et à compter. D’où l’intérêt d’entraîner ces fonctions dès le plus jeune âge, à l’aide de méthodes pédagogiques spécifiques, et de favoriser leur développement pendant l’enfance et l’adolescence [2]. Tout d’abord, il est important de prendre en compte que les enfants ne sont pas des adultes en miniature. Solliciter leur capacité d’inhibition est plus ardu pour les jeunes enfants que de mémoriser quelques informations nouvelles. Par exemple, il est difficile pour eux d’agir d’une manière inhabituelle ou d’adapter leur comportement en fonction de la situation. En revanche, ils ont moins de difficultés à garder en tête plusieurs éléments d’information différents. C’est tout le contraire pour les adultes, qui rencontrent beaucoup plus de difficultés à augmenter la charge de mémoire de travail qu’à inhiber un comportement. Nous l’avons récemment confirmé avec mes collaborateurs, en testant 325 enfants (de 4 ans à 13 ans) et jeunes adultes (de 26 ans) avec des tests neurocognitifs sous forme de jeux, appelés tâches de points (lire « Comment tester les fonctions exécutives ? », p. 90) [3]. En raison de cette difficulté à inhiber, un enfant peut savoir ce qu’il doit faire, et avoir envie de le faire, sans en être pour autant capable. Nous l’avons montré en demandant à des enfants de 3 ans de ranger dans des boîtes des objets tels que des camions ou des étoiles [4]. Au début du test, ils devaient les ranger par couleurs (ou par formes). Puis, dans une seconde phase de l’expérience, nous leur avons demandé de les ranger de l’autre façon (par formes s’ils devaient trier par couleurs au début et inversement). Problème: une fois que les enfants avaient pris l’habitude de se focaliser sur, par exemple, la couleur des objets, ils avaient beaucoup de mal à se focaliser ensuite sur leur forme. Que, pour chaque objet, l’expérimentateur rappelle ou demande à l’enfant quelle était la règle n’empêchait pas celui-ci de se tromper de boîte. Pourtant, ces enfants étaient attentifs, puisqu’ils répondaient toujours correctement aux questions « Dans quelle boîte va le camion ? » et «Dans quelle boîte va l’étoile ?». Les enfants peuvent donc rester empêtrés dans une routine et peiner à s’en extirper, même avec les meilleures intentions. La cause principale de cette situation est que la région cérébrale impliquée dans les fonctions exécutives, le cortex préfrontal, n’est pas mature avant au moins l’âge de 20 ans (lire « La turbulente dynamique de la matière grise », p. 22). Cela conduit certains responsables de l’éducation à penser que les jeunes enfants sont incapables d’entraîner leur inhibition ou d’utiliser leur mémoire de travail. Les classes sont alors organisées de telle manière que ces capacités sont rarement sollicitées chez les enfants. Go to: Améliorer l’inhibition Toutefois, immaturité ne signifie pas absence totale de fonctionnement: nous avons constaté à l’aide de tests neurocognitifs que les fonctions exécutives commencent à se mettre en place très tôt dans la vie, avant même l’âge de 1 an [5]. Pourquoi alors priver les enfants de l’opportunité d’entraîner et d’améliorer leur inhibition ou leur mémoire de travail? Comment tester les fonctions exécutives? Les deux tests suivants font appel aux trois composantes des fonctions exécutives: inhibition, mémoire de travail (pour retenir et appliquer les règles) et souplesse cognitive. Les enfants passent ces tests sur un ordinateur, en appuyant sur deux boutons, situés à droite et à gauche sous l’écran. Le test appelé « Dots tasks » (tâches de points) se déroule en trois étapes. Première consigne (à gauche): appuyer du côté où apparaît le cœur à l’écran. Deuxième consigne (à droite): appuyer du côté opposé à celui où la fleur apparaît sur l’ écran. C’est la consigne « incongrue » qui demande d’inhiber un comportement (la tendance naturelle à appuyer du côté où apparaît l’objet). Troisième consigne: appliquer l’une ou l’autre des deux règles précédentes selon qu’apparaît un cœur ou une fleur. Il faut donc retenir deux règles et traduire les informations « même côté » et « côté opposé » en réponse du type « appuyer à gauche » ou « appuyer à droite ». Cela demande de l’inhibition pour appliquer la règle incongrue, mais aussi pour ne pas appliquer systématiquement la règle appliquée précédemment. La souplesse cognitive permet de passer d’une règle à l’autre. Le test appelé « Flanker task » (test de gestion des interférences) se déroule en deux étapes. Première consigne: des images bleues sont affichées. Appuyer à gauche si la forme géométrique à l’interiéur est un cercle, à droite si c’est un triangle. Il faut ignorer la forme géométrique externe, ce qui demande de ne pas se laisser distraire. Seconde consigne: des images roses sont affichées. Appuyer à gauche si la forme géométrique à l’extérieur est un triangle, à droite si c’est un cercle. Ce changement de règle demande de la souplesse cognitive. La seule chose qui change est l’endroit où l’on doit focaliser son attention. Les parents et les enseignants peuvent encourager les jeunes enfants, dès l’âge de 4 ans, à développer un meilleur contrôle de l’inhibition. Ainsi, les parents peuvent aider leurs enfants à améliorer leurs fonctions exécutives, lorsqu’ils leur lisent une histoire: en tournant le livre de telle sorte que l’enfant ne puisse pas le voir, mais en regardant souvent l’enfant pour maintenir son attention. L’enfant devra alors se concentrer pour retenir ce qui s’est déjà passé dans l’histoire pour faire le lien avec ce qu’il est en train d’écouter, sans les aides visuelles du livre. À lui ensuite d’imaginer à quoi ressemblent les personnages et les décors de l’histoire. À l’école, les enseignants peuvent aussi favoriser les progrès des fonctions exécutives. Ainsi, aux États-Unis, des enseignants mettent en œuvre dans des classes de maternelles depuis quelques années, un programme nommé « Tools of the Mind » (les outils de l’intelligence), qui améliore considérablement la réussite scolaire des enfants [6]. Go to: Interactions sociales Ce programme vise tout particulièrement à développer les fonctions exécutives. Il a été mis au point, après douze années de recherche, par deux Américaines, Elena Bodrova et Deborah Leong, et est fondé sur les travaux des Russes Lev Vygotsky* et Alexandre Luria*. Ceux-ci pensaient que les interactions sociales d’un enfant avec le monde extérieur l’aidaient à apprendre. Avec des jeux sous forme de pièce de théâtre (jouer au papa et à la maman, ou au gendarme et au voleur) ou avec l’aide de leurs camarades de classe pendant la lecture ou les calculs, ce programme pédagogique apprend aux enfants à se concentrer et à entraîner leur contrôle de soi. Sans équipements particuliers ni professionnels spécialisés, les enfants parviennent à répondre de façon plus réfléchie, au lieu de dire la première chose qui leur passe par la tête. Ils apprennent aussi à utiliser leur mémoire de travail. Afin que les progrès soient généralisés aux résultats académiques, les exercices visant à améliorer les fonctions exécutives n’ont pas été juste regroupés en un module ajouté à un programme pédagogique existant. Ils ont été introduits dans toutes les activités de la journée, y compris les activités linguistiques ou de calcul. Par exemple, une activité linguistique, appelée « lecture à deux », se fait par groupes de deux enfants: l’éducateur demande à l’un des deux de raconter une histoire, à partir d’un livre d’images. L’autre enfant doit écouter attentivement, en attendant que ce soit à son tour de raconter son histoire. Au début, les enfants placés dans le rôle de l’auditeur veulent raconter leur histoire au lieu d’écouter celle de leur camarade. Mais avec des aides visuelles, tel le dessin d’une oreille, l’enfant est capable d’attendre son tour (on lui explique que le dessin d’oreille signifie « ne parle pas, écoute »). Quelques mois plus tard, les enfants n’ont plus besoin de ces aides visuelles pour se souvenir de la consigne. Pour évaluer les progrès que permet ce programme uploads/s3/ apprendre-a-apprendre 2 .pdf

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