L'arbre de Jessé avec la Vierge et ses parents: création et contenu dogmatique
L'arbre de Jessé avec la Vierge et ses parents: création et contenu dogmatique d' une icône d' Emmanuel Tzanès à l' Institut hellénique de Venise Irini LEONTAKIANAKOU Περίοδος Δ', Τόμος ΚΘ' (2008)• Σελ. 159-168 ΑΘΗΝΑ 2008 Irini Leontakìanakou L'ARBRE DE JESSE AVEC LA VIERGE ET SES PARENTS : CRÉATION ET CONTENU DOGMATIQUE D'UNE ICÔNE D'EMMANUEL TZANÈS À L'INSTITUT HELLÉNIQUE DE VENISE J_-4 icône de l'Arbre de Jessé avec la Vierge et ses parents (Fig. 1), peinte par Emmanuel Tzanès en 1644, et actuelle- ment conservée à l'Institut hellénique de Venise, est bien connue dans la bibliographie1. Son intérêt réside dans son originalité car elle révèle les voies de la création picturale à la fin de l'Ecole Cretoise et les modes permettant d'illustrer les aspects essentiels du dogme. En outre, elle met en évidence les caractéristiques les plus créatives de l'art de Tzanès. Cette composition, de grandes dimensions2, exceptionnelle dans son iconographie d'ensemble, associe deux sujets dis- tincts3 : l'Arbre de Jessé réduit à ses éléments essentiels et la Vierge enfant accompagnée de ses parents. L'Arbre prend racine dans le flanc de l'ancêtre qui est un vieillard couché, la tête posée sur la main droite. Au sommet de l'Arbre se tient de face la Vierge fillette, flanquée de ses parents. An- ne, à gauche, et Joachim, à droite, figurés de trois quarts, leurs visages creusés de rides, se penchent vers leur fille en lui donnant la main. La mère de Marie la tient aussi par les épaules dans un geste de tendresse. À l'arrière-plan, de part et d'autre, se dressent deux architectures renaissantes. Sur le balcon de celle de gauche le prophète David en tenue royale, rendu à échelle réduite, tend son bras gauche en avant vers Marie et lui adresse ses propos écrits sur le rou- leau qu'il brandit de l'autre main. De manière analogue, au registre céleste, deux anges, disposés symétriquement, leurs mouvements expressifs soulignés par leurs himatia flottant, apparaissent dans des nuées, et adressent aux parents de la Vierge des amples gestes rhétoriques et des paroles écrites sur des phylactères déployés. En partie dissimulés par les nuées, des rayons lumineux émanent d'un segment du ciel vers Marie. L'échelle variée des personnages, par ordre décroissant, se présente ainsi : Joachim et Anne de taille monumentale, puis Marie enfant, Jessé, les anges, enfin David qui apparaît tout petit. La facture n'échappe pas à cette hétérogénéité. Les figures de Joachim, d'Anne et de Jessé sont traitées le style le plus austère de la tradition post-byzantine, d'après le modelé des visages, le traitement schématique des draperies et les attitudes figées. En revanche, Marie se distingue par le modelé doux des carnations, le rendu souple des draperies surtout à l'intérieur du maphorion, la splendeur des vête- ments qui tranchent avec sa tenue habituelle. Si Jessé, Joa- chim et Anne se tiennent sur le sol parsemé de fleurs et de plantes variées, Marie se détache exclusivement sur le fond d'or qui occupe la partie médiane et supérieure de la com- position. Ses vêtements luxueux révèlent sa prééminence parmi les autres personnages, habillés de façon traditionnel- le avec chiton, himation et maphorion monochrome pour Anne. Le maphorion de la Vierge est doublé d'un brocart italien orné de motifs floraux raffinées et ses souliers sont brodés d'arabesques dorées. Son visage et ses petites mains charnues, évoquent ceux d'un enfant, contrairement à la pratique léguée de l'art byzantin qui fait des enfants, des adultes à échelle réduite. En effet, la figure de Marie, nimbée d'une auréole de chéru- bins, témoigne de nombreux emprunts à la peinture occiden- tale. Il est vrai que dans le milieu artistique de l'Ecole Cretoi- se la coexistence de ces deux styles - byzantinisant et occi- 1 Elle a fait l'objet d'une analyse minutieuse (N. B. Drandakis, Ό Εμ μανουήλ Τζάνε Μπουνιαλής θεωρούμενος εξ εικόνων του σωζόμε νων κυρίως εν Βενετία, Athènes 1962,24-33) et d'une présentation dé- taillée (M. Chatzidakis, Icônes de Saint-Georges des Grecs et de la collec- tion de l'Institut, Venise 1962,130, n° 107, pi. 69). Toutefois plusieurs as- pects que nous allons examiner (concernant les sources d'inspirations, le contenu dogmatique et les procédés créatifs de Tzanès) n'avaient pas été, jusqu'ici, abordés. 2 184x126,5 cm. 3 Comme l'a déjà signalé Chatzidakis (op.cit.). 159 IRINI LEONTAKIANAKOU dentalisant - dans la même icône ne saurait surprendre. Néanmoins, dans la production iconographique de Tzanès, lorsqu'il y a une divergence de style, le personnage le plus sa- cré revêt l'aspect « byzantinisant »4, comme le prouve l'en- semble tardif des « Cinq scènes de Venise »5, où le Sauveur est toujours rendu selon la technique « traditionnelle » la plus austère contrairement aux autres personnages6. L'icône examinée fait preuve d'un renversement de cette situation. La diversité stylistique et la divergence de l'échelle mènent à une composition « fragmentée ». Cet effet esthétique est mis en évidence par la figure de Jessé qui masque le bout infé- rieur de l'Arbre, tout en étant elle-même dissimulée dans sa partie inférieure, par le cadre de l'icône. Comme le prou- vent Jessé et son Arbre qui occupent différents plans succes- sifs, il n'y a pas de cohérence spatiale, alors que les quelques rapports entre les personnages sont totalement dépourvus de naturel. Ainsi, les mains de la Vierge et de sa mère ont beau se toucher, ils ne donnent pas pour autant l'impression d'un véritable geste physique -se tenir par la main. À l'opposé de tout procédé narratif, cette hétérogénéité té- moigne d'un traitement conventionnel, propre aux icônes cultuelles caractérisées par une « intemporalité ». Cette ap- proche esthétique est également mise en évidence par l'axia- lité accentuée et la symétrie qui régit l'agencement des fi- gures et des motifs. Deux parents, deux anges, deux bâti- ments sont disposés de part et d'autre de l'axe central sur lequel s'alignent une série d'éléments de première impor- tance : la figure de la Vierge et le tronc de l'Arbre ; et dans la partie supérieure : le faisceau lumineux entre les nuages et le petit chérubin central parmi ceux qui entourent la tête de la Vierge. Les schémas en chiasme contribuent à la mise en valeur de l'axe où les diagonales se croisent. Ainsi, par ses gestes et son phylactère, l'ange de gauche s'adresse à Joa- chim, et l'ange de droite, à Anne, un rapport entre des per- sonnages de mondes différents. 4 Ce procédé est attesté aussi dans d'autres icônes de l'École Cretoise. Ainsi une divergence de style caractérise le Christ et Marie Madeleine dans des icônes du Noli me tangere (A. Kalliga-Geroulanou, « Ή σκηνή τοΰ Μή μου 'Άπτου όπως εμφανίζεται σέ βυζαντινά μνημεία καί ή μορφή που παίρνει τόν 16ο αιώνα », ΔΧΑΕ Γ' (1962-1963), 203-227). 5 Par cette appellation nous allons nous référer à l'ensemble des cinq icônes de l'Institut hellénique de Venise qui représentent : la Samaritaine, la Guérison de l'Aveugle-né, la Guérison du Paralytique de Bethésda, l'In- crédulité de Thomas et l'Apparition aux Myrrophores (Drandakis, op.cit., 78-84,87-94,100-106,127-142. Chatzidakis, op.cit., nos 115-119). 6 Ainsi le Paralytique de Bethésda ou la Samaritaine sont inspirés de gravures occidentales, Ν. B. Drandakis, « Συμπληρωματικά εις τόν La palette, d'un ordre différent du langage formel, vient compenser l'hétérogéinité de l'échelle et du style7. Notre icône est presque exclusivement traitée en une trichromie de vert, rouge et or. Ces couleurs alternent souvent souli- gnant, elles aussi, des schémas en chiasme. Les bâtiments, par exemple, celui de droite en monochromie de rouge, ce- lui de gauche en monochromie de vert, se conjuguent entre eux par un élément architectural qui fait partie de leur toit (comble à lucarne, mansarde) de couleur complémentaire à celle du corps principal. Cette même cadence chromatique régit les vêtements de tous les personnages. À titre indicatif, signalons que le rouge vif du maphorion d'Anne se répète sur la tunique de David, celle de Jessé et l'himation de l'ange de gauche, alors que le vert sombre de la tunique d'Anne trouve un écho dans celle de Joachim et de l'ange de droite, le chiton de Jessé et le manteau de David. La combinaison des trois couleurs détermine le coloris de motifs aussi divers que les fleurs du sol, les ailes des anges, les cercles concen- triques des segments lumineux, le ruban et la couronne de David, ornés de pierreries. Des reflets étendus en vert re- haussent les tuniques pourpres de la Vierge et de l'ange de gauche. Ce procédé pictural dépourvu du moindre souci na- turaliste, fondé exclusivement sur le contraste des couleurs complémentaires, confère à la composition de l'éclat et un aspect décoratif, tout en unifiant l'espace. Nous allons examiner maintenant les éléments particuliers de cette image composite afin d'en saisir la signification. L'allure de Marie, son expression mélancolique, son éléva- tion sur l'Arbre et sa posture (les deux mains écartées, tête inclinée) interdisent d'emblée d'y voir une scène narrative, un épisode de son enfance, tel que les « Caresses », les « Sept premiers pas » ou de la « Conversation de Joachim et Anne »8. L'absence de narration que souligne la disposition hié- ratique des deux parents uploads/s3/ arborele-lui-iesei.pdf
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- Publié le Dec 09, 2021
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