Béatrice Lamiroy Le français de Belgique et les locutions verbales figées In: R
Béatrice Lamiroy Le français de Belgique et les locutions verbales figées In: Revue belge de philologie et d'histoire. Tome 84 fasc. 3, 2006. Langues et littératures modernes - Moderne taal en litterkunde. pp. 829-844. Citer ce document / Cite this document : Lamiroy Béatrice. Le français de Belgique et les locutions verbales figées. In: Revue belge de philologie et d'histoire. Tome 84 fasc. 3, 2006. Langues et littératures modernes - Moderne taal en litterkunde. pp. 829-844. doi : 10.3406/rbph.2006.5046 http://www.persee.fr/web/revues/home/prescript/article/rbph_0035-0818_2006_num_84_3_5046 Le français de Belgique et les locutions verbales figées Béatrice Lamiroy 1. Introduction Je dédie d'autant plus volontiers cet article au Professeur André Goosse qu'il a été associé au début des travaux que j'ai entrepris il y a une quinzaine d'années avec Jean René Klein et Jean-Marie Pierret, deux de ses disciples, sur les locutions figées « belges ». Cette recherche s'est faite au départ en collaboration avec le regretté Maurice Gross, alors directeur du ladl (Laboratoire d'Automatique Documentaire et Linguistique, Paris 7). Maurice Gross avait une grande estime pour André Goosse et entretenait avec lui des rapports chaleureux et amicaux. Le projet appelé BFQS consacré aux locutions figées de la francophonie dont il sera question ici est issu de ces premiers contacts (e.a. Goosse : 1992b et 1995) et n'aurait sans doute pas vu le jour sans l'apport de ces deux grands linguistes. 2. Les locutions figées II suffit d'observer les sujets de colloques — tenus notamment à Fontenay Saint-Cloud (Martins-Baltar : 1997), à Pau (Tollis : 2001), à Louvain-la-Neuve (septembre 2005) ou annoncés (Palerme en 2006) — et de consulter la littérature scientifique — francophone (e.a. Gonzalez Rey : 2002, G. Gross : 1996, M. Gross : 1982 et 1988, Klein : [à paraître], Klein et Lamiroy : 1995 et [à paraître], Lamiroy : 2003, Mejri : 2003, Svensson : 2004) ou anglophone (e.a. Everaert : 1995, Hunston and Francis : 2000, Nunberg et al. : 1994, Wray : 2002) — pour se convaincre de l'intérêt que suscitent actuellement les locutions figées. L'époque du clivage absolu entre lexique et syntaxe, où la syntaxe était considérée (avec la phonologie) comme la composante prestigieuse au détriment du lexique semble en effet bien révolu. Le lexique, défini depuis Bloomfield comme « locus » des irrégularités linguistiques, n'est plus « mis de côté », « moved away » (Sinclair : 2005). Plusieurs facteurs ont pu jouer un rôle décisif dans cette évolution. Un premier facteur, de taille, est l'ampleur qu'a prise la recherche sur les expressions figées dans le domaine du traitement automatique du langage. Et cela pour deux raisons. D'une part, le fait de travailler avec de grands corpus a mis en évidence que l'étude des séquences figées est incontournable, étant donné leur fréquence (M. Gross : 1988). Senellart (1998) avait trouvé sur un corpus d'un million de mots pas moins de 28 760 locutions figées, autrement dit une expression figée pour trois phrases. L'analyse d'un article d'une demi-page choisi au hasard dans le Soir (3.1 1.2005) confirme largement cette proportion puisqu'elle 830 BÉATRICE LAMIROY fournit 29 locutions verbales figées (plus un proverbe) sur un ensemble de 45 phrases (voir Annexe). D'autre part, les spécialistes qui se consacrent au traitement automatique du langage naturel sont unanimes pour dire que les deux grandes pierres d'achoppement de l'analyse (et de la traduction) automatiques sont la polysémie et les unités polylexicales, les deux posant de manière différente le même problème épineux du sens. Un deuxième facteur, relevant lui aussi de la linguistique appliquée, est l'importance qu'on a vu accorder récemment à l'enseignement des langues modernes, le français en l'occurrence, aux allophones. Il est évident que les locutions verbales, qui sont d'autant plus difficiles à acquérir par l'apprenant que leur sens est souvent opaque, jouent un rôle crucial dans ce domaine. Traditionnellement reléguées dans les manuels avec le reste du vocabulaire, et souvent mentionnées de façon aléatoire (De Bal : 2004), les locutions reçoivent dans plusieurs projets didactiques actuels la place primordiale qu'elles méritent (e.a. Binon et al. : 2005, Giermak-Zielinsk : 2000). Comme dans d'autres disciplines (x), l'intérêt pour les séquences figées dans les secteurs appliqués de la linguistique semble avoir alimenté un nouveau débat théorique qui passionne autant les linguistes que les psychologues cognitivistes (e.a. Gibbs : 1995, Tomasello : 1998). Si les expressions figées suscitent toute sorte de questions sur l'histoire de la langue (les expressions contiennent, c'est bien connu, des mots fossiles tels maille, lie, etc.), sur la syntaxe (il s'agit d'une combinatoire restreinte, mais combinatoire tout de même), sur la sémantique (le sens non compositionnel des expressions étant généralement considéré comme leur trait définitoire) et même sur la pragmatique (certaines expressions telles ça va pas la tête ? ou ça s'arrose ! n'ont guère de sens en dehors de leur utilisation en discours), on voit aisément les questions de mémorisation et d'apprentissage (même en langue maternelle) que ces « blocs de mots » peuvent poser aux psycholinguistes. 3. Les expressions verbales figées de la francophonie: le projet BFQS Ce projet, auquel collaborent actuellement Jean René Klein (Université Catholique de Louvain), Jacques Labelle (Université du Québec à Montréal), Christian Leclère (CNRS, Université de Marne-la- Vallée), Annie Meunier (Université de Paris 8) et Corinne Rossari (Université de Fribourg), a été conçu à partir des travaux du « lexique-grammaire », établi au LADL (Laboratoire d'Automatique Documentaire et Linguistique) par Maurice Gross. Ce modèle, rappelons-le, s'applique à décrire l'ensemble des types de phrases en fonction des (1) En médecine on parle d'une ingénierie inversée lorsque le fait d'administrer un médicament avec succès contribue à faire progresser la connaissance théorique d'une maladie. LE FRANÇAIS DE BELGIQUE ET LES LOCUTIONS VERBALES FIGÉES 83 1 items lexicaux qui conditionnent leur syntaxe (Lamiroy : 1998). Cette vaste recherche, consacrée au départ à la classification des constructions françaises à verbe simple (Boons, Guillet et Leclère : 1976, M. Gross : 1975, Guillet et Leclère : 1992), a été complétée depuis les années 80 par l'étude, malheureu sement non publiée, de milliers de combinaisons verbales considérées comme figées (M. Gross : 1982 et 1988). L'ensemble des expressions répertoriées par M. Gross appartiennent au « français de France ». Le projet B(elgique)F(France)Q(Québec)S(Suisse) propose d'élargir la description à une grande partie de la francophonie (2). Les variantes géographiques du français, le plus souvent décrites de façon sporadique tant dans les dictionnaires que dans les ouvrages spécialisés, font ici l'objet d'un inventaire et d'un classement systématiques qui s'inspirent du modèle conçu au départ pour les expressions appartenant au français central. Pour recenser les expressions, nous avons suivi une double démarche. Nous avons commencé par séparer, à partir de la liste de 44 000 expressions figées établie par M. Gross, les expressions communes à toutes les variétés (notées BQFS) de celles qui ne le sont pas. La grande majorité des expressions sont, en effet, connues à travers les quatre variétés et constituent le véritable tronc commun des expressions figées du français. Les estimations faites à partir du travail réalisé jusqu'à maintenant laissent supposer qu'il s'agit de 75 à 80% des expressions. En voici quelques exemples : (1) a. Luc est au septième ciel b. Max est allé un peu vite en besogne c. Ce sac m'a coûté les yeux de la tête d. Le travail lui casse les pieds Dans la même liste de départ, nous avons identifié les expressions qui ressortissent soit au français uniquement soit à plusieurs variétés, sans être communes à toutes, par ex. : (2) a. Ces gens-là pètent dans la soie (F) "être très riche" b. Il Y aurait bouffé tout cru (BFS) "s'adresser à qq d'un air menaçant" c. Léa a attrapé mal (FQ) "attraper un refroidissement" Dans un deuxième moment, les équipes belge, québécoise et suisse ont établi chacune une liste aussi complète que possible des expressions propres à leur communauté linguistique. Toutes sortes de sources ont été exploitées : répertoires publiés (par ex. Bal et al. : 1994, Delcourt : 1998 et 1999, Massion : 1987 pour le français de Belgique), journaux, littérature régionale, langage parlé, moteurs de recherche (Google), etc. (2) Le travail n'inclut pas le français d'Afrique ni celui des DOM-TOM. 832 BÉATRICE LAMIROY Ainsi on trouve pour l'expression commune coûter les yeux de la tête un équivalent dans chacune des variantes: (3) a. Cette voiture coûte les yeux de la tête (BFQS) b. Cette voiture coûte un os / un pont (B) c. Cette voiture coûte bonbon (F) d. Cette voiture coûte un bras (Q) e. Cette voiture coûte le lard du chat / un saladier (S) Les données rassemblées ont donc fourni des belgicismes, des francismes, des helvétismes et des québécismes qui ont été ajoutés au corpus initial. Ces expressions, illustrées sous (3) ont ensuite été comparées systématiquement, chaque équipe portant un jugement sur la vitalité de ces expressions dans leur propre domaine géographique. Ce travail fournit de nouvelles intersections, par ex. (4) a. attendre de midi à quatorze heures (QS) "attendre longtemps" b. avoir encore qqc de bon (BS) "avoir encore droit à qqc" II va de soi que les jugements, uploads/s3/ article-rbph-0035-0818-2006-num-84-3-5046-pdf.pdf
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- Publié le Jul 15, 2022
- Catégorie Creative Arts / Ar...
- Langue French
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