Dans Sémiotique n° 16, juin 1999. Didier Érudition, Paris, pp. 143-166 1 ICONIC
Dans Sémiotique n° 16, juin 1999. Didier Érudition, Paris, pp. 143-166 1 ICONICITE DES LANGUES DES SIGNES ET CATEGORISATIONS Christian Cuxac Ivani Fusellier-Souza1 Marie-Anne Sallandre Université de Paris 8 – UMR 7023 Abstract The iconicity prevalent in sign languages appeared to reflect a relevant device in the analysis of the entities categorization in the real world. The sign creation of isolated deaf children and adults corroborate, when the need to communicate exists, the inherent predisposition human to categorize. The creation mechanisms are rooted in the perceptive-practical environment and an iconic process of the experience articulates them. Through this process, we can predict the existence of a bifurcation into two different iconic intents in the structure of institutionalized sign languages. On the one hand, the iconic intent, characterized by the specificity of the meaning, allows a range of meaningful choice in the iconic large structure activated by the transfer's organizations. On the other hand, the categorization without iconic intent concerning the standard signs formation, spreads out through the generality of the meaning, furthermore the iconicity established in the discrete unites are preserved. Résumé L'iconicité attestée dans toutes les langues des signes s'avère être un dispositif pertinent dans l'analyse de la catégorisation des entités du monde réel. Les créations gestuelles des sourds isolés sont la preuve tangible d'une prédisposition humaine à catégoriser lorsqu'il y a besoin communicationnel. Le mécanisme de création est ancré dans un univers perceptivo-pratique et s'articule au moyen d'un processus d'iconicisation de l'expérience. À partir de celui-ci, on fait l'hypothèse d'une bifurcation des visées pour les langues des signes institutionnalisées. D'une part, la visée iconicisatrice, qui touche la spécificité, permet un “feuilletage” du sens dans les structures de grande iconicité, mis en évidence par les processus de transferts. D'autre part, la catégorisation sans visée, concernant de la formation des signes standards, tend vers la généricité tout en conservant l'iconicité des unités discrètes. 1 Université Paris 8. ivani.fusellier@wanadoo.fr (Adresse personnelle : 97, Bd Soult – 75012 – Paris) Dans Sémiotique n° 16, juin 1999. Didier Érudition, Paris, pp. 143-166 2 Introduction Dès la fin des années 70, le problème lié aux catégorisations dans les langues des signes a commencé à intéresser les chercheurs. C’est ainsi que, s’inspirant des travaux de E. Rosch sur la sémantique des prototypes, Newport et Bellugi (1979) faisaient état de constructions catégorisantes tout à fait originales en ASL (la langue des signes des sourds des Etats-Unis). Il ressortait entre autres de ces recherches qu’une accumulation de signes gestuels de catégories dites du “niveau de base” permettaient, selon certaines conditions, d’exprimer des super catégories, comme “meubles”, “légumes”, “bijoux”. etc... Ce phénomène s’avérait d’autant plus intéressant que dans les autres langues des signes à histoire institutionnelle longue (langue des signes française, italienne. espagnole. anglaise, etc...) ce même procédé était aussi à l’œuvre. Toutefois, ces premières recherches se sont surtout focalisées sur les catégorisations nominales. D’autre part, ne prenant pas en compte certaines structures, considérées à tort comme pantomimiques (donc non véritablement linguistiques), ces études déniaient à l’iconicité des langues des signes la possibilité d’être une entrée pertinente pour en comprendre le fonctionnement. Vingt ans après, nous n’en sommes plus là, et ce sont sur ces problèmes, alors non abordés, que nous allons centrer notre attention. 1. La création gestuelle des individus sourds en situation d’isolement - un témoignage tangible de la prédisposition humaine à conceptualiser et à catégoriser le monde réel 1.1. Création de lexiques gestuels par des enfants sourds en milieu entendant. L’analyse des systèmes gestuels de communication produits par des enfants et des adultes sourds vivant exclusivement dans le milieu entendant sans contact direct ni avec d’autres sourds ni avec un système d’éducation spécialisée peut nous apporter des éléments éclairants sur l’aptitude humaine au langage. En effet, les enfants nés sourds dans un environnement exclusivement entendant présentent le cas de figure unique d’êtres humains placés dans une situation où ils ne bénéficient d’aucune sollicitation linguistique (verbale) et où, avec des capacités intellectuelles normales, ils ne peuvent mettre en œuvre les processus d’acquisition normaux d’une première langue orale. Dans Sémiotique n° 16, juin 1999. Didier Érudition, Paris, pp. 143-166 3 Lorsqu’un enfant naît sourd au sein d’une famille entendante, il est, au départ, privé d’un apprentissage naturel de la langue orale des parents. Néanmoins, possédant toutes les facultés cognitives normales, l’enfant manifeste, à l’âge de l’acquisition d’une langue, le besoin de communiquer avec son entourage. A partir de cette intention sémiotique, l’enfant commence naturellement à s’exprimer au moyen de gestes. Si les parents n’interdisent pas cette création gestuelle, la production des signes évoluera alors vers la structure linguistique primaire d’une langue des signes. La psychologue américaine Susan Goldin-Meadow a mené plusieurs recherches sur la production gestuelle d’enfants sourds vivant dans des familles entendantes. Selon Goldin-Meadow (1991), au fur et à mesure qui l’enfant sourd produit des gestes, dans le but de faciliter la compréhension de l’interlocuteur, son système gestuel passe par différentes étapes de développement. L’évolution des signes créés et utilisés quotidiennement aboutit alors à un système spontané gestuel linguistiquement organisé possédant plusieurs fonctions présentes dans le langage des enfants entendants ou bien dans la langue des signes acquise par des enfants sourds nés de parents sourds. A travers cette évolution, la production gestuelle des enfants sourds se distingue nettement des séquences gestuelles produites par leurs parents entendants. En effet, les gestes utilisés par ces derniers dans le but de communiquer avec leur enfant sourd, sont entièrement liés à la langue orale. Le même auteur évoque au moins deux facteurs qui contribuent potentiellement à la création d’un système linguistique au moyen de structures iconiques par les enfants sourds issus des familles entendantes la ressemblance existant entre le signe et le référent et la modalité manuelle du langage qui permet la représentation iconique des objets du monde réel. D’autre part, Goldin-Meadow postule que dans la formation des signes, l’iconicité peut ne pas faciliter la conceptualisation chez l’enfant sourd de parents sourds qui acquiert sa langue maternelle des signes naturellement, comme les enfants entendants acquièrent la langue orale de leurs parents. En effet, ces enfants commencent à catégoriser le monde réel au moyen d’unités discrètes sans établir un lien entre le signe et le référent désigné. Néanmoins, lorsqu’il ne s’agît plus d’acquisition naturelle mais d’un création gestuelle spontanée par des individus sourds isolés au sein de communautés entendantes, la reprise de caractéristiques iconiques du référent se révèle une stratégie efficace dans la catégorisation du monde extérieur. Dans Sémiotique n° 16, juin 1999. Didier Érudition, Paris, pp. 143-166 4 Lorsque les parents se préoccupent du développement cognitif et linguistique de leur enfant, ou bien lorsqu’ils ne considèrent pas la surdité comme un handicap. un système gestuel peut s’établir efficacement entre l’enfant sourd et la famille. A partir du contact entre le système gestuel des enfants sourds et celui des gestes produits par les familiers, un code commun se stabilise en donnant naissance à ce qu’on peut définir comme un “familiolecte” qui sera la base d’une proto-langue des signes. Le développement de ce système gestuel dépendra de l’intensité de la relation entre l’enfant sourd et son entourage. 1.2. La création et l’élargissement du lexique chez des adultes sourds en situation d’isolement Hors système d’éducation spécialisé, et sans rencontrer d’autres sourds pratiquant une langue des signes, qu’en est-il des relations communicationnelles de sourds adultes avec leur entourage? De rares chercheurs se sont penchés sur ce problème où l’observation des faits, antérieurement à toute anticipation théorique, est capitale. C’est ce qu’a fait, par exemple, Y au (1992) en collectant de nombreuses données sur la constitution de langages (en particulier de lexiques) gestuels chez des personnes sourdes adultes isolées. De ses recherches, il ressort qu’il existe une différence importante entre la création gestuelle de l’enfant sourd issu de famille entendante et celle des adultes sourds isolés. En effet, lorsque la personne sourde devient adulte, il est normal que ses sujets de conversation commencent à varier au fur et à mesure qu’elle rencontre de nouveaux interlocuteurs. Face à différentes situations, la personne sourde prend conscience des difficultés dans la compréhension d’autrui et se sent responsable dans la tâche de faciliter le décodage de ses gestes à ses interlocuteurs. Un tel effort de la part du créateur des gestes est possible grâce à la maturation de ses capacités cognitives. Ainsi, “un enfant sourd ne peut pas commencer à créer des lexies à partir de séquences lexicales élaborées. Par contre, il peut compter sur l’effort et la patience de ses parents et de ses pairs pour interpréter les lexies monogestuelles qu’il crée même si la signification de celle-ci n’est pas très “transparente” (Yau, 1992, p. 191). Le même auteur a montré que les signes gestuels créés par des sourds isolés possèdent les mêmes paramètres de formation présents dans les langues des signes conventionnelles. La Dans Sémiotique n° 16, juin 1999. Didier Érudition, Paris, pp. 143-166 5 création spontanée des signes est gouvernée par ce qu’il appelle des “contraintes cognito- perceptives visuelles”. Yau fait d’autre part l’hypothèse que la création d’un signe passe au moins par trois étapes uploads/s3/ article-semiotiques.pdf
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- Publié le Jui 01, 2022
- Catégorie Creative Arts / Ar...
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