VI Des modes d’existence du premier musée numérique de .(La société de conserva
VI Des modes d’existence du premier musée numérique de .(La société de conservation du présent) 1 André Éric Létourneau I. .(LA COPIE, EN RELATION AVEC SON MILIEU ASSOCIÉ, PEUT DEVENIR UN ORIGINAL) 2 Premier musée « virtuel » au monde, accessible en permanence par le biais d’un système hypertexte, le « Musée Standard 3 », du collectif montréalais .(La société de conservation du présent), se développe de 1989 à 1993, à travers le réseau canadien Alextel™ de Bell Canada. En utilisant un terminal ou un modem, le visiteur peut virtuellement se « déplacer » dans ce « musée » constitué d’une succession de « salles thématiques », où se présentent des pages comportant du texte et de l’image, codés et décodés par un service Vidéotex et le protocole NAPLPS (North American Presentation-Level-Protocol Syntax). Le Musée 1. Le texte qui suit s’est construit à partir de l’analyse des archives du collectif .(La société de conservation du présent) ou la .(SCP) et d’une série d’entretiens réalisée entre le 3 octobre et le 12 décembre 2012 avec Alain Bergeron, Philippe Bézy, Jean-Marie Lafortune, Alain-Napoléon Moffat et Gilles Bertrand, et en janvier 2019 avec l’un des trois membres de la .(SCP), Joseph Jean Rolland Dubé, et l’artiste française Claire Dehove de WOS/Agence des hypothèses. 2. La copie considérée comme un original était l’un des axes de recherche du collectif .(La société de conservation du présent). À l’instar de l’un des slogans de la .(SCP), « Copyright – Copiez correctement », j’ai ici copié et adapté une citation de mon texte d’introduction au chapitre « Musée standard, culture légitime ? » tiré de l’ouvrage .(La société de conservation du présent) (1985-1994). D’ailleurs, ceux qui viendront après ne s’en souviendront pas non plus, sous la direction de Sonia Pelletier, en collaboration avec Michel Lefebvre et Bernard Schütze, 2013. 3. Ce projet de « Musée Standard » s’inscrit dans les axes de recherche de la .(SCP) : l’art de la promesse, le principe d’archive et le désœuvrement. 9791037002136_txt.indd 77 23/07/2019 15:44 78 Arts contemporain, des nouveaux médias et du son Standard, avec des « salles » créées par le trio d’artistes de la .(SCP) (Philippe Côté, Jean Dubé et Alain Bergeron), comprenait notamment : – La Folioteuse, une « salle » qui documente l’usage d’un tampon encreur servant à numéroter des objets et des documents pour fin d’archivage. – Les icônes, « une salle » aussi intitulée Notre Médium : Le Système, une proposition poétique et subversive de l’usage des pictogrammes qui représentent habituellement des fichiers ou des logiciels sur les ordinateurs domestiques. – La Betterave, une ivresse audiovisuelle parodiant les débats qui font rage dans le milieu des arts visuels québécois, au début des années quantre-vingt-dix. – Les Croûtes, un générateur aléatoire de tableaux formalistes. Outre les « visiteurs » qui accèdent aux serveurs de la .(SCP), des usagers sont invités à co-créer des « salles » avec les membres du collectif et à développer ainsi la collection du Musée Standard (figure 1) : – La Calembredaine, un générateur de poésie aléatoire inspiré par la grammaire générative chomskienne, réalisé par Myriam Cliche en collaboration avec Michel Lefebvre. – Ti-Pop, une « salle » co-créée par Alain-Napoléon Moffat sur le mouvement artistique éponyme québécois des années soixante. – Les Mayas, une « salle » à caractère ethnographique co-créée par Philippe Bézy. – Toujours en collaboration avec Philippe Bézy, Une histoire de son, « salle » portant sur la musique expérimentale du xxe siècle. – Ti-Joseph Bouc, un conte en texte et en image de Myriam Cliche. – Par où le conte est stable, un conte moral d’inspiration taoïste par Jean-Marie Lafortune. – Télécolart, une « salle » présentant des dessins produits par des d’enfants âgés de 10 à 11 ans et réalisés avec un ordinateur et le logiciel TamTam 2.0 créé par Alain Bergeron. – Une autre « salle », baptisée Les commentaires 4, permettait aux usagers de partager leurs impressions et d’y enregistrer différentes informations. Bien que la forme proposée pour les « salles » Ti-Pop, Une histoire de son et Les Mayas puisse rappeler celle des espaces thématiques d’un 4. « La “cafétéria” du Musée Standard », selon Alain Bergeron, entretien décembre 2012. 9791037002136_txt.indd 78 23/07/2019 15:44 Des modes d’existence du premier musée numérique 79 musée traditionnel, les artéfacts y sont présentés de manière non-chrono- logique par une succession d’informations dont l’organisation est éloignée des modèles traditionnels de la muséologie. * La genèse du Musée Standard se retrouve dans un grand nombre de projets réalisés par la .(SCP) tout au long des années quatre-vingt ; le « Musée Temps Horaire », une activité ouverte à tous, qui se déroulait hebdomadairement dans les quartiers généraux de la .(SCP) à Montréal, interrogeait déjà la notion d’organisation d’archives et les modes de présentation des œuvres généralement promus par la muséologie. Des « worshops » permettaient aux participants d’explorer des outils, physiques et numériques, pour réaliser différents projets de co-création. Dès ces débuts, la .(SCP) dissémine des petites cartes, des pamphlets et des prospectus proposant des slogans, le plus souvent sertis de calembours « grotesques » ou « délirants », qui pouvaient tout autant évoquer la pensée de Derrida sur l’anarchive, selon Dubé 5, que le mouvement québécois Ti-Pop ou « Diderot-Québec » 6. 5. Entretien avec Joseph Jean Rolland Dubé, janvier 2019. 6. Calembour pour « d’Hydro-Québec », société d’État qui se développe dans la foulée de la nationalisation des compagnies d’électricité par René Lévesque en 1963. Fig. 1. Entrée du musée, copie d’écran. © (« Copiez correctement ») : .(La société de conservation du présent) 9791037002136_txt.indd 79 23/07/2019 15:44 80 Arts contemporain, des nouveaux médias et du son * En plus d’archiver des objets du quotidien, la .(SCP) attribuait un numéro d’archive aux gestes ou aux œuvres, créés par le collectif et ses collaborateurs, en les tamponnant avec la « La Folioteuse ». Défendant la position que toute idée, quelle qu’elle soit, s’inscrivait de facto dans le mouvement transductif de la vie, comme la création de plusieurs individus, rappelle Dubé 7, les manifestes de la .(SCP) de cette époque revendiquent déjà toute copie comme un « original » et le droit de qualifier tout « original » de « copie », évoquant ainsi un processus d’« anarchive ». Selon Jean Birnbaum, l’anarchive, permet en effet de : conjuguer mémoire historique et urgence de ce qui vient. Pour désigner cette archive vouée à l’avenir, tout à la fois intempestive et explosive, le philosophe Jacques Derrida inventa un mot […] : l’anarchive 8. Ainsi, toute archive recèle un devenir, un potentiel, un « art de la promesse » que la .(SCP) revendique non seulement comme l’un de ses principes fondateurs, mais qu’elle traduit en anglais par « pro-mess art 9 », pour mettre l’accent sur l’organicité, le chaos, le foisonnement de l’archive. Dès les premiers manifestes de la .(SCP), vers 1985, on [entendait] le principe d’archive [comme] indissociable de l’art de la promesse. Art de la promesse traduit par « pro-mess », donc de façon « anarchique » 10. Dès ses débuts, et tout au long des années quatre-vingt, souligne Dubé, la .(SCP) réalise également des actions géotransgressives au sein des espaces publics ou institutionnels : La .(SCP) telle qu’elle fut à l’époque serait impossible aujourd’hui. Je m’explique. […] Par exemple, la fois où nous nous étions rendus au Musée d’art contemporain [de Montréal] et que nous avions imprimé Ce calembour questionne, de manière poétique, les problématiques relatives à la pensée des Lumières et à l’usage de la technique. 7. Entretien avec Joseph Jean Rolland Dubé, janvier 2019. 8. Birnbaum, Jean, « Le goût de l’anarchive », Le Monde des livres, <https://www. lemonde.fr/livres/article/2012/10/18/le-gout-de-l-anarchive_1777054_3260.html>, consulté le 11 octobre 2018. 9. Entretien avec Joseph Jean Rolland Dubé, janvier 2019. 10. Ibidem. 9791037002136_txt.indd 80 23/07/2019 15:44 Des modes d’existence du premier musée numérique 81 le mot « copie » avec un numéro d’archive avec le tampon encreur, sur une œuvre de General Idea. […] Le mot « copie » et le numéro d’archive avaient été placés sur le cadre (de l’œuvre). […] À l’époque, la résultante avait été un coup de téléphone à la .(SCP), un questionnement ardent et une véritable fureur. Mais jamais de présence policière. Le coup de téléphone à la .(SCP) […] fut suivi par un coup de téléphone [du Musée] à General Idea. […] General Idea avait alors dit au Musée […] : « Nous ne poursuivons pas la .(SCP). Laissez ces artistes tranquilles. N’en parlez pas, mais nous acceptons cette “copie” de la .(SCP) 11. » Cet exemple illustre la manière dont la .(SCP) pouvait synthé tiser, dans une même action, ses trois principes fondamentaux (l’art de la « pro-mess », l’archive et le désœuvrement). Il indique aussi la manière dont le collectif conçoit, presque avec ironie, la notion d’archive. À l’instar de l’anarchive derridienne, les artéfacts archivés pour la .(SCP) sont des matériaux en devenir perpétuel et à recréer. La .(SCP) développe ainsi sa propre conception de l’anarchive : l’archive est non seulement foisonnante, mais sujette uploads/s3/ des-modes-d-x27-existence-du-premier-muse-e-nume-rique 2 .pdf
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- Publié le Mar 23, 2022
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