Serge Lacasse 1 THÉORIE ET PRATIQUE DU PASTICHE MUSICAL : LE CAS DE L’ENTRAÎNEM

Serge Lacasse 1 THÉORIE ET PRATIQUE DU PASTICHE MUSICAL : LE CAS DE L’ENTRAÎNEMENT SPORTIF FRACTIONNÉ1 PROJET DE RECHERCHE-CRÉATION Contexte et objectifs généraux En accord avec la vision de la recherche-création proposée par Stévance et Lacasse (2013; 2018), ce projet vise deux objectifs interreliés : 1) élaborer une approche systématique de composition et de réalisation de pièces musicales conçues pour accompagner l’entraînement sportif fractionné, fondée sur la théorie du pastiche, tout en 2) questionnant les fondements théoriques du pastiche musical. La pratique du pastiche en musique, qui consiste à créer une nouvelle œuvre en imitant le style d’une époque, d’un genre musical, ou d’un compositeur, est séculaire. Cette pratique imitative, qui concerne toutes les formes d’art (Dyer 2007), remplit des fonctions tant pédagogiques qu’artistiques. Par exemple, le pastiche comme art de l’imitation stylistique joue un rôle important dans la formation musicale : « It is the prerogative of each institution to develop specific requirements regarding written, electronic, or improvisatory forms and methods. These may include […] the imitation of musical styles » (National Association of Schools of Music 2021, 102). La compositrice française Caroline Boë rappelle en outre que « le pastiche musical est en quelque sorte une tradition chez les compositeurs » (Boë 2018, [4]), comme en témoignent d’ailleurs plusieurs œuvres classiques, tel que l’« Hommage à Rameau » des Images de Debussy (1907). Dans le même article, précisément intitulé « Le pastiche musical comme interprétation critique et artistique », Boë en parle comme d’un outil méthodologique de recherche- création, le pastiche lui ayant permis d’approfondir sa réflexion théorique sur la musique de Georges Aperghis : « Ce travail de recherche-création a entrepris de recourir au pastiche parallèlement à une analyse musicologique, afin de préciser certaines caractéristiques du langage du compositeur » (Boë 2018, [1]). C’est donc en cherchant à pasticher le style d’Aperghis qu’elle a pu enrichir considérablement son analyse et sa compréhension de la musique du compositeur. Ce même recours à l’imitation propre au pastiche comme mode de réflexion et de création caractérise ce projet de composition et de réalisation de musique destinée aux entraînements sportifs fractionnés. Sur la base de la recherche effectuée à ce jour sur les rapports entre musique et sport, il s’agira de concevoir des musiques adaptées à la fois à la configuration particulière de l’entraînement fractionné ainsi qu’aux habitudes d’écoute et préférences musicales des sportifs. C’est d’ailleurs à ce dernier objectif lié aux préférences musicales que servira principalement la notion fondamentale de pastiche, de manière à concevoir des musiques qui favorisent l’engagement des sportifs dans leur activité en leur proposant un répertoire similaire à ce qu’ils écoutent habituellement; mais en même temps, il s’agira de proposer un répertoire spécifiquement conçu pour leur pratique. Ainsi, dans le prolongement de mes travaux antérieurs sur la transphonographie (Lacasse 2000; 2018) — où je n’avais abordé le pastiche que dans le cadre d’une modélisation générale —, ce projet me donnera l’occasion d’approfondir et de détailler les modalités du pastiche musical afin d’en dégager une grille d’analyse qui servira directement à la création de musiques adaptées. Par ailleurs, ce projet permettra d’approfondir les aspects créatifs et théoriques liés à la notion de pastiche entamés dans le projet de recherche-création Hits for HIIT que je mène avec Sophie Stévance (Stévance et Lacasse 2020; [2021]; [2022]). Il servira ainsi de fondement à la réalisation musicale et à une réflexion théorique complémentaires aux objectifs d’une demande que nous avons déposée en octobre 2021 au programme Savoir du CRSH. Ce projet sera réalisé avec la collaboration d’une équipe d’étudiants qui contribueront directement à l’ensemble des aspects de cette recherche-création. 1 L’usage du masculin ne vise qu’à alléger le texte. Serge Lacasse 2 État de la recherche et de la création Comme l’illustre l’imposante méta-analyse de Terry et al. (2020) — qui passe en revue 139 études —, il existe un nombre important de publications portant sur les rapports entre musique et sport, en particulier sur les avantages d’utiliser la musique pendant l’entraînement. La majorité de ces études ont clairement montré que les pratiquants étaient plus performants en écoutant de la musique (Sanchez et al. 2013), notamment parce qu’elle motive et génère des émotions positives (Petri et Quick 2011) permettant d’entrer dans le flow (Pates et al. 2003; Jabr 2013) — soit l’atteinte d’un état maximal de concentration, d’engagement et de satisfaction d’une personne dans son activité (Csíkszentmihályi 1990; 1997). Ces recherches, menées principalement en psychologie du sport, indiquent que le fait d’écouter de la musique pendant l’exercice augmente l’affect positif, réduit l’effort perçu, retarde la fatigue, améliore la motivation et permet de maintenir un rythme cardiaque élevé, rendant ainsi la pratique efficace (Stork et al. 2015; Terry et Karageorghis 2011; 2006). Bien que ces recherches témoignent de l’apport de la musique sur la pratique sportive, on en apprend peu sur les aspects musicaux spécifiques qui contribuent à cet apport, ces études n’ayant considéré que le rôle pressenti du tempo. Ainsi, selon les psychologues du sport (Hallett et Lamont 2016; Karageorghis et Priest 2008), le tempo est déterminant pour obtenir des résultats positifs lors d’un entraînement (Patania et al. 2020). Des études menées sur des coureurs ont, par ailleurs, démontré que la plupart préfèrent une musique à 120 BPM, donc un tempo moyen, plutôt qu’un tempo plus rapide (Karageorghis 2017), car le tempo moyen leur permettrait d’entrer plus aisément dans le flow. Pourtant, il semble que les pratiquants écoutent une palette assez large de styles musicaux; or les études musicologiques montrent, de leur côté, que le tempo varie grandement en fonction des genres musicaux (de 60BPM et moins à 180BPM et plus). En fait, le tempo constitue l’une des caractéristiques de l’identification d’un genre musical (par exemple, le techno hardcore présente des tempi de plus de 160BPM, parfois au-delà de 200BPM, alors que la trance music est caractérisée par des tempi oscillant entre 125 et 150BPM). Cela dit, la plupart des chansons pop présentent des tempi variant de 105 à 125 BPM avec une légère tendance à la hausse (Savage 2020). Bref, il est essentiel d’en connaître davantage sur les pratiques d’écoutes et les préférences musicales des pratiquants, ce sur quoi se penchera en partie ce projet. En effet, les études de Stork et al. (2015) et de Jones et al. (2017) ont montré les avantages ergogéniques des musiques sélectionnées par les pratiquants eux-mêmes, donc en fonction de leur propre goût, lors d’un entraînement. Ces auteurs ont toutefois reconnu les limites de leur corpus. Ce projet permettra de combler en partie ces lacunes en réalisant des musiques fondées sur l’utilisation actuelle de musique lors de l’entraînement en se basant sur les très nombreuses listes de lecture (playlists) offertes sur les différentes plateformes numériques (Spotify et Apple Music en particulier) visant à fournir un répertoire qui correspondrait aux attentes des sportifs. Il est ici important de noter que la vaste majorité de ces listes sont construites en rassemblant des pièces musicales de même tempo, mais il existe un écart important entre ces tempi d’une liste à l’autre. En outre, à part quelques rares exceptions, ces listes sont généralement constituées de musiques tirées du répertoire général de la musique populaire, laquelle n’a évidemment pas été conçue spécifiquement pour l’entraînement physique. Dans le cadre de ce projet, il s’agira donc de se fonder sur la popularité de ces listes pour 1) identifier les styles les plus appréciés (en fonction du nombre d’abonnés des listes de lecture), ce qui permettra 2) de réaliser des musiques nouvelles en accord avec ces préférences musicales, tout en étant adaptées à la pratique de l’entraînement fractionné. L’entraînement fractionné n’est évidemment pas la seule pratique sportive faisant appel à la musique : la gymnastique au sol féminine ou la nage synchronisée constituent d’autres bons exemples. Bien que les musiques utilisées soient généralement des montages de musiques existantes qui n’étaient pas conçues à l’origine pour ces pratiques, il existe certaines exceptions. À ce titre, les athlètes en patinage artistique font de plus en plus appel à des compositeurs pour réaliser des musiques spécifiquement conçues pour leur sport. L’un d’eux, Rob Colling (2018), décrit en détail son processus Serge Lacasse 3 de création et les diverses contraintes auxquelles il doit faire face lors de la réalisation de ces musiques. Ces contraintes sont en général liées au minutage très spécifique de chaque partie constituant une prestation, chacune des parties étant assujettie à son tour à la réalisation de mouvements obligatoires des patineurs, lesquels doivent être réalisés dans le contexte d’une alternance entre sections adoptant un tempo plus lent et d’autres adoptant un tempo plus rapide. Étonnamment, il n’existe pas, à ma connaissance, d’exemples semblables dans le domaine de l’entraînement fractionné, malgré l’importance accordée à la musique par ses pratiquants et ses bienfaits, et la forme très précise qu’adoptent ces entraînements. Le modèle de Hits for HIIT Dans ce contexte, la vingtaine de musiques que j’ai réalisées dans le cadre du projet Hits for HIIT adoptent toutes une structure temporelle semblable. En effet, le propre de l’entraînement fractionné (ou par intervalle), peu importe la pratique uploads/s3/ description-du-projet-lacasse.pdf

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