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2 L’enseignement colonial permit aux principes séculiers de s’enraciner dans les terres d’Islam par le biais d’une sécularisation de la gouvernance, de l’enseignement et de la pensée. dddqddddqddddddqdq Douglas Dunlop les ravages d’une éducation coloniale n contemplant le monde musulman contemporain, il est assez malaisé de concevoir l’idée que celui-ci ait connu un âge d’or et une civilisation qui, unifiée par la langue arabe et la religion, a grandement contribué à la culture et aux sciences en Europe. Les faits sont là et le musulman ne peut que dresser un bilan accablant du monde arabo-musulman où l’analphabétisme est largement répandu et le système d’éducation en ruine. En cherchant des remèdes aux maux de la Oumma, cette observation peut s’avérer salutaire, mais pas salvatrice. Des solutions réalistes et viables ne sont qu’envisageables si elles contiennent un diagnostic de la racine des problématiques contemporaines ainsi qu’une étude des facteurs qui ont mené à la destruction de l’enseignement au sein du monde islamique. Et qui dit destruction, dit très souvent colonisation… LE « GRAND REMPLACEMENT » DE VALEURS La politique du colonialisme a toujours été caractérisée par une agression idéologique perpétuée par des institutions spécialisées dans l’enseignement et l’instruction. Le colonisateur estimait que pour civiliser la « bête musulmane », il fallait réformer sa religion1, transformer sa culture et lui inculquer un 1 Voir « La France, peut-elle réformer l’Islam ? » nouveau passé. Dès lors, il fallait lui instiller une nouvelle éducation qui, à long terme, susciterait une transformation intrinsèque de sa société. Chez les musulmans, les dégâts de l’enseignement colonial devinrent immesurables. Plusieurs historiens affirment que c’est par le biais de cet enseignement que sont nés les différents types de nationalismes2 qui ont déchiqueté le monde musulman. C’est aussi par cet enseignement que les principes séculiers se sont enracinés dans les terres d’Islam : la sécularisation de la gouvernance, la sécularisation de l’enseignement et, bien plus critique, la sécularisation de la pensée et la raison humaine. L’enseignement colonial devint ainsi l’arme la plus redoutable pour anéantir les valeurs et les idéaux qu’incarne la civilisation musulmane3. Les répercussions de ce « grand remplacement de valeurs » se font sentir au Maghreb, en Afrique Noire et dans certaines régions d’Asie. Or, ce fut probablement en Égypte que le délabrement de l’enseignement a été le plus méthodique. Sous l’occupation française (1789-1801), Napoléon réussit à disloquer les structures éducationnelles4, mais seulement après avoir décapité l’université al-Azhar de ses érudits. 2 En Islam, le nationalisme est condamné au même degré que le racisme. 3 « Majm'a al-Fiqh al-Islâmi », Vol.4, p.699 4 Voir « Les Origines de l’Acculturation du Monde Musulman. » E 3 En Égypte, Napoléon sema les graines qui finiront par dévaster l’Orient. Parmi ces graines se trouvaient les prêtres catholiques qui ne ménagèrent aucun effort pour enseigner le français à la jeunesse égyptienne. En 1801, l’armée française quitte l’Égypte après avoir saccagé le Caire qui fut alors le berceau de la civilisation musulmane. Les changements sociaux et politiques prescrits par les Français furent néanmoins poursuivis par Mohammed Ali Bacha (1769 – 1849). Le fondateur de « l’Égypte moderne » — qui n’apprit à lire et écrire qu'à l’âge de 45 ans — dévalorisa le statut reconnu des savants et plaça des enseignants français à la tête d’un grand nombre d’écoles. Il poursuivit la politique de Kleber5 en envoyant des étudiants égyptiens en France pour y être formés et acculturés. De retour au pays, ils jouirent d’un grand prestige et obtinrent les plus hautes fonctions gouvernementales. Il s’agit d’une pratique qui n’a jamais réellement été interrompue et qui explique pourquoi les dictateurs des anciennes colonies ont souvent été formés en Occident. L’ÉGYPTE BRITANNIQUE, LA REFORME OU LA MORT Napoléon Bonaparte n’avait pas quitté l’Égypte sans y avoir semé les graines d’une sécularisation occidentale qui germeront et finiront par dévaster l’Orient. Parmi ces graines se trouvaient aussi les prêtres catholiques qui ne ménagèrent aucun effort pour enseigner la langue française à la jeunesse. Ils étaient parfaitement conscients que par cet enseignement, les nouvelles générations allaient nécessairement s’imprégner des coutumes et idées européennes6. 5 Le général Kléber, sous l’ordre de Napoléon, avait envoyé entre 500 et 600 Égyptiens en France pour y être formés. 6 C’est ce qu’affirme le diplomate britannique Evelyn Baring dans « Modern Egypt », p. 235 Moins d’un siècle plus tard, en 1882, les Anglais occupent l’Égypte7 et poursuivent la « mission civilisatrice » des Français. Le nouvel occupant exprima de fortes aspirations colonialistes et souhaita prouver au monde qu’il était plus apte à « civiliser » l’Arabe que ne l’étaient les Français. Les autorités britanniques décidèrent d’engager une réforme encore plus profonde et allèrent à leur tour bouleverser les structures locales. Le cerveau de « la réforme d’Égypte » fut Evelyn Baring (a.k.a. Earl of Cromer, 1841– 1917) qui arrive au Caire en tant que diplomate britannique. Quatre ans plus tard, en 1879, il est nommé Consul Général d’une Égypte sous occupation militaire. En tant qu’administrateur colonial, Baring espérait civiliser l’esprit des indigènes afin « de les rendre capables de réfléchir ». Il mena un combat féroce contre le voile et estima que l’Islam et la raison des Arabes — qu’il traita de semi-sauvages — étaient inférieurs, déficients et un obstacle pour la mission impérialiste. Cette déficience fut une raison suffisante pour prolonger l’occupation britannique ; « tant que l’Égypte n’est pas réformée, la Grande- Bretagne doit y rester »8. L’Égypte, toujours selon Evelyn Baring, ne pouvait réussir dans le « monde moderne » qu’en éliminant toute spécificité islamique de sa culture9. La société égyptienne n’était pas assez « élastique » et nécessitait une restructuration totale en commençant par la religion. L’Islam devait être réformé pour permettre au système social et pénal de se « détacher des valeurs musulmanes ». La langue administrative 7 L’Égypte resta sous occupation militaire durant 40 ans, jusqu’en 1922. Le gouvernement en place était sous contrôle de l’Empire britannique. 8 Evelyn Baring, « Modern Egypt ». 9 Leila Ahmed, « Women and Gender in Islam ». 4 Le cerveau derrière le projet de « la réforme d’Égypte » fut Evelyn Baring (1841–1917), un diplomate anglais qui mena un combat féroce contre le voile islamique. devint l’anglais et la loi égyptienne fut réécrite et codifiée d’après le Code Napoléon10. Dans le domaine de l’enseignement, Baring commence par remplacer de nombreux enseignants égyptiens par des instructeurs anglais11. L’administration coloniale fait de l’anglais la langue d’enseignement principale. Presque toutes les matières sont maintenant enseignées en anglais, quelques-unes en français. Baring marginalisa entièrement l’apprentissage de la langue arabe, tout en promettant au peuple qu’une fois les enseignants égyptiens suffisamment formés (c.-à-d. occidentalisés), les cours seront à nouveau dispensés en langue arabe12. Puis, il y avait le problème de l’université al-Azhar qui était encore « trop attachée à la religion » et représentait « un barrage pour la réforme éducative ». Baring estimait que les diplômés sortaient de l’université avec un « acharnement religieux » et une « inflexibilité de raisonnement »13. Il proposa que la réforme d’al-Azhar se fasse de l’intérieur. Et en cas d’échec, les autorités coloniales devaient « instaurer un système d’enseignement reformé afin de concurrencer l’université ». Cela plaçait la direction d’al-Azhar face au choix suivant : la réforme ou la mort14. 10 Robert L. Tignor « Modernization and British Colonial Rule in Egypt, 1882–1914. » 11 En 1896, il y avait 631 enseignants égyptiens (officiels) et 92 européens. En 1906, ils furent 794 Égyptiens et 160 Européens. 12 Evelyn Baring, « Modern Egypt », p. 293. 13 Pour Baring, le raisonnement n’était flexible que chez la personne qui accepte le procès d’occidentalisation. 14 « Majm'a al-Fiqh al-Islâmi », Vol.4, p.700 ENSEIGNER POUR DOMINER ET EXPLOITER Très vite, le peuple égyptien devint victime d’une rivalité intercolonisatrice. L’historien égyptien Mahmoud Shaker nous explique comment Baring aspira à remplacer l’enseignement mis en place par les Français par un nouveau système britannique : « Après le départ (des Français), des jours et des années passèrent jusqu’à l’occupation anglaise qui commença le 2 de Dhul Hijja 1299 (15 septembre 1882). Les Anglais ne cessèrent de consolider leur présence dans le pays. Très vite, ils virent que la faction (napoléonienne) engendrée par l’orientalisme français contrôlait l’ensemble des étudiants dans les écoles égyptiennes. L’orientalisme anglais se mit alors à détruire et à désunir toutes les écoles fondées par les Français. Une fois l’occupation anglaise fermement implantée sur le sol égyptien, l’orientalisme britannique créa sa propre faction qui le fera triompher en exerçant une tyrannie dans l’enseignement. »15 Alors que le peuple égyptien ne s’était pas encore rétabli du « déracinement culturel » entamé par le premier occupant, le voilà à nouveau abattu sauvagement sur le sol. Une fois de plus, le système éducatif était détruit par un nouveau colonisateur qui, à son tour, venait imposer sa vision du progrès et de « la civilisation ». L’enseignement dispensé par le colon devint la source duquel s’abreuva toute une génération et par laquelle se répandirent les bactéries endémiques de la pensée, les idéologies destructrices ainsi uploads/s3/ douglas-dunlop-les-ravages-d-x27-une-education-coloniale.pdf
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- Publié le Fev 21, 2021
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