Études de communication langages, information, médiations 53 | 2019 Fake-News !

Études de communication langages, information, médiations 53 | 2019 Fake-News ! Pouvoirs et conflits autour de l’énonciation publique du « vrai » L’art d’avoir toujours raison... de vouloir en discuter The Art of Always Being Right... about Discussing Things Over Sarah Calba et Robin Birgé Édition électronique URL : https://journals.openedition.org/edc/9179 DOI : 10.4000/edc.9179 ISSN : 2101-0366 Éditeur Université de Lille Édition imprimée Date de publication : 15 décembre 2019 Pagination : 33-48 ISBN : 978-2-917562-22-2 ISSN : 1270-6841 Référence électronique Sarah Calba et Robin Birgé, « L’art d’avoir toujours raison... de vouloir en discuter », Études de communication [En ligne], 53 | 2019, mis en ligne le 01 janvier 2022, consulté le 07 janvier 2022. URL : http://journals.openedition.org/edc/9179 ; DOI : https://doi.org/10.4000/edc.9179 © Tous droits réservés 33 L’art d’avoir toujours raison... de vouloir en discuter The Art of Always Being Right... about Discussing Things Over Sarah Calba Laboratoire Hyperthèses sarah.calba@hypertheses.org Robin Birgé Université de Montpellier (Lirdef) & Laboratoire Hyperthèses robin.birge@hypertheses.org 34 Sarah Calba et Robin Birgé Résumé / Abstract Que signifient l’apparition ré- cente de l’expression fake news dans notre langage courant et son omnipré- sence dans les discours médiatiques ? Si les fake news ne semblent pas nous « informer » de l’état du monde, de ce qui est ou existe véritablement (elles sont d’ailleurs qualifiées en français de « fausses informations »), elles pour- raient nous dire beaucoup de notre rapport à la vérité, au langage et fina- lement à l’altérité. Tel sera le sujet de cet article : essayer de comprendre ce phénomène social à travers les multi- ples discours qui tentent de combattre les fake news et les dérives qu’elles révèlent d’après eux. Mots-clés : discussion, discuta- bilité, information, affirmation, vérité, fond, forme. How can we interpret the recent appearance of the expression “fake news” and its widespread use in me- dia discourse? If fake news does not “inform” us about the state of the world or about what truly exists, this notion reveals much about our relation to truth, to language and to otherness. We explore this social phenomenon by considering the discourses which attempt to combat fake news and the excesses which fake news is said to reveal. Keywords: discussion, discuss- ability, information, assertion, truth, content, form. 35 L’art d’avoir toujours raison... de vouloir en discuter The Art of Always Being Right... about Discussing Things Over Introduction L’étude interprétative que nous allons mener ici au sujet des fake news concerne les rapports entre vérité et discussion. Comme il est écrit dans l’appel à contribution de ce dossier thématique, « la formule des fake news embarque avec elle une certaine conception du “vrai” ou de l’évidence, contre lequel il apparaît difficile de lutter ». Effectivement, nombreuses sont les définitions qui engagent un jugement à priori et définitif quant à la vérité1 ou à la fausseté des énoncés et des intentions de l’énonciateur. Ainsi, l’établissement de la vérité est présenté comme une activité déconnectée de celle visant à mettre à l’épreuve ses idées par la confrontation aux autres, c’est-à-dire par le dialogue ; il de- viendrait possible (voire nécessaire) de ne pas discuter pour «penser vrai». À titre d’exemple, l’article Wikipédia dédié aux fake news définit celles-ci comme « des informations délibérément fausses délivrées dans le but de tromper un auditoire ». Les traductions proposées – « informations fallacieuses » ou « fausses nouvelles » – vont également en ce sens. Ainsi, bien souvent les fake news sont considérées comme des discours faux, trompeurs, manipulateurs... autant de qualificatifs qui engagent une certaine conception de la vérité (que l’on pourrait dire absolue ou essentialiste) et qui, par la même occasion, jugent négativement non seulement les conceptions (erronées) mais aussi les inten- tions (malveillantes) des autres. Notre argumentation aura pour but de poser cela comme un obstacle, cette conception de la vérité comme un problème, voire une impasse pour qui veut construire sa pensée en dialogue avec celle des autres, autrement dit pour qui veut faire œuvre collective (ce qui semble être le projet affirmé de la science mais aussi de la démocratie). Nous pouvons d’ores et déjà illustrer notre propos avec le numéro spécial « Fake news et post-vérité : 20 textes pour comprendre et combattre la me- nace » édité par le journal The Conversation France dont le slogan « L’expertise universitaire, l’exigence journalistique » doit déjà nous donner à comprendre les fondements épistémologiques. Il s’agit, d’après Arnaud Mercier (2018a), responsable de la publication du dossier, non seulement d’expliquer mais aussi de « combattre » le phénomène des fake news, de « se défendre face à cette menace » et au « danger que représente pour la démocratie ce climat de doute généralisé et de mensonges manipulatoires ». Suite à la lecture de ce dossier, nous souhaitions remettre en question l’idée principale qu’il véhicule d’après nous (à l’instar de beaucoup d’autres « experts » scientifiques, journalistiques ou autoproclamés), à savoir qu’une discussion doit être fondée sur de « vrais faits » et qu’il faut, pour garantir cela, faire confiance aux « sachants » et aux 1 La vérité étant presque systématiquement conçue comme une valeur positive contrairement à ce que l’idée d’une nouvelle ère de « post-vérité » défendue par certains pourrait laisser entendre... Une très large majorité des dis- cours (mêmes les plus « relativistes » ou les plus excentriques) nous semble prétendre à la vérité : ces discours se positionnent par rapport à cette valeur qu’ils contribuent à entretenir comme positive. 36 Sarah Calba et Robin Birgé institutions. En réponse, nous proposons une autre manière de concevoir la vérité et l’altérité qui, nous l’espérons, suscitera la critique et engagera la discussion. 1. La forme de l’information Les fake news que l’on traduit parfois en français par « fausses nouvelles » ou « fausses informations » sont bien souvent conçues comme des énoncés non seulement faux mais intentionnellement conçus comme tels. Actuellement, l’usage majoritaire invite à traduire le terme fake par truqué ou falsifié, bien que littéralement, il semble construit comme le terme factice au sens d’artificiel, de fait, de fabriqué – un terme qui, en français actuel, dénote plus l’inauthenticité que le façonnage intentionnel, que le travail avec art en dehors d’un processus dit naturel. Le terme fake est donc utilisé pour parler de contrefaçon, c’est- à-dire d’une personne ou d’une chose qui n’est pas véritablement ce qu’elle semble ou prétend être. Dans un article intitulé « Fake news et post-vérité : tous une part de responsa- bilité », A. Mercier (2018b) écrit : « si on veut traduire en français la nuance entre < false > et < fake >, il vaut mieux éviter de parler de < fausses nouvelles > [...] mais parler plutôt d’informations falsifiées, d’informations forgées. Elles sont < journalisées > c’est-à-dire conçues pour ressembler à des informations telles que les journalistes les produisent » (p. 5). Cette distinction entre le fond et la forme d’un énoncé semble ici se superposer avec celle qui distingue la nature, l’essence, l’authenticité et l’apparent, le fabriqué, l’artificiel. Il semblerait donc que ce soit par un travail de mise en forme particulière mettant en jeu l’ima- gination et l’imitation que les producteurs de fake news seraient capables de tromper leur public. C’est la forme qui serait trompeuse, alors que le fond, lui, serait simplement vrai (conforme à la réalité) ou faux (non conforme). Cette distinction fond/forme et tous les problèmes qu’elle engage sont aussi vieux que la philosophie elle-même... celle dite occidentale tout du moins. C’était sans doute le principal problème de Platon engagé dans une guerre intellectuelle contre les sophismes (qui pourraient être compris comme une sorte de version antique des fake news). Ce problème de la forme nous incite à repenser le concept – beaucoup plus actuel et, disons-le, omniprésent dans nos sociétés – d’information. De par l’apparente construction du mot combinée avec l’idéologie journalistique actuelle, se targuant de ne faire que révéler et transmettre un état de chose sans prendre position (ne serait-ce qu’impli- citement), un énoncé qui informe semble être une chose in-forme, presque sans forme ou qui n’engage pas le fait de partager la même formation pour la comprendre, donc sans point de vue particulier sur la chose. D’ailleurs, le concept d’information est souvent assimilé à celui de fait (ce qui est). Pourtant, ce dernier semble nous dire presque tout l’inverse : le fait est, ou plutôt serait, littéralement fait, fabriqué, forgé. Cette facticité du fait ferait de lui une produc- 37 L’art d’avoir toujours raison... de vouloir en discuter The Art of Always Being Right... about Discussing Things Over tion de l’esprit que l’on réalise en collectif, par le partage de nos expériences singulières à travers le langage. Suivant cette conception constructiviste, les faits façonnent nos expériences qui, en retour, façonnent de nouvelles manières de faire et de penser, autrement dit de nouveaux faits. Mais comment faire sans forme ? Comment partager nos idées sans les former ? Contrairement à ce que l’on pourrait comprendre de la forme de ce mot, l’information qu’elle soit visuelle ou verbale, qu’elle uploads/s3/ edc-9179.pdf

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