Cahiers du Centre d'Etudes Chypriotes La correspondance chypriote d'Edmond Duth
Cahiers du Centre d'Etudes Chypriotes La correspondance chypriote d'Edmond Duthoit (1862 et 1865) Jacques Foucart-Borville Citer ce document / Cite this document : Foucart-Borville Jacques. La correspondance chypriote d'Edmond Duthoit (1862 et 1865). In: Cahiers du Centre d'Etudes Chypriotes. Volume 4, 1985. pp. 3-60; http://www.persee.fr/doc/cchyp_0761-8271_1985_num_4_1_1186 Document généré le 04/05/2017 - 3 - LA CORRESPONDANCE CHYPRIOTE D'EDMOND DUTHOIT ( 1862 et 1865) Jacques FOUCART-BORVILLE Pieusement conservées dans la famille, les lettres envoyées au fil de la plume par le futur architecte d'Amiens, Edmond Duthoit, alors élève de Viollet-le-Duc, lors de ses missions archéologiques de 1862 et 1865 comme assistant des deux grands érudits > Vogiié et Wadding- ton, nous content d'un style alerte sa découverte émerveillée des splen¬ deurs de l'Orient : Chypre, Jérusalem, Syrie, Liban, Constantinople avec retour par Athènes et la Sicile ; après 1870 ce sera le Maghreb arabe et romain parcouru en tous sens. "Je suis tout enthousiasme" écrit-il à sa mère de Beyrouth en janvier 1862 ; à chaque pas sites et monuments lui font pousser des cris d'admiration, en suscitant une fièvre de dessiner jamais égalée : "nous rapportons plus de 1.200 dessins" annonce-t-il triom¬ phalement à la fin de 1862. Hélas, sauf un album clairsemé de croquis donné récemment au Musée de Picardie par MM. Robert et André Duthoit, mais qui tout de même contient les précieuses images ici reproduites du vase ou plutôt des vases d'Amathonte in situ, cette masse énorme de documents graphiques gardés par Melchior de Vogiié en vue d'une édition pareille à celles du Temple de Jérusalem et des Eglises paléochrétiennes de Syrie sem¬ ble perdue, à s'en tenir du moins au silence persistant qui les entoure. Cette abondante correspondance, connue seulement par une confé¬ rence aux "Rosati Picards" du fils de l'architecte, le notaire Edmond Duthoit en 1935 (1), mériterait une publication intégrale pour la richesse des renseignements sur les pays visités, qu'elle évoque dans leur fraîcheur première, encore intouchée par la banalisation niveleuse du XXe siècle industriel. A Chypre, par exemple, Duthoit pourra se dire l'un des rares Européens ayant parcouru l'intérieur de l'île. En attendant une édition complète des lettres de Duthoit envoyées à sa famille de 1862 à 1888, nous publions ici sous forme de larges extraits la partie chypriote déroulée en deux temps, d'abord du 28 janvier aux 3-4 juin 1862 en compagnie de Melchior de Vogiié et de William-Henry Waddington, puis seul du 30 mai au 10 juillet 1865. Nous y joignons, grâce à l'amabilité de Madame Geneviève Viollet-le-Duc, deux lettres fon¬ damentales de Duthoit à son illustre aïeul, jusqu'ici inconnues. La genèse de la première mission chypriote a été élucidée par Olivier Masson et Annie Caubet (2) rappelant l'importance d'un personnage lais¬ sé jusqu'ici dans l'ombre : Sosthène Grasset, jeune Français établi à Chypre où il épouse une compatriote, Aimée Laffon, fille d'un ancien médecin-major établi à Nicosie et nièce d'un négociant fixé à Larnaca, Paul Tardieu, tous noms que nous retrouverons dans les lettres de Duthoit. Féru d'archéologie mais pédant, prétentieux et phraseur au point de lasser la patience de ses interlocuteurs (voir infra le portrait dressé par Duthoit, dont on sait pourtant la bonté native) Grasset a eu le mérite d'attirer au départ l'attention de l'orientaliste Guillaume-Rey sur les riches¬ ses archéologiques de Chypre, à la suite de quoi Guillaume-Rey le présenta en mai 1860 à Hortense Cornu, amie d'enfance de Napoléon III et sa correspondante au château de Ham. Or c'est à l'initiative d 'Hortense Cornu que Napoléon III chargea Ernest Renan, peu connu à cette époque, de la fameuse mission phéni¬ cienne de 1860-1861 d'où sortira la Vie de Jésus. Cette mission ayant été in¬ terrompue par la mort subite de sa soeur Henriette, Renan fit choix pour la con¬ tinuer de deux savants renommés : Vog lié (33 ans) et Waddington (36 ans) qui s'adjoignirent un tout jeune homme plein d'avenir, Edmond Duthoit (25 ans), sur la recommandation chaleureuse de Viollet-le-Duc. L'extension à Chypre du pro¬ gramme initial; qui visait au premier chef Jérusalem et le Liban, fut précisément imputable à Sosthèse Grasset, désireux, confia-t-il plus tard, "d'assurer à la France les inscriptions et autres monuments que j'avais relevés, à commencer par le cratère d'Amathonte, dont le célèbre voyageur Ali Bey (3) avait donné un croquis informe". En octobre 1861, Grasset rencontrant Renan à Beyrouth insis¬ tait à nouveau pour l'enlèvement du vase d'Amathonte mais il fut fort déçu de se voir évincé de la direction de la future mission chypriote au profit du trio Vogiié-Waddington-Duthoit dont il reconnaissait lui-même la compétence bien supérieure à la sienne : " Au lieu, dira-t-il en 1892 (4), de se voir confier cette charge (qui l'eût mis à même d'obtenir la chancellerie du consulat de Chypre), M. Renan m'envoya, l'année suivante, MM. de Vogiié et Waddington, ac¬ compagnés d'un des meilleurs élèves de M. Viollet-le-Duc, M. Duthoit. J'avais assez vu M. Renan pour savoir que, comme archéologue, il ne pouvait m' éclipser. lien était de même du docteur Gaillardot, mais il en était tout autrement de MM. de Vogiié, Waddington et Duthoit, trois spécialistes qui ne me laissaient d'autre rôle que celui de drogman" (c'est-à-dire interprète). "J'avais été présenté à M. de Vogiié par M. Guillaume-Rey ; je ne crus pas que la mission dont il était investi en mon lieu et place me dispensât - 5 - des devoirs de l'hospitalité. Mes amis, le Comte du Tour, consul de France et M. Barclay, consul d'Amérique, lui offrirent le logement et la table (à Larna¬ ca) ; je me chargeai du mobilier". "Je donnai à ces messieurs tous les renseignements que je possé¬ dais. La courte excursion qu'ils firent dans l'île n'y ajouta pas grand 'cho¬ se et comme je m'y attendais, les fouilles de M. Duthoit à Golgos furent com¬ plètement stériles. Ce ne fut que grâce à mes indications et à celles de M. Tardieu qu'il fut plus heureux dans ses recherches, mais ses fouilles avaient absorbé inutilement l'argent mis par l'empereur à la disposition de Mue Cornu, tandis que s'il avait été laissé à la mienne, le Louvre se serait enrichi à peu de frais d'une foule d'objets du plus haut intérêt ..." (5). Voire ! L'amertume jalouse et vaniteuse de Grasset lui fait mini¬ miser à outrance les résultats de l'expédition Vogué, que certes à Golgoï la chance n'a pas favorisée. N'empêche qu'il a joué un rôle notable en fournissant d'utiles renseignements, spécialement sur le vase d'Amathonte, et aussi en ac¬ quérant pour sa collection de belles statues qui finirent par entrer au Louvre. La carrière et l'oeuvre d'Edmond Duthoit. Pour comprendre la correspondance d'Edmond Duthoit, il sied de retracer en bref sa vie et son oeuvre, les deux s 'éclairant par une constante interaction. Ses talents sont multiples : dessinateur d'aquarelles extrêmement soignées qui témoignent d'un goût pour la couleur renforcé par la vision direc¬ te de l'Orient (au Salon de 1863 on admirera deux aquarelles jugées admirables de rendu et de dextérité), architecte-décorateur de châteaux, d'églises et de chapelles sur un registre étendu, archéologue restaurant depuis 1868 les monur- ments historiques du Nord de la France (Senlis, Beauvais, etc.) et surtout de¬ puis 1872, recensant pour les sauver ceux d'Algérie (Tlemcen et environs, Djemilah, Tebessa, Lambèse, Timgad, etc.), voyageur-explorateur ardent et cou¬ rageux, auteur enfin de plusieurs mémoires scientifiques denses et surtout pré¬ cieux pour expliquer ses intentions esthétiques. Né le 1 mai 1837 à Amiens, dans la future rue Emile Zola, dans la maison-sanctuaire des Duthoit gardée intacte par leur descendant Gérard Ansart, Edmond grandit au sein d'un milieu privilégié : l'atelier des frères Duthoit à l'amitié légendaire. Son père Aimé Duthoit, chef de la firme, était surtout dé¬ corateur ; l'oncle Louis, plus doué, sculptait statues et bas reliefs à la ma¬ nière des tailleurs d'images lillois, ses ancêtres ; tous deux dessinèrent sans relâche les villes et villages de leur province durant presque un demi-siècle, -6- couvrant de croquis pris sur le vif une centaine d'albums que Robert et André Duthoit viennent de remettre généreusement au Musée de Picardie, en même temps que les beaux cartons de dessins exécutés pour Brebières. Après des études classiques dans les collèges jésuites de Bruge- lette en Belgique, de Saint Clément de Metz et de la Providence d'Amiens, Edmond vit sa vocation de dessinateur s'éveiller de bonne heure dans l'ambiance familiale que nous avons déjà décrite, où l'art uni à la religion régnait sans partage. Viollet-le-Duc, depuis 1849 architecte de la Cathédrale df Amiens, connut aussitôt les frères Duthoit que leur prestige local venait de maintenir comme sculpteurs de la Cathédrale de préférence aux Parisiens. La col¬ laboration entre ces hommes qu'animait le même amour du Moyen-Age fut pendant vingt ans exemplaire, Viollet voyant dans les Duthoit les "derniers imagiers" et louant leur atelier comme la rémanence des chantiers médiévaux chers à son coeur. C'est ainsi que tout naturellement en septembre 1857 le jeune Edmond, âgé de vingt ans, entra dans l'agence que Viollet venait d'ouvrir à Paris pour bientôt prendre place avec Anatole de Baudot uploads/s3/ edmond-duthoit.pdf
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- Publié le Apv 17, 2021
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