UN MOUVEMENT, UNE PÉRIODE Dossiers documentaires sur les collections du Musée n

UN MOUVEMENT, UNE PÉRIODE Dossiers documentaires sur les collections du Musée national d'art moderne L’art abstrait, une invention du 20e siècle Les artistes et leurs œuvres Vassily Kandinsky, ­ Sans titre (Aquarelle), 1910 ? 1913 ? ­ Mit dem schwarzen Bogen (Avec l’arc noir), 1912 ­ Dans le gris, 1919 Frantisek Kupka, ­ Plans verticaux I, 1912­1913 ­ Autour d'un point, 1911­1930 Piet Mondrian, ­ Composition en rouge, bleu et blanc II, 1937 ­ New York City I, 1942 Kasimir Malevitch, ­ Croix (noire), 1915 Textes de référence ­ Kandinsky, Lettre à Arnold Schönberg du 18 janvier 1911 ­ Malevitch, Du cubisme et du futurisme au suprématisme. Le nouveau réalisme pictural, Moscou, 1915 (extrait) ­ Mondrian, Dialogue sur la nouvelle plastique, 1919 (extrait) Chronologie Bibliographie sélective Contact/crédits Ce dossier s’inscrit dans une série: "Un mouvement, une période", qui sera régulièrement augmentée dans cette partie du site. Réalisés autour d’une sélection d’œuvres des principaux mouvements ou tendances représentés dans les collections du Musée national d’art moderne, ces dossiers s’adressent à tous ceux (enseignants ou responsables de groupe en particulier) qui souhaitent préparer leur visite au Musée. Leur objectif pédagogique est de faciliter l’approche et la compréhension de la création du 20e siècle. Ils ne constituent pas un cours mais proposent des points de repères et une base de travail. A chaque enseignant d’évaluer ses besoins et d’utiliser ce qui lui est nécessaire selon le niveau de sa classe. Chacun de ces dossiers comporte: ­ une présentation générale permettant de définir et de situer le mouvement dans un contexte historique, géographique et esthétique, ­ une sélection des œuvres des collections du Musée les plus représentatives, traitées par fiches comportant une notice d’œuvre, une reproduction et une biographie de l’artiste, ­ un ou plusieurs textes de référence apportant en complément une approche théorique, ­ une chronologie, ­ une bibliographie sélective. Pour en savoir plus sur les Collections du Musée : www.centrepompidou.fr/musee L’art abstrait, une invention du 20e siècle Au cours de la deuxième décennie du vingtième siècle, un tournant radical et déterminant s’opère en peinture, l’invention de l’abstraction. Certes, depuis la nuit des temps, des formes non figuratives ont été utilisées au sein de programmes décoratifs, par exemple les grecques ornant les terres cuites de l’Antiquité, les arabesques des ferronneries baroques ou les volutes de l’Art Nouveau. Mais ces motifs étaient subordonnés à des finalités extérieures, comme l’embellissement d’un lieu ou d’un objet. La démarche qui caractérise les maîtres de l’abstraction du début du 20e siècle consiste à proposer, purement et simplement, une "image abstraite". L’oxymore que constitue cette expression, une image étant traditionnellement définie comme une réplique de la réalité, indique la nouveauté de l’entreprise. Les peintures abstraites sont des images autonomes qui ne renvoient à rien d’autre qu’elles­mêmes. Dans ce sens, elles s’apparentent aux icônes de la religion orthodoxe qui manifestent la présence d’un contenu plutôt qu’elles ne le représentent, mais, à la différence de ces images religieuses, les peintures abstraites rompent avec le monde des apparences. Elles révèlent l’existence de réalités jusqu’alors invisibles et inconnues, que chaque artiste détermine à sa façon, selon ses propres convictions, son parcours et sa culture, de l’art populaire aux théories les plus spéculatives. Chacun des quatre artistes pionniers de l’abstraction, Frantisek Kupka, Vassily Kandinsky, Kasimir Malevitch et Piet Mondrian, aboutit ainsi à sa propre formulation de l’abstraction, indépendamment des autres. Ils ont néanmoins franchi le seuil de l’abstraction à peu près au même moment, entre 1911 et 1917, simultanéité qui peut s’expliquer par des préoccupations communes. Ils avaient tous une pratique spirituelle ou ésotérique. Ils étaient aussi, pour certains d’entre eux, très attachés à la musique, le moins imitatif de tous les arts, qu’ils ont parfois pris comme modèle. Et, plus généralement, ils travaillaient dans un contexte culturel, en particulier scientifique avec l’apparition de la physique quantique et de la théorie de la relativité, où la notion de réalité devenait problématique. Comme le remarquait Paul Valéry à cette époque, "Ni la matière, ni l’espace, ni le temps ne sont depuis vingt ans ce qu’ils étaient depuis toujours". Dans ce contexte culturel et scientifique du début du 20e siècle, la réalité est moins ce que l’on perçoit à l’aide des cinq sens qu’une entité que l’on approche par des expériences de pensée. Les inventeurs de l’abstraction proposent une nouvelle forme de peinture en adéquation avec cette conception du monde. Les artistes et leurs œuvres Vassily Kandinsky Moscou, 1866 – Neuilly­sur­Seine, 1944 Sans titre (Aquarelle), 1910? 1913? Mine de plomb, aquarelle et encre de Chine 49,6 x 64,8 cm Longtemps considérée comme la première œuvre abstraite de l’histoire de la peinture, puisqu’elle est signée et datée de 1910 par Kandinsky, avec au dos l’inscription "aquarelle abstraite", cette aquarelle, estime t­on aujourd’hui, serait plutôt une esquisse pour une huile sur toile, Composition VII, achevée à l’automne 1913. Toutefois, s’agit­il d’une ébauche précoce, pleinement réalisée dans une œuvre plus tardive, ou d’une étude qui précède de peu l’achèvement de la composition et, par conséquent, antidatée par l’artiste ? Le style de ce travail, ainsi que sa gestion de l’espace, inclinent à le rapprocher des peintures de 1913. Composée de touches de couleur à l’aquarelle, auxquelles se superposent, comme par transparence, des lignes noires tracées à la plume, cette aquarelle dissocie le rôle du dessin et de la couleur. Les lignes procurent aux formes un élan rythmique plutôt qu’elles ne délimitent un contour, assumant une fonction indépendante. Or, cette autonomie ne s’opère dans son œuvre qu’à partir de 1911. De plus, les taches de couleurs flottent dans un milieu indéterminé, ce qui est fréquent dans les œuvres de Kandinsky ultérieures à 1912, alors qu’auparavant elles restent structurées par des images faisant référence à la mémoire et aux souvenirs personnels du peintre. Dans Du Spirituel dans l’art, rédigé en 1910, Kandinsky affirme que "Nous ne sommes pas assez avancés en peinture pour être déjà impressionnés profondément par une composition de formes et de couleurs totalement émancipée". En tant qu’elle s’éloigne de repères réalistes pour exprimer une activité indépendante de l’esprit, cette aquarelle est plutôt représentative du lyrisme et de la vitalité de son œuvre de maturité. Composition VII, 1913, huile sur toile, 200 x 300 cm, Galerie Tretiakov, Moscou: voir l’œuvre Mit dem schwarzen Bogen (Avec l’arc noir), 1912 Huile sur toile 189 x 198 cm Construit sur le principe de la dissonance emprunté à l’univers musical d’Arnold Schönberg, ce tableau organise à l’échelle monumentale la convergence, et peut­être la collision, de trois grands blocs de couleur rouge, bleu et violet. Comme l’a noté Will Grohmann, l’un des premiers spécialistes de Kandinsky, le motif de ce tableau est constitué de "trois continents qui s’entrechoquent". Au­dessus de leur point de rencontre, une grande courbe noire a pu être interprétée, d’après le titre original russe inscrit au dos du tableau, comme faisant référence à une "douga", un arc de limonière que Kandinsky emprunte au monde paysan traditionnel. Mais sa fonction est sans doute plus d’exprimer une tension que de figurer un objet particulier: elle accentue l’impression de rapprochement des trois blocs en traçant comme une ligne de force qui se resserre. Cet arc noir impulse un rythme à la toile, en accord avec le rôle que Kandinsky attribue au noir dans Du Spirituel dans l’art, où il l’assimile à la ponctuation musicale: "Comme un rien sans possibilité, comme un rien mort après la mort du soleil, comme un silence éternel, sans avenir, sans l’espérance même d’un avenir, résonne intérieurement le noir. En musique, ce qui y correspond, c’est la pause qui marque une fin complète, qui sera suivie ensuite d’autre chose peut­être comme la naissance d’un autre monde. Car tout ce qui est suspendu par ce silence est fini pour toujours: le cercle est fermé". Dans le gris, 1919 Huile sur toile 129 x 176 cm La composition de cette œuvre, souvent critiquée, appartenant à une période d’incertitude due au climat pessimiste de la guerre, est exubérante et complexe à l’extrême. Kandinsky lui­même, peut­être parce qu’elle lui rappelle une période pénible, ne l’expose plus à partir de 1930 et ne la mentionne pas dans son catalogue. En 1936, il confie à l’un de ses mécènes: "Im grau est la conclusion de ma dramatique période, celle où j’accumulais tellement de formes… C’était le temps de la guerre et des premières années de la révolution que j’ai vécues à Moscou. Je ne voudrais pas renouveler cette expérience". Pourtant, ce sont sans doute la douleur et le pathos dont cette peinture témoigne qui font sa grande qualité, en écho au thème de l’Apocalypse si souvent traité par Kandinsky avant la guerre, devenu en 1919 réalité. Des éléments paysagers, ainsi qu’une autre "douga", flottent et semblent se déliter dans une atmosphère grise, éthérée, comme si le gris symbolisait le destin entropique des couleurs et des formes. Dans sa théorie des couleurs, le gris exprime en effet un arrêt de mouvement, voire une dégradation de tout élan vital. Ici, il peut être interprété comme un sentiment de mélancolie revendiqué face au nouveau visage qu’offre le monde, mais uploads/s3/ la-naissance-de-l-x27-art-abstrait.pdf

  • 37
  • 0
  • 0
Afficher les détails des licences
Licence et utilisation
Gratuit pour un usage personnel Attribution requise
Partager