Cahiers d’ethnomusicologie 1 (1988) De bouche à oreille .......................

Cahiers d’ethnomusicologie 1 (1988) De bouche à oreille ................................................................................................................................................................................................................................................................................................ Jean During Conservation et transmission dans les traditions musicales du Moyen-Orient Les données nouvelles ................................................................................................................................................................................................................................................................................................ Avertissement Le contenu de ce site relève de la législation française sur la propriété intellectuelle et est la propriété exclusive de l'éditeur. 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Référence électronique Jean During, « Conservation et transmission dans les traditions musicales du Moyen-Orient », Cahiers d’ethnomusicologie [En ligne], 1 | 1988, mis en ligne le 15 août 2011, consulté le 17 décembre 2015. URL : http:// ethnomusicologie.revues.org/2300 Éditeur : Infolio Editeur / Ateliers d’ethnomusicologie http://ethnomusicologie.revues.org http://www.revues.org Document accessible en ligne sur : http://ethnomusicologie.revues.org/2300 Ce document est le fac-similé de l'édition papier. T ous droits réservés CONSERVATION ET TRANSMISSION DANS LES TRADITIONS MUSICALES DU MOYEN-ORIENT Les données nouvelles Jean During La conservation du patrimoine musical est sans doute le point le plus vulné­ rable des cultures traditionnelles : une mélodie oubliée ou abandonnée ne peut être redécouverte ou restaurée, elle rejoint le silence à jamais. Depuis sa fondation il y a près d'un siècle, la musicologie comparée a été confrontée à ce problème ; on aurait tort cependant de croire qu'il s'agit là d'un mal du siècle engendré par la modernité ou le choc de la rencontre avec l'Occident. Un rapide coup d'œil sur les musiques turque et persane nous montre que des pans entiers de leur histoire se sont effondrés (au XVIII e siècle notamment) sans laisser de traces tangibles. Si les ethnomusicologues avaient existé à cette époque, ils auraient certainement prophétisé la disparition totale de ces musiques, comme cet artiste turc qui déclarait à l'un d'eux en 1970: « Dans dix ans, il ne restera rien de notre musique» (Signell 1986). Il est vrai que de nombreuses traditions ont disparu à tout jamais ; toutefois, elles ont souvent été remplacées par de nouvelles formes qui, de nos jours, apparaissent éminemment traditionnelles. C'est notamment le cas de la musique persane qui a fleuri sur les ruines de la dynastie safavide à l'heure du renouveau Qâjâr au début du XIX e siècle. Ces cycles de déclins et de transformations sont sans doute vieux comme le monde, mais à notre époque sont apparus des éléments entièrement nouveaux dont l'impact sur la transmission et le devenir des musiques traditionnelles reste à évaluer. C'est ce que nous essayerons de faire ici, en mettant l'accent sur un cas précis qui est celui de la musique d'art persane. Fixer le répertoire : les notations musicales La musique indienne possède depuis le II e siècle av. J.-C. un système simple et efficace, représentant le nom des notes avec durées, silences et ornements. Les savants iraniens en avaient sans doute connaissance à travers des traités en persan rédigés en Inde à partir du XVII e siècle. Du reste, Safiuddin (XIII e siècle) et Qutbuddin Shirâzi, son émule, ainsi que Shamsuddin Saydawi al- Dhahâbi, un musicologue syrien du XIV e siècle, tentèrent bien de transcrire DOSSIER/DURING 101 des mélodies dans différents modes, mais personne n'en saisit l'intérêt. Au Moyen-Orient, les premières transcriptions efficaces remontent aux ottomans Neyi 'Uthmân Dede (mort en 1729), et au prince roumain Kantemir-oghlu (mort en 1723), grâce auquel 350 pièces turques ont été conservées. (Curieu­ sement, ces pièces n'intéressent guère les artistes contemporains qui les trouvent monotones et ennuyeuses, un peu comme en Europe on considérait, au XIX e siècle, les compositions des siècles passés). Durant tout ce temps, les Iraniens ont ignoré complètement toute forme de notation, et ont, semble-t-il, perdu dès le XVII e siècle les clefs de compréhension de la science musicale et acoustique qu'avaient exposée leurs illustres théoriciens. Ils n'ont jamais cherché à transcrire leur musique dans le but de la conserver. Avec l'intro­ duction du solfège occidental à la fin du XIX e siècle, ils ne manifestèrent guère plus d'intérêt pour cette question, et il fallut attendre la seconde moitié de ce siècle pour que soit publié le premier corpus complet des mélodies tradi­ tionnelles (Ma’rufi 1963), constituant le répertoire d'un maître ; cet ouvrage est par ailleurs rarement consulté. Il est difficile d'imaginer ce que pouvait être une musique que les nota­ tions et la mémoire n'ont pu sauver. La lecture des anciens traités persans suggère l'existence de longues compositions destinées à des ensembles, utilisant volontiers des rythmes longs et complexes, comme il en reste toujours en Turquie (davantage, il est vrai, dans les livres que dans la pratique). Les motifs mélodiques étaient sans doute plus amples et faisaient moins usage de la répétition et de la symétrie que de nos jours. Il y a toutes les chances pour qu'un tel style ne soit pas apprécié de nos jours par le public iranien, pas davantage en tout cas que celui du monde turc et arabe ou de l'Asie centrale. La constitution de corpus Il semble qu'à la fin du XIX e siècle, mesurant l'écart qui les séparait de la science musicale décrite dans leurs traités classiques, certains dépositaires de la tradition persane aient pris conscience de la dimension historique de leur culture. Ce fut également le cas en Turquie, cent cinquante ans après Kantemir-oghlu, où un Ra'uf Yektâ Bey sauva in extremis une grande partie du répertoire détenu par quelques maîtres, en particulier celui des derviches mevlevi. Plus récemment, un travail similaire fut entrepris par Yunus Rajabi qui reconstitua le Shash-Maqâm tajik-uzbek. Pour l'Iran, tout était consommé depuis le XVIII e siècle, mais une nouvelle tradition (qui conservait, bien entendu, des éléments de l'ancienne) fleurit dès le début du XIX e siècle. Vers 1900, on comprit la nécessité d'organiser un corpus de mélodies et d'en faire l'élément essentiel d'une transmission trop souvent menacée par les vicissitudes de l'histoire. Ce corpus s'appelle le radif, concept qui recouvre divers aspects, mais que l'on peut définir comme un répertoire-modèle précis enseigné par un maître ou une école en particulier. Il est constitué de mélodies modales types, au nombre de deux à quatre cents, ordonnées en douze systèmes modaux. En dehors du radif, il existe un grand nombre de compositions, mais elles sont assujetties au modèle du radif et n'ont pas le même statut normatif. 102 CAHIERS DE MUSIQUES TRADITIONNELLES 1/1988 Remarquons au passage que le système de la musique était exactement le même en Iran et en Azerbâyjân, mais que dans ce pays le répertoire n'a jamais été codifié d'une manière aussi systématique. Le concept de radif n'y existe pas, même si les maîtres enseignent plus ou moins un répertoire du même type. En un sens, le radif est une cristallisation d'un répertoire et de structures modales par essence assez souples, opérée par certains maîtres. La multiplicité des radif restants ou des fragments indique que l'idée de modèle ne s'est imposée que progressivement. C'est surtout avec les classes très fréquentées de M. ’Abdollâh, H. Qoli, et pour la dernière période de Shahnâzi, Borumand, Davâmi et Karimi, que le radif s'est figé en modèle académique immuable, joué note pour note. Pour ces maîtres, le radif est une forme parfaite, et tout arrangement (omission, paraphrase) est d'emblée suspect. Certains d'entre eux se montraient intransigeants avec les élèves afin que le répertoire soit transmis avec la plus parfaite précision. Pour d'autres, un radif est un exemple particulièrement réussi de mise en forme des gushe, et toute performance doit approcher cette perfection, sans pour autant reproduire tel quel le modèle. Pour d'autres, enfin, ce n'est qu'un exercice destiné à apprendre la musique aux élèves. La réalité est que le modèle qu'ils enseignaient n'était qu'une partie — éventuellement simplifiée — de leur répertoire personnel, du potentiel des structures modales et de leur façon de jouer. A côté de son caractère académique et de ses fonctions hautement didac­ tiques et symboliques, qui le placent au centre de la tradition iranienne, le radif est donc souvent considéré avec une certaine distance qui en relativise l'importance ; ce fait a complètement échappé aux musicologues. Ainsi les mauvaises langues disent-elles que les maîtres ajoutaient indéfiniment des mélodies-types (gushe) de leur cru ou des variantes dans le but de conserver leurs élèves. N'importe quelle mélodie populaire un peu arrangée aurait acquis ses lettres de noblesse en se trouvant intégrée au mythique radif Les élèves avaient l'impression d'accéder à quelque chose d'unique qu'on leur dévoilait fragment par fragment (gushe = «coin»). Lorsque mon maître, le regretté Shahnâzi, se décida enfin à m'enseigner un des modes du radif, je lui demandai, pour voir, à quand remontait cette version (arrangée, en fait, par son père) ; il uploads/s3/ ethnomusicologie-2300-1-conservation-et-transmission-dans-les-traditions-musicales-du-moyen-orient.pdf

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