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> Filigrane > Deleuze et la musique Numéros de la revue / Deleuze et la musique « La formule de la ritournelle » Silvio Ferraz Résumé C'est dans leur livre Mille Plateaux que Deleuze et Guattari définissent la notion de ritournelle en décrivant chaque étape de sa constitution. Dans leur description, les auteurs partent de la définition de quelle seraient les composantes d'un territoire, pour, peu à peu, construire cette « machine de production de différences », dont le principal moteur est l'automatisation des composantes et de leurs intermodulations. Ils décrivent ainsi ce parcours qui va de « l'agencement de moyens », passe par la définition du territoire et finalement à l'ouverture de ce territoire dans un jeu qu'ils appellent « contrepoint territorial ». Un important aspect de cette machine est qu'elle n'est pas déterminée par les objets (matières et formes) mais par la régularité et le rythme qui composent leurs moyens et codes. À sa définition Deleuze et Guattari dépassent la compréhension musicale du terme ritournelle (par habitude circonscrit à la notion de répétition comme réitération d'objet), pour mettre en relief le mécanisme d'intermodulation entre matière encore non formée et fragments de matière formée. En croyant à l'importance de cette définition comme outil compositionnel et analytique, cet article propose une formalisation symbolique du concept de ritournelle, avec l'objectif de le rendre opérationnel pour la composition et l'analyse musicale. Et c'est dans le sens de l'idée de « répétition du différent », telle quel Deleuze la propose dans son livre Différence et Répétition, que cette formulation prend la notion de modulation comme élément premier pour la ritournelle. Abstract In his book Thousand Plateaux Deleuze and Guattari defines the concept of "Ritournelle" by describing each stage of its constitution. In their description, the authors leave first the definition of which would be the components of a territory, and little by little build this "production machine tool of differences", whose main motor is the automation of the territories components and their inter-modulation. They thus describe this course which goes from "the layout of middle", passes by the definition of the territory and, finally, with the opening of this territory in a play which they call "territorial counterpoint". An important aspect of this machine is that it is not determined by objects (matters and forms), but by the periodicity and the rhythm which compose their middles and codes. With its definition Deleuze and Guattari exceed the comprehension musical of the "ritournelle" term (commonly circumscribed as repetition, a reiteration of object), to highlight the mechanism of inter-modulation between matter still not formed and the formed matter fragments. While believing in the importance of this definition like tool compositional and analytical, this article proposes a symbolic formalization symbolic of the concept of the "ritournelle", with the objective to make it operational for composition and musical analysis. And it is in the sense of the idea of "repetition of different", such as it is Deleuze proposes it in his book Différence Repetition, than this formulation takes the concept of modulation like element first for "ritournelle" formalization. Il y a plusieurs points de contact entre la pensée philosophique de Gilles Deleuze et la musique, surtout celle du xxe siècle. On peut même dire qu'une telle interface se repère dès ses premiers travaux en collaboration avec Félix Guattari, avec Kafka pour une littérature mineure, Mille plateaux et Qu'est-ce que la philosophie ? Dans ces écrits, nombreux sont les passages où figurent des noms et des idées qui se rapportent à la musique de compositeurs tels que Pierre Boulez, Olivier Messiaen, Luciano Berio, Dieter Schnebel ou John Cage. On peut remarquer aussi les conférences et les cours que Gilles Deleuze dédie à l'étude du temps musical, tels que ceux présentés à l'Institut de Recherche et Coordination Acoustique/Musique (IRCAM) (1). Il ne s'agit pas de simples références à quelques noms ou concept concernant la musique. Dans ces écrits, les stratégies de composition musicale proposées au XXe siècle et les concepts formulés par des compositeurs participent à la constitution de nouveaux concepts, cette fois-ci philosophiques. C'est de cette manière que l'idée de « personnage », formulée par Olivier Messiaen dans son analyse du Sacre du printemps de Stravinsky s'autonomise dans un concept philosophique : les « personnages conceptuels ». De même quant à la notion de « temps lisse et temps strié », proposée par Pierre Boulez dans Penser la musique aujourd'hui, ou encore le concept de visagéité qui se recouvre avec > Filigrane > Deleuze et la musique Visaggio de Luciano Berio. Dans ce sens, on remarque aussi la présence assez forte de John Cage dans le dernier chapitre de Qu'est-ce que la philosophie ? Chez Deleuze ce complexe de concepts, de formules compositionnelles, d'idées musicales etc., prolifère en un ensemble de concepts philosophiques, à la manière d'une mauvaise herbe (2). C'est aussi dans cette chaîne de croisements avec la musique que naît le concept de la ritournelle, en résonance avec la musique depuis le xviiie siècle et les chansons enfantines et populaires présentes chez Mozart, Schumann, Brahms et Moussorgski jusqu'aux rondes printanières chez Stravinsky. Avec Deleuze et Guattari la ritournelle devient donc un concept philosophique. On peut dire que la ritournelle traverse toute l'oeuvre de Deleuze, dès ses premiers écrits : Deleuze lui-même écrit de petites ritournelles, comme une musique. Ses phrases sont cousues comme celui qui tisse un thème musical, une mélodie, une grande texture sonore, ou même un paysage sonore. Celles-ci ne correspondent pas à des ritournelles formelles, comme dans la musique traditionnelle (un grand thème qui revient à la répétition prévue par la forme musicale). Ce sont des micro et macro ritournelles, entremêlées, comme on les trouve, par exemple, chez Gherasin Luca, Beckett, Péguy (3) ou les « phrases commentaires » proposées par Olivier Messiaen (4). Deleuze réalise donc des petites ritournelles transitoires, comme si les mots pliaient l'écriture pour constituer des vortex de connexions libres. La ritournelle est ainsi une petite usine à machiner des différences, et l'on entend résonner l'idée de ce que Deleuze a dénommé la « répétition du différent » (5). Le concept de Ritournelle reprend, d'une certaine manière, la formule de la répétition des Lois de l'imitation de Gabriel Tarde. Opérer la répétition du différent c'est, donc, en quelque sorte « imiter l'invention » : imiter l'invention en falsifiant l'invention, en imitant les forces non formées de l'invention, voilà le point toujours naissant d'une nouvelle invention. Néanmoins, il faut remarquer que dans la ritournelle, ce ne sont pas les matières formées qui reviennent, mais les forces qui mettent en connexion de simples transitoires, qui ne constituent pas encore des matières. Dans le mécanisme de la ritournelle, la répétition va toujours d'une matière non formée aux autres. Selon cette configuration, il est pratiquement impossible de trouver des relations du type héréditaires, hiérarchiques, parce que ce sont tout simplement des micro points dispersés, par contre ce que l'on trouve c'est une infestation de micro points. L'acte de la répétition est comparable à la prolifération de la mauvaise herbe. La répétition des matières non formées met en jeu l'idée que les choses se mettent en connexion par elles-mêmes, par ses forces, comme des relations non humaines propres aux choses en soi, pour reprendre ce que dit Deleuze à propos de Châtelet (6). À cet égard, l'ensemble des procédés de grammatologie et des règles n'est qu'un mécanisme visant à limiter des relations toujours présentes. On a toujours cru à la nécessité d'une hiérarchie pour mettre les choses en connexion, mais la ritournelle nous apprend justement le contraire, la structuration n'est qu'une manière de limiter les connexions déjà existantes. Ritournelle On sait que le terme de ritournelle vient de la musique et se réfère à des chants circulaires, au mouvement de va-et-vient sur un même thème, à l'idée de toujours retourner au commencement. Mais chez Deleuze et Guattari, la ritournelle passe au delà de la terminologie musicale. Autour de la ritournelle, Deleuze et Guattari mettent en jeux tout un cadre de concepts : le territoire, les lignes de fuites, les codes, les milieux et les rythmes. La ritournelle se fait comme une petite machine (7). En tant que machine, la ritournelle porte sur une opération de mouvement, un mouvement qui consiste à agencer (assembler) plusieurs composantes, c'est-à-dire faire un territoire où les composantes entrent en modulation et après laissent le territoire ; un mouvement qui réunit provisoirement des forces multiples. En d'autres mots, il porte sur un mouvement qui (1) naît des fragments de forces réunies, dans un premier moment librement connectées ; (2) puis, qui acquièrent un système pour s'accrocher les unes aux autres d'après une forme stable ou métastable ; (3) en même temps que d'autres connexions de micro fragments s'autonomisent en libérant les fragments pour des connexions avec d'autres ensembles de fragments hors du système. C'est justement dans ce rapport avec le mouvement et, par conséquence, le temps, que la ritournelle peut devenir un outil d'intérêt pour l'analyse musicale, surtout quand on cherche à prendre en considération les > Filigrane > Deleuze et uploads/s3/ ferraz-la-formule-de-la-ritournelle.pdf

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