École pratique des hautes études, Section des sciences religieuses La matière d
École pratique des hautes études, Section des sciences religieuses La matière d'en haut Jean Jolivet Citer ce document / Cite this document : Jolivet Jean. La matière d'en haut. In: École pratique des hautes études, Section des sciences religieuses. Annuaire. Tome 96, 1987-1988. 1987. pp. 28-48; doi : https://doi.org/10.3406/ephe.1987.14002 https://www.persee.fr/doc/ephe_0000-0002_1987_num_100_96_14002 Fichier pdf généré le 18/05/2018 LA MATIÈRE D'EN HAUT Sahrastânï (6e/l 2e siècle), dans la partie de son Livre des religions et des sectes consacrée aux philosophes, attribue à plusieurs d'entre eux une doctrine de la création particulière à deux points de vue. D'abord parce qu'elle est décrite comme l'est dans le néoplatonisme la procession des hypostases ; ensuite et surtout parce que la première de ces hypostases est une Matière. Quand il en est fait mention c'est le mot cunsur qui est employé, et nous le traduirons par Matière, avec une majuscule. Ce mot n'est pas rare chez les traducteurs en arabe des textes philosophiques grecs et chez les falâsifa, parmi d'autres qui désignent la matière1 ; plus remarquable est sa spécialisation dans le contexte et le sens qu'on a dits. Dans un premier temps nous traduirons à la suite tous les principaux de ces passages dans l'ordre où il apparaissent dans l'ouvrage de âahrastânî (avec leur référence aux pages de l'édition Badrân) ; puis nous présenterons quelques brèves remarques avant de passer à un examen plus détaillé. Thaïes. a) « Le créateur créa la Matière dans laquelle sont toutes les formes des êtres et les connaissables ; de chaque forme provient un être dans le monde selon l'archétype qui est dans la Matière Prime. Le substrat des formes, la source de tous les êtres, est donc l'essence de la Matière, et il n'y a aucun être dans le monde intelligible et dans le monde sensible qui n'ait sa forme et son archétype dans l'essence de la Matière. Il tient à la (1) G. Vajda, « Sa^dyâ commentateur du "Livre de la Création". Note annexe : Quelques observations lexicographiques à propos des termes désignant "Matière" et "Élément" dans le commentaire de Sa°adyâ sur le S. Y. », École Pratique des Hautes Études. Section des Sciences Religieuses. Annuaire 1959-1960, p. 34-35 : reproduit dans Mélanges Georges Vajda, édités par G. E. Weil, Hildesheim, 1982, p. 68-69. Le sens étudié ici n'est pas mentionné dans cette étude, étant absent du commentaire de Sacadyâ. Malgré son titre plus général, l'article de H. A. Wolfson, « Arabie and Hebrew Ternis for Matter and Elément with especial Référence to Saadia », Jewish Quarterly Review, 38 (1987) ne le mentionne pas non plus. Le sens le plus courant en arabe en est élément, mais voir infra n. 29. 29 perfection de l'essence du Premier Vrai qu'il ait créé quelque chose comme cette Matière » (807-808). b) Plus loin, après avoir parlé de l'eau, qui est la matière (cunsur, ici aussi) des corps terrestres et célestes, la notice de Sahrastâni évoque des mondes situés au-dessus des cieux, inaccessibles au langage et à l'intelligence ; ils sont « créés d'une Matière qu'on ne peut percevoir en son fond, dont on ne peut regarder la lumière ; la Raison (mantiq), l'Ame, la Nature, sont au-dessous et en deçà d'elle ; elle est la pure éternité (dahr), a parte ante et a parte post, objet du désir des intellects et des âmes ; elle est ce que nous appelons la pérennité, la perpétuité, la permanence, dans le domaine de la seconde naissance » (809-810). c) L'eau, est-il dit un peu plus bas, qui accueille toutes les formes, est l'image de « la Matière Prime qui accueille chaque forme, c'est-à-dire qui est la source de toutes les formes » (810). d) Enfin la Matière est comparée à la Table Gardée « qui contient tous les statuts des connaissables, les formes de tous les êtres, l'histoire des choses engendrées » (811). Anaximène. a) « Le Créateur créa par son unité la forme de la Matière, puis la forme de l'Intellect en émana par création du Créateur Très Haut. Puis la Matière disposa dans l'Intellect les variétés des formes selon la hiérarchie des lumières et des sortes d'influences qui sont dans les formes ; cette hiérarchie devint d'un seul coup des formes multiples, comme des images surgissent instantanément et sans succession des unes aux autres dans un miroir poli » (818-819). b) La fin de la notice constate l'analogie entre les doctrines attribuées à Thaïes et à Anaximène : dans les deux cas la Matière a un symétrique corporel, l'eau selon l'un, l'air selon l'autre. Mais, si l'on a pu comparer la Matière de Thaïes à la Table Gardée, chez Anaximène « la Matière a le rang du premier Calame, et l'Intellect celui de la Table qui reçoit l'empreinte des formes » (822). Empédocle. a) « Le Créateur créa la chose simple, principe de ce qui est simple et intelligible, c'est la Matière Prime ; puis il multiplia les choses simples à partir de cette première créature simple et une ; puis à partir des [choses] simples il fit exister les [choses] composées » (824). b) « Le premier effet [du Créateur] est la Matière ; le deuxième, par la médiation [de celle-ci], est l'Intellect ; le troisième, par la médiation des deux, est l'Ame » (825). 30 c) « La Matière Prime est simple au regard de l'essence de l'Intellect qui est au-dessous d'elle, sans être elle-même absolument simple, c'est-à- dire une et pure, au regard de l'essence du Créateur : car il n'y a pas d'effet qui ne soit composé d'une composition intelligible ou sensible. Dans son essence donc la Matière est composée de l'Amour et de la Victoire2 à partir desquels furent créées les substances simples et spirituelles et les substances composées et corporelles. Ainsi l'Amour et la Victoire sont deux attributs, ou deux formes, de la Matière, deux principes de l'ensemble des êtres : tous les [êtres] spirituels portent l'empreinte de l'Amour pur, tous les [êtres] corporels celle de la Victoire, et ceux qui sont composés [de spirituel et de corporel] portent les deux empreintes de l'Amour et de la Victoire , de l'appariement et de l'opposition » (826-827). d) « Quand la Matière Prime eut imprimé dans l'Intellect les formes intelligibles et spirituelles qui étaient en elle, que l'Intellect eut imprimé dans l'Ame et ce qu'il avait acquis de la Matière, l'Ame universelle imprima dans la Nature universelle ce qu'elle avait acquis de l'Intellect » (828). e) * Le prophète envoyé au cours de chaque cycle agit selon les lois de l'Intellect et de la Matière Prime en se réglant sur l'Amour et la Victoire » (831). f) Comme le Créateur lui-même « l'Intellect et la Matière sont en mouvement par une manière de repos » (833). Remarque : dans le processus du salut final décrit à la fin de la notice, l'Ame implorera l'Intellect, l'Intellect implorera Dieu ; l'effusion des lumières se fera de Dieu sur l'Intellect, de l'Intellect sur l'Ame, de l'Ame sur le monde : la Matière est absente de la source qu'utilise ici Sahrastànl. Pythagore. « II dit parfois : le vis-à-vis de l'Un est la Matière Prime, comme l'a dit Anaximène ; il l'appelle la matière (hayûlà) première et c'est l'un reçu, parce que l'un qu'elle est n'est pas comme les uns, c'est un un, un tout, dont procède toute pluralité et à partir duquel la pluralité acquiert l'unité qui s'attache aux êtres. Car il n'existe point d'être qui, pour autant qu'il y est disposé, n'ait en lui une part de l'unité de la Matière, une part de la conduite (hidâya) de l'Intellect pour autant qu'il en est susceptible, une part de la puissance (quwa) de l'Ame pour autant qu'il y est préparé : ainsi influent les principes sur les composés » (847-848). C'est là le seul (2) « Victoire » est la traduction normale de galaba, mot qui représente constamment dans les textes arabes le second élément du couple empédocléen Amour/Discorde, Philia/Neikos, par suite d'une confusion de celui-ci avec son homonyme rûkos ; voir H. Daiber, Aetius Arabus. Die Vorsokratiker in Arabischer Oberlieferung, Wiesbaden, 1980, p. 42-43 ; p. 55. 31 endroit de la notice sur Pythagore où apparaisse la Matière. Dans les autres passages où les hypostases sont évoquées on retrouve la hiérarchie habituelle, où l'Intellect suit immédiatement le Créateur. Platon. a) « H n'existait rien d'autre qu'un archétype chez le Créateur Très Haut ; [Platon] le désigne parfois du nom de matière {hayUlS), parfois du nom de Matière (cunsur), peut-être fait-il [ainsi] allusion aux formes des connaissables dans la science du Très Haut. Puis il créa le Premier Intellect et par son intermédiaire l'Ame Universelle... et par l'intermédiaire des deux, la matière (cunsur). On rapporte de lui [ceci] : la matière (hayiïla) qui est le substrat des formes sensibles est différente de cette Matière (cunsur) » (879-880). b) « Le monde [comprend] deux mondes, celui de l'Intellect où sont les archétypes intellectuels et les formes spirituelles, et le monde des sens où sont les [êtres] singuliers sensibles et les uploads/s3/ jolivet-jean-la-matiere-d-x27-en-haut.pdf
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- Publié le Sep 03, 2021
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